Le cimetière Bellu – le Père-Lachaise roumain
Christine Leșcu, 07.07.2019, 14:27
Un nombre impressionnant de personnalités
culturelles et politiques y reposent et de véritables œuvres d’art y ont été
érigées, dues à des architectes et des artistes qui ont marqué de leur sceau le
paysage urbain. L’historienne de l’art Oana Marinache nous invite à une
incursion dans les origines du cimetière Bellu de Bucarest. « Si
l’on fait un saut en arrière, vers la première moitié du 19e siècle,
on constate que les racines mêmes de notre ville sont liées à l’histoire de ce
lieu. A l’époque, la zone était couverte de jardins, de vergers et de vignobles
appartenant soit à l’archevêché de l’Eglise orthodoxe, soit au monastère de Văcăreşti,
soit au baron Barbu Bellu. Homme éclairé, ce boyard a occupé des fonctions
importantes dans l’administration publique : il a été échanson, député,
ministre des Cultes et de la Justice. Il a compris le besoin de mettre en œuvre
une décision plus ancienne, remontant aux Règlements organiques adoptés autour
de l’année 1830, de bannir les enterrements et les tombeaux du centre-ville, là
où se trouvaient les églises paroissiales et les tombes qui les entouraient.
Les tombeaux du centre-ville représentaient en fait des foyers d’infection.
Aussi, en 1830, avait-on prévu que toutes les confessions disposent de cimetières
au-delà des confins de la ville et de la zone résidentielle. En 1852, c’est à
cette fin que Barbu Bellu offre en donation une partie de son domaine à la
municipalité de Bucarest. Les années suivantes, les bâtiments administratifs
allaient y être construits : la maison du gardien et la chapelle, la
première de ce genre, selon les projets de l’architecte Alexandru Orăscu. En 1859,
selon les documents conservés jusqu’à nos jours, commence l’achat des parcelles
de terrain pour les tombeaux. »
Un des premiers enterrements qui y eut lieu,
en 1859, fut celui de la fille de l’homme politique et journaliste C.A.
Rosetti, morte à l’âge de 3 ans. C’est au cimetière Bellu qu’exerça son talent
la première génération d’architectes roumains, dont le chef de file a été,
incontestablement, Ion Mincu, créateur du style architectural néo-roumain. Oana
Marinache nous parle des monuments funéraires les plus connus de ce cimetière. « Il
s’agit, avant tout, d’un ensemble de cinq caveaux conçus par l’architecte Ion
Mincu et dont les plus renommés sont ceux des frères bulgares Gheorghiev et du
Nabab – surnom du prince Georges Grégoire Cantacuzène. Jusqu’à la fin du 19e siècle et
durant les premières années du 20e, la plupart des monuments
funéraires étaient probablement commandés à l’étranger par des familles aisées.
C’est pourquoi de nombreuses sculptures réalisées par des artistes étrangers
décoraient les allées du cimetière. Pourtant, dès lors que Ion Mincu crée un
style d’architecture funéraire, le cimetière Bellu se fait une place parmi les
grandes zones de ce genre du continent. Il faut dire qu’Ion Mincu a été très
impressionné par un voyage qu’il avait fait pendant ses études. Il est arrivé
jusqu’à Constantinople et il a été si impressionné par la basilique
Sainte-Sophie qu’il a eu cette idée ingénieuse d’associer la coupole byzantine
aux éléments de l’architecture funéraire occidentale. Il a été soutenu dans son
travail par des familles importantes. Parmi ceux qui lui ont commandé des
caveaux comptaient l’homme politique libéral Eugen Stătescu, les banquiers et
marchands Gheorghiev, le général Iacob Lahovary, les familles de boyards Ghica
et Cantacuzène. En créant ces monuments, il lançait une mode et, pendant
l’entre-deux-guerres, ses anciens étudiants et d’autres architectes qu’il avait
influencés ont tenté d’imiter son style et d’adapter le modèle qu’il avait
créé. »
Au
fil du temps, les terrains entourant le cimetière Bellu ont été eux aussi
transformés en cimetières appartenant aux confessions catholique, évangélique
ou juive, ainsi qu’à l’armée. En 1990 y était également créé le cimetière des
Héros de la révolution de 1989. De nos jours, le cimetière Bellu fait partie du
patrimoine national et il peut être visité, comme un musée en plein air. (Trad. :
Dominique)