Le pilote Tudor Greceanu
Né le 13 mai 1917, dans une famille de boyards, Tudor Greceanu a suivi les cours de l’école militaire d’aviation, qu’il a terminée en 1939. Sa promotion comptait seulement 29 diplômés : pilotes, mécaniciens et personnel navigant. En devenant pilote, Tudor Greceanu avait suivi sa passion, mais aussi une mode chez les jeunes de l’époque provenant de familles aisées.
Steliu Lambru, 07.06.2020, 13:00
Né le 13 mai 1917, dans une famille de boyards, Tudor Greceanu a suivi les cours de l’école militaire d’aviation, qu’il a terminée en 1939. Sa promotion comptait seulement 29 diplômés : pilotes, mécaniciens et personnel navigant. En devenant pilote, Tudor Greceanu avait suivi sa passion, mais aussi une mode chez les jeunes de l’époque provenant de familles aisées.
En Roumanie, l’aviation avait déjà une tradition. Le nom de l’inventeur Aurel Vlaicu, mort en 1913 en essayant de traverser les Carpates à bord de son avion Vlaicu 2, était déjà très connu. Antérieurement, en 1906, à Paris, la tentative – bien qu’échouée – d’un autre pilote roumain, Traian Vuia, de voler à bord d’un appareil plus lourd que l’air, avait marqué les esprits. Enfin, Henri Coandă, l’inventeur de l’avion à réaction, avait lui aussi exercé une fascination sur les jeunes attirés par l’aventure. A ces trois pionniers roumains, l’aviation militaire a ajouté, elle aussi, de nombreux as du ciel : Constantin « Bâzu » Cantacuzino, Alexandru Șerbănescu, Gheorghe Popescu-Ciocănel, Horia Agarici et bien d’autres encore.
La Seconde Guerre Mondiale a éclaté le 1er septembre 1939 et la promotion de Tudor Greceanu était consciente du fait qu’on lui demandait de se sacrifier pour la défense des intérêts nationaux. Ces jeunes s’attendaient donc à être envoyés au front. A l’été 1940, l’Allemagne nazie occupait la France, l’Angleterre était assiégée par l’aviation allemande et la Roumanie se voyait ravir la Bessarabie, la Bucovine du Nord, le nord de la Transylvanie et le Quadrilatère, tout cela confirmant l’effondrement du système des traités de paix de Versailles conclus à la fin de la première guerre mondiale.
Le jeune pilote Tudor Greceanu, âgé de 23 ans à peine, a voulu quitter l’armée, pourtant sa démission lui a été refusée. Au début de la guerre, il était pilote de chasse dans la Flottille de Chasse de Bucarest. Il a été le détenteur de six brevets de pilote : pilote de guerre, obtenu à l’école militaire, pilote de chasse, instructeur de vol, pilote de bimoteur, auxquels s’ajoutaient le brevet de haute voltige, le brevet de vol de nuit et celui de pilotage sans visibilité. Il a également obtenu des brevets et les insignes de pilote allemands, italiens et américains. Le départ au front en Union Soviétique fut pour Tudor Greceanu le baptême du feu. Pour l’aviation roumaine, le prix de la conquête d’Odessa, en 1941, fut lourd à payer.
Dans une interview accordée 1993 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, le pilote Tudor Greceanu se rappelait : « Une escadrille de chasse était habituellement composée de 15 avions. Pourtant, ces 15 avions n’étaient pas toujours en état de vol. Nous comptions généralement sur 12 avions en bon état, pour les missions quotidiennes. Les autres étaient soumis à des révisions ou à d’éventuelles réparations ou bien devaient rester au sol en raison de petits problèmes techniques. Pourtant, à un moment donné, après la chute d’Odessa, sur les 45 avions que devaient compter les 3 escadrilles, il n’en restait que 3, car personne ne les remplaçait. » L’Etat roumain avait acheté au début à l’Allemagne 3 escadrilles d’avions de chasse Messerschmitt 109. Les appareils sont arrivés, ils ont été assemblés et mis en état de vol ; c’est avec ces avions que nous sommes partis au front. Les appareils qui étaient abattus, endommagés ou soumis à des révisions étaient retirés. Savez-vous combien un seul avion a coûté à la Roumanie ? 62 millions de lei – ce qui était un prix énorme. Cela correspondait à la valeur de 62 immeubles à 10 étages. Après la chute d’Odessa, mon groupe est revenu au pays avec 3 avions sur les 45 que nous avions au départ. »
Pendant la guerre, le lieutenant Tudor Greceanu a accumulé 6.000 heures de vol, réalisées durant plus de mille missions de combat, et il a remporté 42 victoires aériennes, ce qui veut dire qu’il a abattu 42 avions ennemis. Il s’est vu décerner plusieurs distinctions, dont celle de chevalier de l’ordre « Mihai Viteazul ». Pourtant, la fin de la guerre n’a pas été la fin des tourments pour lui.
De retour en Roumanie, en 1945, Greceanu apprend que sa fiancée, d’origine allemande, s’était suicidée pour ne pas être déportée en URSS, alors que son frère était prisonnier dans le goulag soviétique. Peu après, il est, lui-même, arrêté par le régime communiste et emprisonné à Aiud, alors que ses parents étaient assignés à domicile où ils allaient succomber à la maladie et à la pauvreté. En prison, il est torturé, étant tenu les pieds dans de l’eau froide, ce qui a fini par endommager ses articulations. Il survécut à la prison, étant mis en liberté en 1964. Amputé des deux pieds, il a vécu jusqu’à l’âge de 77 ans. Il s’est éteint en 1994, dans un studio modeste, situé dans un quartier ouvrier de Bucarest. (Trad. : Dominique)