L’autrice, traductrice et féministe Sofia Nădejde
A partir de la seconde moitié du 19e
siècle, lorsque la société roumaine est entrée dans une phase de modernisation
et d’occidentalisation soutenue, la presse de l’époque a commencé à parler des
droits des femmes. C’étaient des associations féminines qui mettaient ce sujet
à l’ordre du jour et qui militaient surtout pour le droit à l’éducation et pour
le droit de vote. Les femmes ont ainsi commencé à remettre en question leur
rôle traditionnel qui se limitait à la sphère privée et ont cherché à élargir
leur influence à la sphère publique. Parmi les intellectuelles qui ont porté ce
mouvement compte aussi la journaliste, traductrice et féministe Sofia Nădejde,
née en 1856 à Botoșani (nord).
Christine Leșcu, 20.09.2020, 13:00
A partir de la seconde moitié du 19e
siècle, lorsque la société roumaine est entrée dans une phase de modernisation
et d’occidentalisation soutenue, la presse de l’époque a commencé à parler des
droits des femmes. C’étaient des associations féminines qui mettaient ce sujet
à l’ordre du jour et qui militaient surtout pour le droit à l’éducation et pour
le droit de vote. Les femmes ont ainsi commencé à remettre en question leur
rôle traditionnel qui se limitait à la sphère privée et ont cherché à élargir
leur influence à la sphère publique. Parmi les intellectuelles qui ont porté ce
mouvement compte aussi la journaliste, traductrice et féministe Sofia Nădejde,
née en 1856 à Botoșani (nord).
La Maison d’édition Paralela 45 a récemment
publié ses articles de presse dans un recueil intitulé « Sur le cerveau
féminin et d’autres démons ». Le volume est paru sous la coordination
d’Adina Mocanu et de Maria Cernat, et c’est cette dernière qui nous parle de
Sofia Nădejde dans le contexte de son époque : « Elle
a combattu sur plusieurs fronts. Sa famille nombreuse serait vue aujourd’hui
comme un modèle de réussite – elle a eu quatre filles et deux garçons, ainsi
qu’une autre fille morte pendant son jeune âge, et tous ses enfants ont eu des
carrières remarquables. Mais en dehors de cela, Sofia Nădejde était une
militante et elle n’aurait pas aimé être dépeinte comme une femme à succès dans
les pages des magazines people. C’était une femme sérieuse, très appliquée dans
ses observations et études, et très proche des gens simples ou pauvres. Elle
aurait aimé que son émancipation ait lieu en même temps que celle de toutes les
femmes de Roumanie et ne combattait pas particulièrement pour les droits des
femmes privilégiées. Cela peut sembler bizarre, par exemple, qu’elle ne
militait pas pour le droit de vote des femmes. Mais dans le contexte de
l’époque, où le suffrage censitaire était en vigueur et seulement les gens les plus
fortunés pouvaient voter, cela aurait donné le droit de vote à un nombre très
limité de femmes. C’est pourquoi Sofia Nădejde affirmait sa volonté de lutter
pour toutes les femmes, pas seulement pour les privilégiées. »
Certaines militantes intellectuelles du
19e affirmaient qu’il fallait que la femme préserve malgré tout son rôle
traditionnel, mais qu’elle bénéficie, en plus, de certains droits. Sofia
Nădejde, à l’opposé, souhaitait un changement radical de paradigme. Et elle
avait bien d’autres points de différence avec la plupart des intellectuels de
son époque. Elle et son mari, Ioan Nădejde, étaient adeptes du socialisme, une
idéologie alors peu populaire en Roumanie. Maria Cernat détaille : « Elle
a débuté dans des magazines socialistes qui aujourd’hui seraient caractérisés
de féministes. Un qui s’appelait « La Femme roumaine ». Ensuite, elle
a écrit longtemps pour la publication « Contemporanul ». C’était dans
sa jeunesse, quand elle écrivait notamment des textes militants pour les droits
des femmes. Par la suite, elle s’est orientée vers la littérature. Elle a fait,
avec des moyens littéraires, de l’art engagé. Sofia et Ioan Nădejde assumaient
très bien leurs positions militantes et leurs sympathies socialistes. Pour
résumer, Sofia Nădejde s’est d’abord concentrée sur les droits des femmes, la
place de la femme dans le christianisme, la prostitution, la famille, donc
plutôt des questions de philosophie politique. Après, ses préoccupations
littéraires ont pris le dessus, sans que son orientation idéologique socialiste
soit perdue de vue. Elle soutenait le droit des femmes à l’éducation, dont le
but allait au-delà de rendre les mères capables d’élever les fils de la nation.
Elle militait aussi pour l’indépendance juridique et économique des femmes,
pour leur droit de travailler et pour leur autonomie financière. »
Mais il y avait d’autres idées et
positions qui démarquaient Sofia Nădejde de ses contemporaines. Maria Cernat
continue : « C’est
drôle de voir que certains de ses articles font état de principes très
conservateurs. Elle était, par exemple, contre la danse, une coutume primitive,
selon elle, héritée des « sauvages ». Elle était aussi contre la
coquetterie. Nous dirions, peut-être, aujourd’hui qu’elle était contre les
standards de beauté, tous relatifs. Elle critiquait également les bals, où les
gens allaient danser pour ensuite sortir transpirés dans l’air froid et
attraper des pneumonies. Ces principes peuvent sembler aujourd’hui très
conservateurs, mais elle y tenait. Pour elle, l’émancipation, ce n’était pas de
se mettre à fumer des cigares, d’aller dans les bars pour se saouler ou avoir
beaucoup d’amants. Autrement dit, ce n’était pas de se mettre à faire ce que
faisaient les hommes. Ce n’était pas ça, la libération des femmes. Eduquer ses
enfants très sérieusement était, en revanche, un exemple d’émancipation. »
Inévitablement, ses idées ont fait
entrer Sofia Nădejde dans différentes polémiques, dont une, célèbre, avec Titu
Maiorescu. Ministre, parlementaire conservateur, philosophe et critique
littéraire, il était et il est toujours une autorité absolue de la culture
roumaine. Maria Cernat : « Une
histoire intéressante est celle où Sofia Nădejde contredit Titu Maiorescu
concernant le poids du cerveau des femmes. Il n’adhérait pas à l’idée que le
sort des peuples soit laissé dans la responsabilité d’êtres avec un cerveau 10%
plus léger que celui des hommes. Un cerveau plus petit indique, de toute
évidence, que les femmes sont moins dotées intellectuellement que les hommes.
Par conséquent, selon Maiorescu, il fallait adopter le principe de la
séparation des sphères : la sphère domestique pour les femmes et celle
publique pour les hommes. Sofia Nădejde a alors souligné le sophisme de
Maiorescu : si le poids est équivalent de l’intelligence, on pourrait
alors conclure que la baleine est l’être le plus intelligent de la planète, car
elle a le cerveau le plus grand et le plus lourd. »
Sofia Nădejde a reçu en 1903 le prix du
journal Universul – une importante récompense pour les romanciers – qui prenait
également en compte le succès auprès du public. Sofia Nădejde est décédée en
1946 et beaucoup de ses idées sont toujours d’actualité. (Trad. Elena Diaconu)