Une autre histoire de la littérature roumaine
En 2020, en pleine pandémie, un effort collectif considérable et précieux s’est matérialisé à travers le vaste ouvrage en cinq volumes intitulé «Encyclopédie des imaginaires» et publié aux Editions Polirom. Réalisée par des écrivains et des universitaires, l’ouvrage prend la perspective de l’imaginaire pour traiter de cinq domaines de la culture roumaine : la littérature, l’histoire, la religion, la linguistique et les arts. Concept qui dépasse la notion d’imagination ou de fantaisie – considérée comme créatrice d’illusions, de fictions ou de mondes fictifs – l’imaginaire est devenu un objet d’étude académique depuis de nombreuses années en Roumanie ; on l’apprend de Corin Braga, le coordonnateur du volume consacré à la littérature: « L’imaginaire est une fonction qui structure nos formes de connaissance, comme le font la raison et les sens. Il est très important pour comprendre comment nous nous rapportons au monde. Il y a un imaginaire social, il y en a un collectif, mais il existe aussi des imaginaires individuels. À leur tour, ces imaginaires collectifs peuvent être divisés en catégories: imaginaire littéraire, historique, du théâtre, artistique. Il existe même un imaginaire religieux et un autre géographique, voire même un imaginaire linguistique. C’est ainsi que nous avons structuré cette encyclopédie en ses cinq volumes. Le premier volume renvoie à l’imaginaire littéraire, donc aux représentations qui structurent les visions et les univers imaginaires des pièces de théâtre, romans et poèmes qui constituent la littérature roumaine. »
Christine Leșcu, 13.12.2020, 12:45
En 2020, en pleine pandémie, un effort collectif considérable et précieux s’est matérialisé à travers le vaste ouvrage en cinq volumes intitulé «Encyclopédie des imaginaires» et publié aux Editions Polirom. Réalisée par des écrivains et des universitaires, l’ouvrage prend la perspective de l’imaginaire pour traiter de cinq domaines de la culture roumaine : la littérature, l’histoire, la religion, la linguistique et les arts. Concept qui dépasse la notion d’imagination ou de fantaisie – considérée comme créatrice d’illusions, de fictions ou de mondes fictifs – l’imaginaire est devenu un objet d’étude académique depuis de nombreuses années en Roumanie ; on l’apprend de Corin Braga, le coordonnateur du volume consacré à la littérature: « L’imaginaire est une fonction qui structure nos formes de connaissance, comme le font la raison et les sens. Il est très important pour comprendre comment nous nous rapportons au monde. Il y a un imaginaire social, il y en a un collectif, mais il existe aussi des imaginaires individuels. À leur tour, ces imaginaires collectifs peuvent être divisés en catégories: imaginaire littéraire, historique, du théâtre, artistique. Il existe même un imaginaire religieux et un autre géographique, voire même un imaginaire linguistique. C’est ainsi que nous avons structuré cette encyclopédie en ses cinq volumes. Le premier volume renvoie à l’imaginaire littéraire, donc aux représentations qui structurent les visions et les univers imaginaires des pièces de théâtre, romans et poèmes qui constituent la littérature roumaine. »
Le volume sur l’imaginaire littéraire contient 20 chapitres écrits par 20 auteurs différents, sous la coordination de Corin Braga. Le premier chapitre fait référence au folklore, à une littérature décrite du point de vue des images qui créent l’univers particulier des créations populaires. Il s’agit donc d’une approche différente de l’histoire littéraire traditionnelle, ordonnée selon le critère chronologique, ou de celle thématique, ordonnée autour de quelques idées, explique Corin Braga. « Les histoires littéraires couvrent généralement des périodes plus ou moins longues, selon les centres d’intérêt – des siècles ou des courants littéraires – et on parle ainsi de la littérature ancienne, de la littérature du XVIIIe siècle, de l’illuminisme, du romantisme et de la littérature de la période de la Révolution de 1848, pour en arriver à l’époque des grands classiques et à la littérature de l’entre-deux-guerres et à celle de l’après-guerre. Mais, dans la perspective de cette encyclopédie d’imaginaires et de concepts, sans laisser de côté la chronologie traditionnelle, nous avons structuré la matière d’une manière différente: en constellations de symboles qui circulent à travers les époques, passant d’un courant littéraire à l’autre et que l’on retrouve aussi bien au XVIIIe siècle qu’au XXe. Par exemple, après ce premier chapitre consacré à l’univers du folklore, nous avons un autre article consacré à l’imaginaire religieux dans la littérature roumaine. Et nous partons de textes qui sont plus religieux que littéraires, écrits par Dosoftei et Antim Invireanul aux XVIIe et XVIIIe siècles, et nous arrivons jusqu’au XXe siècle avec tous les écrivains qui ont trouvé l’inspiration dans la religion. Là, je fais référence aux «Psaumes» de Tudor Arghezi, aux poèmes de Lucian Blaga, d’Ioan Alexandru ou de Vasile Voiculescu. Nous nous sommes intéressés aux constellations de symboles qui composent un système, car ils ne sont pas rassemblés au hasard, pour voir comment ils évoluent jusqu’à présent. »
La littérature d’inspiration historique, par exemple, bénéficie de la même approche que la littérature religieuse dans «L’Encyclopédie des imaginaires roumains». La diachronie n’est pas totalement abandonnée, l’évolution dans le temps est également observée, mais les catégories trop limitatives – qui ne permettent pas la transgression de certains concepts – sont brisées, explique le professeur des universités Corin Braga: Nous avons plusieurs articles consacrés à l’illuminisme et à l’imaginaire rationnel et culturel des illuministes. Un autre chapitre traite de l’imaginaire levantin, balkanique, d’inspiration orientale de notre littérature, un autre qui renvoie à l’imaginaire romantique ou un autre qui renvoie à l’imaginaire du décadentisme. Prenons, à titre d’exemple, le courant romantique et ses phases: il a une forme de préromantisme, une forme de romantisme militant ou de la Révolution de 1848, avec Eminescu nous atteignons le grand romantisme, ayant en lui un grand romantique de la taille de Novalis ou de Byron. Mais ensuite les influences ou les thèmes romantiques – comme le rêve, la bien-aimée ou les fantômes – se retrouvent toujours dans notre littérature, même après la dissipation du romantisme. On les retrouve, par exemple, chez l’écrivain contemporain Mircea Cărtărescu. Il utilise une imagination onirique et des représentations de rêves qui dérivent quelque part d’Eminescu. De la même manière, il y a eu un groupe de poètes oniriques qui, à travers Leonid Dimov et Dumitru Țepeneag, revendiquait la grande rêverie romantique, même s’il avait ses propres définitions.
Par conséquent, «L’Encyclopédie des imaginaires roumains» offre non seulement une nouvelle approche de l’histoire de la culture roumaine, mais aussi de nouvelles interprétations du lien entre le présent et le passé dans la littérature, et bien plus que cela. (Trad. : Felicia Mitraşca)