Le journal d’un secrétaire royal : Louis Basset
Moins connu de nos jours du grand public, le Suisse Louis Basset a été un personnage important à la cour royale de Roumanie durant la première moitié du 20e siècle. Il y a été au début le secrétaire privé du roi Carol Ier et ensuite, pendant plus de 60 ans, administrateur de la Cour royale. Louis Basset est né en 1846, il a fait des études à la Faculté de lettres de l’Université de Neuchâtel et il est entré au service du roi Carol Ier en 1869.
Christine Leșcu, 17.11.2019, 13:05
Moins connu de nos jours du grand public, le Suisse Louis Basset a été un personnage important à la cour royale de Roumanie durant la première moitié du 20e siècle. Il y a été au début le secrétaire privé du roi Carol Ier et ensuite, pendant plus de 60 ans, administrateur de la Cour royale. Louis Basset est né en 1846, il a fait des études à la Faculté de lettres de l’Université de Neuchâtel et il est entré au service du roi Carol Ier en 1869.
« La Guerre d’un serviteur dévoué » est le journal inédit de Louis Basset, récemment paru aux éditions Humanitas. Ce livre couvrant la période comprise entre le 23 août 1916 et le 3 mai 1921 enrichit notre image de la Première Guerre mondiale et de la famille royale par des commentaires et des observations parfois inattendues. L’historienne Georgeta Filitti explique : «La situation de Basset à cette époque-là est plutôt étrange, car bien qu’il fût d’abord secrétaire privé du roi Carol Ier, ensuite du roi Ferdinand, durant la Première Guerre mondiale il ne se trouvait pas en Roumanie, mais en Suisse. Là, il avait l’avantage de pouvoir s’informer, en lisant aussi bien les journaux favorables aux Puissances centrales que ceux favorables à l’Entente. Depuis Genève, il communiquait, certes, beaucoup avec le pays. Le journal de Louis Basset est un des documents riches et intéressants sur la Première Guerre mondiale. En le lisant, on ne saurait dire si son auteur était entièrement germanophile ou un fidèle partisan de l’Entente. Basset fait parfois des remarques qui, pour un moment, pourraient faire peur. En parlant, par exemple, de la paix de Georges Clémenceau — qui, avec le président américain George Wilson, a été un des principaux artisans de la paix — il la considère une sorte de paix l’épée à la main. Toutes ses pensées qu’il exprime avec calme et sans parti pris, dans un style fluide, nous font réfléchir. C’est pourquoi ce livre est extrêmement intéressant. »
Intéressant, son auteur l’est aussi : Suisse établi en Roumanie et très attaché à son pays d’adoption, il est impliqué dans plusieurs événements délicats dans l’existence de la famille royale. La traductrice et éditrice du livre « La Guerre d’un serviteur dévoué », Alina Pavelescu, nous parle de deux tels épisodes. « Il s’agit tout d’abord des fiançailles rompues entre Ferdinand et peut-être la seule femme qu’il ait vraiment aimée, Elena Văcărescu, qui n’a pas été acceptée pour des raisons politiques. Le deuxième épisode est celui où le précepteur du prince Carol — futur roi Carol II — toujours un Suisse, Arnold Mohrlen, fut écarté de la Cour royale. D’ailleurs, initialement, Basset l’avait recommandé et avait compté parmi ceux qui l’avaient soutenu pour devenir précepteur du futur roi. Basset contribue donc au départ du précepteur favori de Carol, que la sœur du prince, la princesse Elisabeta, aimait aussi beaucoup. Malgré ces événements délicats, les membres de la famille royale, y compris Carol II, lui témoignent de la considération, soutenant jusqu’au bout le vieux Basset et le couvrant d’honneurs pour ses services et son dévouement à la Maison royale de Roumanie. »
Carol Ier a peut-être eu l’intuition de ce dévouement lorsqu’il l’a choisi comme secrétaire. Pourtant, à ce moment-là, c’est la nationalité de Basset qui comptait le plus. Alina Pavelescu : « A son avènement au trône de Roumanie, Carol Ier se heurtait à une difficulté : il était redevable en égale mesure à l’Allemagne, par la famille dont il descendait, et à la France, car il avait été soutenu par Napoléon III. Durant les premières années de son règne, ces deux puissances ont pris soin de placer chacune auprès du futur roi son propre représentant, qui ne soit pas uniquement un secrétaire. L’Allemand Friedlander est un exemple : il était secrétaire, mais aussi un petit espion de la famille de Hohenzollern et une sorte de facteur de pression : il transmettait à Carol ce que les membres de sa famille d’Allemagne attendaient de lui. L’autre secrétaire, Emile Picot, n’a pu résister en Roumanie que jusqu’en 1869. Ensuite il est retourné en France, où il a entamé une carrière de philologue. Très attaché à la culture roumaine, il fut le premier Français à donner un cours de roumain à la Sorbonne. A la Cour royale roumaine, Emile Picot n’était pas seulement l’espion d’Hortense Cornu, sœur de lait de Napoléon III, mais il a également tenté de s’ingérer dans la politique intérieure du pays et d’influencer certaines décisions du gouvernement. Se trouvant ainsi entre le marteau et l’enclume, Carol Ier décide de renoncer aux secrétaires qui ne faisaient pas preuve d’impartialité et il eut recours à des secrétaires provenant de pays neutres. Au début, ce fut un Belge, auprès duquel Basset allait d’ailleurs faire son apprentissage, ensuite Basset lui-même, recommandé par le directeur de la Poste de Neuchâtel, qui était venu en Roumanie conseiller les Roumains sur la façon d’organiser leur propre service postal. »
Louis Basset a aidé Carol Ier dans ses efforts de moderniser la Roumanie. Durant la Première Guerre mondiale, il a quitté la Roumanie pour la Suisse. Durant les 4 ans qu’il est resté à Genève, il a rédigé son journal. Il est mort en 1930 et c’est à peine maintenant que le public roumain connaît ses idées, pas toujours conformes à l’image que celui-ci s’était déjà forgée de la Première Guerre mondiale, mais qui ont leur valeur de vérité et leur profondeur. (Trad. : Dominique)