La régularisation du Delta du Danube
Le Delta du Danube est une création magnifique de la nature, mais en même temps un chef d’œuvre de gestion de l’environnement remontant à la seconde moitié du 19e siècle. Fruit de l’intelligence humaine, les travaux réalisés dans le Delta avaient pour but de transformer le fleuve afin de rendre possible la navigation des navires commerciaux et assurer le développement économique et la mobilité humaine dans la région. La régularisation du Delta du Danube a été un projet grandiose visant à faire de ce fleuve une voie navigable paneuropéenne. Si l’on compare la carte actuelle du Delta à une carte d’avant 1856, on constate que l’un des 3 bras du fleuve a subi de nombreux changements, étant transformé en canal.
Steliu Lambru, 30.08.2020, 13:00
Le Delta du Danube est une création magnifique de la nature, mais en même temps un chef d’œuvre de gestion de l’environnement remontant à la seconde moitié du 19e siècle. Fruit de l’intelligence humaine, les travaux réalisés dans le Delta avaient pour but de transformer le fleuve afin de rendre possible la navigation des navires commerciaux et assurer le développement économique et la mobilité humaine dans la région. La régularisation du Delta du Danube a été un projet grandiose visant à faire de ce fleuve une voie navigable paneuropéenne. Si l’on compare la carte actuelle du Delta à une carte d’avant 1856, on constate que l’un des 3 bras du fleuve a subi de nombreux changements, étant transformé en canal.
L’historien Constantin Ardeleanu, de l’Université du Bas Danube de Galați raconte les débuts de la régularisation du Delta du Danube. « Ce fut une entreprise extrêmement intéressante du point de vue technique, entamée en 1856 et qui continue, en fait, de nos jours, car des travaux doivent encore être exécutés régulièrement à Sulina pour maintenir la navigabilité du fleuve. La manière dont ces travaux ont été réalisés à l’époque a été vraiment révolutionnaire. Ils ont été coordonnés par un ingénieur britannique, Charles Hartley, une personnalité de renommée mondiale – qui s’est d’ailleurs vu décerner des distinctions prestigieuses pour son projet d’aménagement du Danube. Plus tard, il allait être consultant technique au sein de la Commission internationale pour le percement de l’isthme de Suez, contribuant à la navigabilité d’un des canaux les plus importants pour le commerce mondial. »
Avant de se jeter dans la mer Noire, le Danube se divise en trois bras entre lesquels se tisse le Delta : Chilia, au nord, Sfântu Gheorghe (Saint Georges), au sud, et Sulina, au milieu.Parmi ces trois bras, Sulina fut choisi comme principale voie de navigation. Il a une longueur de 71 km et il se jette dans la mer Noire à proximité du port homonyme, ancien village de pêcheurs devenu, à l’époque, la plus cosmopolite des villes roumaines. Les travaux de régularisation avaient pour but de couper les méandres du fleuve, consolider ses rives, nettoyer et approfondir son lit. Constantin Ardeleanu explique. « Les travaux ont commencé en 1857. Pour cela il fallait choisir l’un des bras du fleuve. Plusieurs variantes étaient prises en compte. Hartley estimait que le bras de Sfântu Gheorghe était le meilleur choix. D’autres ingénieurs préféraient Sulina, pour l’aménagement duquel les coûts estimés étaient moindres. Les travaux ont commencé effectivement en 1858 et les digues de Sulina, qui sont toujours là, ont été inaugurées en 1861. Comme premier résultat, la profondeur du Danube au-dessus de la barre de Sulina – un banc de sable qui s’y forme – a augmenté de 2,5 à près de 5 m en cinq ans, et elle a continué d’augmenter jusqu’au 8 m qu’elle mesure à présent. »
Pourquoi des travaux d’une telle ampleur étaient-ils nécessaires ? Les raisons sont d’ordre géopolitique et économique. Les embouchures du Danube ont été contrôlées, pendant plusieurs siècles, par l’Empire ottoman, qui n’avait témoigné aucun intérêt pour leur aménagement. L’offensive de la Russie, entamée durant la première moitié du 18e siècle, avait porté ses fruits et repoussé l’influence ottomane vers le sud. Pourtant, la Russie, devenue puissance garante des Principautés Roumaines par le traité de paix signé à Andrinople en 1829, considérait le Danube comme peu important pour son économie. La navigation sur le fleuve dans la zone de ses embouchures était difficile et le trafic commercial sporadique et même chaotique. Les alluvions qui s’y accumulaient entravaient la navigation et la rendaient peu sûre. Pourtant, l’intérêt témoigné par l’Empire britannique, vers la moitié du 19e siècle, pour les importations de céréales fit naître le projet de régularisation de ce grand cours d’eau européen. L’œuvre de Charles Hartley, ingénieur en chef de la Commission européenne du Danube, a été à tel point multidisciplinaire et complexe, que l’auteur de ce projet grandiose de régularisation danubienne a été surnommé « le père du Danube ».
Constantin Ardeleanu affirme que: « Ce que les ingénieurs ont réalisés sous la coordination de Hartley était un chef d’œuvre non seulement technique, mais aussi scientifique. Car ce n’étaient pas de simples ingénieurs qui ont construit quelques digues à Sulina ; c’étaient de véritables savants qui ont dû comprendre comment fonctionnait la nature, comment fonctionnait ce système vivant qu’est le Delta – quelle était la quantité d’alluvions transportée par le fleuve et comment ces alluvions étaient distribuées entre ses 3 bras – afin de pouvoir faire du Danube une voie navigable pour les navires transporteurs lourds. Il s’agissait de comprendre le fleuve et – comme Hartley se plaisait à dire – de l’apprivoiser et le transformer au bénéfice des communautés humaines. »
Par la régularisation du Delta du Danube et l’aménagement du Canal de Sulina, l’espace roumain s’ouvrait sur la mer. Ce fut une « bouffée d’oxygène » qui a permis à l’Etat roumain de mettre en œuvre ses propres projets. (Trad. : Dominique)