L’Assemblée nationale d’Alba Iulia
Journée froide d’hiver, le 1er décembre 1918 fut une journée remplie de joie. Même si de nos jours, les festivités solennelles qui marquent chaque année cet événement ont fini par en éroder un peu la valeur, en nous faisant penser que l’enthousiasme général manifesté par la population à ce moment-là n’aurait pas été si grand, les sources de l’époque attestent le fait qu’en Transylvanie, les foules manifestaient ouvertement leur joie à l’approche de ce 1er décembre. Cette joie marquait la fin d’une guerre traumatisante de tranchées. A la joie de voir la paix enfin s’installer s’ajoutait celle de la naissance la Grande Roumanie, pour laquelle tant de gens avaient sacrifié leur vie sur les fronts des Carpates et du Danube.
Steliu Lambru, 08.12.2019, 16:13
Journée froide d’hiver, le 1er décembre 1918 fut une journée remplie de joie. Même si de nos jours, les festivités solennelles qui marquent chaque année cet événement ont fini par en éroder un peu la valeur, en nous faisant penser que l’enthousiasme général manifesté par la population à ce moment-là n’aurait pas été si grand, les sources de l’époque attestent le fait qu’en Transylvanie, les foules manifestaient ouvertement leur joie à l’approche de ce 1er décembre. Cette joie marquait la fin d’une guerre traumatisante de tranchées. A la joie de voir la paix enfin s’installer s’ajoutait celle de la naissance la Grande Roumanie, pour laquelle tant de gens avaient sacrifié leur vie sur les fronts des Carpates et du Danube.
La joie des Roumains d’Autriche-Hongrie s’explique aussi par le fait que beaucoup d’entre eux avaient combattu pendant toutes les 4 années difficiles de guerre et vu la mort sous ses formes les plus terrifiantes. Si ce n’étaient que les 12 combats menés le long de la rivière Isonzo, à la frontière italo-slovène, cela aurait suffi pour justifier la joie avec laquelle les gens accueillaient la paix. La presse de l’époque, les correspondances, les journaux et les mémoires conservés jusqu’à nos jours témoignent de l’atmosphère enthousiaste des jours qui ont précédé le 1er décembre 1918. Les gens voulaient s’organiser, écarter les effets de la guerre, ramener dans leur pays la paix, la prospérité économique et la sécurité. Un retour à la normalité en ce début d’hiver et à l’approche des fêtes de fin d’année 1918 était considéré avec beaucoup d’optimisme.
En 2000, Clement Bolfă, originaire de la commune de Maieru, du comté de Bistrița-Năsăud, a accordé une interview au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. A ce moment-là, il avait 90 ans. Il se rappelait qu’en 1918, alors qu’il était un enfant de 8 ans, élève au cours élémentaire, les adultes autour de lui étaient animés par la joie mobilisatrice qui a précédé l’union. « J’étais à l’école et j’avais un instituteur, Barna Ionuc, qui nous a raconté qu’il devait se rendre à l’Assemblée d’Alba Iulia et que c’était un grande assemblée parce que la Transylvanie rejoignait la mère-patrie, la Roumanie. Et puis, à son retour, il nous a raconté comment c’était et nous a appris les chansons : « Sur notre drapeau il est écrit Union », « La Grande Ronde », « La Ronde de l’Union ». J’avais les larmes aux yeux… Notre instituteur nous a raconté comment la Transylvanie s’est unie avec la Roumanie et comment tous les participants à l’Assemblée ont crié, demandant qu’elle s’unisse à la Roumanie. Quant il est revenu d’Alba Iulia, il a organisé une fête à l’école et nous avons chanté. Et ce fut une grande joie en ces temps-là. Une grande, grande joie. »
Avant 1918, Emil Wagner a été membre du Parti national roumain et ensuite membre du Parti national paysan. Il a très bien connu Iuliu Maniu, chef du Parti national paysan et, en 2000, il avait 104 ans. Il se rappelait, au micro de Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, l’atmosphère des jours qui ont précédé le 1er décembre 1918. Emil Wagner a fait partie de la délégation qui devait entrer en contact avec le Parti national roumain de Bucovine. Il y était accompagné par un autre membre important du Parti national paysan, Ilie Lazăr. L’euphorie de ces jours-là a été doublée de moments extrêmement tendus. Wagner se rappelle qu’en août 1918, Alexandru Vaida-Voevod, homme politique marquant du Parti national roumain et député au Parlement de Pest, avait été mandaté pour demander l’indépendance de la Transylvanie au nom des Roumains. « Vaida a pris la parole devant le Parlement hongrois et a demandé l’indépendance. Alors, le comte Tisza, qui était le président du gouvernement, a dit que Vaida était un traître. Alors, Iuliu Maniu a pris, lui aussi, la parole en demandant la même chose. Et alors, un membre de la famille des Habsbourg, Ferdinand, s’est lui aussi levé et a dit : « Nous ne pouvons pas accuser ces gens-là d’être des traîtres de leur pays, car ils sont nos députés, ils ne sont pas des traîtres. C’est normal qu’ils demandent l’indépendance de la Transylvanie ! Et on a demandé que l’indépendance de la Transylvanie soit soumise au vote. Et on a voté, mais ce Habsbourg qui avait parlé n’a pas voté. Pourtant, sa proposition a évité à Iuliu Maniu et à Vaida d’être exécutés, car le comte Tisza demandait qu’ils soient exécutés. »
La présence des femmes sur la scène de la Grande Union n’a pas été moins importante que celle des hommes. Les mères, les épouses, les sœurs, les filles des grands hommes qui ont contribué à la Grande Union n’ont cédé en rien à leurs fils, leurs époux, leurs frères, leurs pères. Lucia Mihaly de la commune d’Apșa, fille d’un grand avocat roumain, se rappelait qu’elle avait brodé le tricolore qu’elle a arboré sur le balcon de leur maison de Sighet, au Maramureș. C’est devant ce drapeau que les nouveaux fonctionnaires de l’Etat roumain ont prêté serment, après le 1er décembre 1918. « En 1918 mon frère est venu de Cluj et il a apporté à notre mère un drapeau de Iuliu Maniu. Je l’ai brodé de soie colorée et nous sommes allés, avec mon frère, sur la place du centre-ville. Et les délégués sont venus de chaque village pour aller à Alba Iulia et mon frère a prêté serment et chacun a dit qu’il ne rentrerait pas sans qu’une décision favorable soit prise. Ensuite ils sont partis – certains à pied, d’autres en charrette ou à cheval, car les Hongrois avaient arrêté les trains à destination d’Alba Iulia. Mon frère est parti, lui aussi, et lui et Ilie Lazăr portaient le drapeau. »
En effet, quelle joie peut être plus grande que celle qu’un peuple éprouve quand une guerre dévastatrice de 4 ans finit et qu’elle s’achève par un nouveau pays ? (Trad. : Dominique)