L’écrivain dissident I.D. Sîrbu
Parmi les intellectuels dissidents sous le régime communiste, en Roumanie, Ion Desideriu Sîrbu occupe une place particulière: il a écrit de la vraie « littérature de tiroir » à travers ses livres qui n’ont pas été publiés par peur de la censure, mais qui ont paru après la chute de la dictature. Il a aussi inspiré le personnage
Victor Petrini du roman «Le plus aimé des terriens», écrit par Marin Preda.
Tout comme Petrini, I.D. Sîrbu était un philosophe jeté en prison dans les
années 1950 pour avoir refusé de dénoncer son professeur, le dramaturge, poète
et philosophe Lucian Blaga.
Steliu Lambru, 07.03.2021, 13:12
Parmi les intellectuels dissidents sous le régime communiste, en Roumanie, Ion Desideriu Sîrbu occupe une place particulière: il a écrit de la vraie « littérature de tiroir » à travers ses livres qui n’ont pas été publiés par peur de la censure, mais qui ont paru après la chute de la dictature. Il a aussi inspiré le personnage
Victor Petrini du roman «Le plus aimé des terriens», écrit par Marin Preda.
Tout comme Petrini, I.D. Sîrbu était un philosophe jeté en prison dans les
années 1950 pour avoir refusé de dénoncer son professeur, le dramaturge, poète
et philosophe Lucian Blaga.
Dana Jalobeanu,
professeure à la Faculté de Philosophie de Bucarest, explique l’échec de la
vocation philosophique d’I.D.Sîrbu, de son rétablissement en tant qu’écrivain
et surtout en tant que personne d’une moralité exemplaire.
Dana Jalobeanu :
« Il a fait un doctorat en philosophie, il a été l’étudiant et disciple
des philosophes Lucian Blaga et Liviu Rusu, les deux de l’Université de Cluj. A
un certain moment, à l’âge de 28 ans, il est devenu le plus jeune professeur
associé de la Faculté de Philosophie de Cluj. Pour devenir plus tard, à l’âge
de 44 ans, le hercheur
le plus âgé de la mine Petrila, selon ses propres mots. Le destin d’I.D. Sîrbu
a été écrasé par l’histoire du XXe siècle. Mais il a survécu en faisant de la
littérature, se vengeant ainsi parce qu’on ne lui a pas laissé le droit de faire
de la philosophie. Immédiatement après 1990, son roman «Adio, Europa»
/ «Adieu, l’Europe» a été considéré comme explosif, je ne pouvais
pas croire que l’on pouvait écrire ainsi pendant le communisme. Mais ce roman
n’a pas été le seul à être publié, un volume de correspondance, «Scrisori către
bunul Dumnezeu» / «Lettres au bon Dieu» est paru ensuite, et puis «Jurnalul
unui jurnalist fără jurnal» / «Le Journal d’un journaliste sans journal». C’était
donc pendant les années ’90 que j’ai découvert avec étonnement cet auteur que
certains connaissaient déjà, car quelques-uns de ses textes et pièces de
théâtre avaient été publiés pendant le communisme. De plus, tout un folklore circulait
dans le monde littéraire sur la personnalité d’I.D. Sîrbu. Pourtant, même ceux
qui le connaissaient s’étonnaient de la force de sa littérature ».
Arrêté en 1956 et
condamné politiquement, d’abord à un an et ensuite à sept ans d’emprisonnement,
I.D. Sîrbu a travaillé dans une mine pendant plusieurs mois, après sa
libération. La zone ne lui était pas inconnue, car il était lui-même fils de
mineur, né en 1919 dans la colonie minière de Petrila, à la périphérie de la
ville de Petroșani. En 1964, il a été assigné à résidence à Craiova, où il a
fini par trouver
un emploi de secrétaire littéraire au Théâtre National de la ville, malgré la constante surveillance des
agents de la police politique locale et centrale.
Il a cependant conservé sa
verticalité morale, comme le remarque le critique littéraire Cosmin Ciotloș : « C’était
quelqu’un qui, peu importe les épreuves traversées, peu importe le nombre
d’années d’emprisonnement injuste, a refusé de dénoncer, à son tour, des gens à
la Securitate. Il a refusé de devenir un délateur et il a même écrit à ce sujet,
aussi parce qu’il provenait d’une communauté minière, de Petrila, où rien
n’était considéré plus indigne que de se transformer en un indicateur, comme l’écrivait
Sîrbu lui-même. C’était le dernier seuil moral en dessous duquel l’on puisse tomber.
L’écrivain a même dit, à un moment donné: «Ne me jugez pas d’après ce que j’ai
fait, mais d’après ce que je n’ai pas fait, ce que j’ai refusé de faire, même
si j’avais pu le faire.» Cela est un premier refus. Il a aussi raconté un
épisode passé pendant son emprisonnement. Toutes les confessions chrétiennes y
étaient représentées et Sîrbu a réussi à convaincre les détenus à ses côtés de
célébrer une nuit de Pâques, là-bas, en prison, tous en même temps. C’est un
geste évidemment œcuménique. Mais pour moi, c’est bien plus que ça. Moi, je
vois un homme qui s’est battu pour rassembler les sensibilités religieuses de plusieurs
personnes. L’important, pour lui, c’était que ces personnes-là se sauvent l’âme
ensemble ».
Actuellement, à Petrila, la maison natale d’I.D.
Sîrbu a été transformée en Maison-musée et en centre culturel, gérés par le
caricaturiste Ion Barbu, qui a également rencontré l’écrivain : « J’ai
rencontré I.D. Sîrbu, mon concitoyen, pour la première et dernière fois un jour d’été de l’année 1988. Il était venu
visiter la Vallée du Jiu, car sa sœur, Irina Sîrbu, qui vivait dans la ville de
Petroșani. Un après-midi, il a décidé d’aller à pied depuis la maison de sa
sœur jusqu’à la maison de ses parents à Petrila, accompagné de mon frère, Mihai
Barbu. La distance d’environ 4 kilomètres a été parcourue à pied, avec des arrêts
fréquents et de nombreuses histoires racontées sur ce que la Vallée du Jiu avait
été autrefois. Quand ils sont arrivés à sa maison paternelle, dans la colonie
minière de Petrila, I.D. Sîrbu est passé par le cimetière pour se recueillir
sur les tombes de ses parents et il a ensuite fait un dernier arrêt à l’école
locale où je faisais du bénévolat avec quelques enfants. Je dirigeais un cercle
de dessin qui réalisait une histoire de la littérature roumaine à travers des
portraits d’écrivains faits par des élèves. L’un d’entre eux a pris les mesures
de M. Sîrbu et a fait son portrait, qui a ensuite été inauguré dans une
exposition au Musée de la Littérature Roumaine de Bucarest. Il est ensuite venu
chez moi et nous sommes restés là quelques bonnes heures, à parler d’un tas de
choses. À la fin, nous nous sommes serré la main et, depuis, je me vante
d’avoir été la dernière personne de Petrila à qui il a serré la main. Je pense
que c’était l’homme le plus chaleureux que j’aie jamais rencontré, quelqu’un qui
racontait des histoires incroyables et à qui j’ai voué une admiration éternelle ».
Décédé en septembre 1989 d’un cancer de l’œsophage,
Ion D. Sîrbu n’a pas vu
la chute du régime communiste, qui a eu lieu trois mois plus tard. (Felicia
Mitraşca)