Les Roumains et leurs ancêtres
Comme tous les autres peuples, les Roumains ont eux aussi, des mythes sur leurs ancêtres, qui en exaltent la grandeur, la force civilisatrice, la vitalité créatrice dans tous les domaines de la vie matérielle et spirituelle, augmentant la confiance de leurs descendants.
Steliu Lambru, 02.06.2019, 13:05
Les ancêtres des Roumains sont les Daces et les Romains. Les Géto-Daces étaient la population ancienne qui occupait grosso modo le territoire actuel de la Roumanie. Pourtant, d’autres populations – celtiques, germaniques et scythiques – y vivaient aussi. Les Géto-Daces sont mentionnés au 5e siècle av. J-Chr. par Hérodote, l’historien grec de l’Antiquité, et on les retrouve également dans les écrits des historiens des siècles suivants. Les références sont peu nombreuses, ce qui atteste le fait que les Géto-Daces représentaient une population située à la périphérie du grand espace de la civilisation et de la culture méditerranéennes. Les découvertes archéologiques ne sont pas plus riches que les sources écrites. Les Romains, qui représentent l’autre branche d’ancêtres des Roumains, n’ont plus besoin de présentation. En l’an 106 après deux guerres successives, l’empereur romain Trajan a vaincu le roi dace Décébale et la Dacie fut entièrement occupée par l’Empire romain jusque vers l’an 270, lorsque les Romains se sont retirés au sud du Danube.
Au 19e siècle, la création des Etats nationaux fut précédée par une quête des ancêtres. Les Roumains ont découvert les Daces et les Romains et des mythes se sont tissés autour d’eux. Le plus grand mythe a été celui de l’ancienneté de la langue et de la continuité spirituelle de ces ancêtres et les intellectuels se sont hâtés de « produire de la science » sur eux.
Selon le linguiste Dan Alexe, Mircea Eliade a compté parmi les créateurs de mythes sur les Daces : « Le livre de Mircea Eliade « De Zamolxis à Genghis Khan » est un exemple précis de méthode erronée et d’approche exaltée dans ce domaine. Ce volume est une compilation d’articles que Mircea Eliade avait publiés dans différentes revues. Ce que l’on y découvre est un magma occultiste d’idées mystiques, selon lesquelles un culte du loup aurait traversé l’histoire des Roumains. C’est là un des fils conducteurs du livre. Et tout est erroné, rien ne tient debout. Eliade prend pour point de départ l’idée que les Daces vénéraient le loup. Pourtant, dans les textes antiques, dans les relations antiques sur les Daces, rien ne soutient cette affirmation. Eliade tente de prouver, sans pour autant apporter des arguments solides, car il n’était pas linguiste, que le nom « Dace » lui-même, aurait signifié « loup ». Or, dans l’anthropologie, c’est absurde. Il n’y a pas de population sur la planète qui se soit désignée, de manière totémique, par un nom d’animal. Il n’y a jamais eu de population qui s’appelle, elle-même, « les loups ». Les populations se désignent par le terme générique d’« homme », comme par exemple cette tribu germanique qui s’est désignée elle-même par le terme d’« Aléman » – c’est-à-dire « tous les hommes ». En général, du point de vue historique, une population n’a pas d’identité ethnique, elle se considère elle-même comme représentant les vrais « hommes » au sens générique du terme, les autres étant pour elle « les étrangers » et « les barbares ». »
Les mythes sur les ancêtres se caractérisent par leur continuité et leur permanence. Dan Alexe estime que, dans l’œuvre de Mircea Eliade, le loup a été soumis à ce cliché mental : « Le même Mircea Eliade affirme qu’en s’installant en Dacie, les Romains apportaient leur propre loup comme identité totémique – Lupa Capitolina (la Louve Capitoline) – et que Mars lui-même, le dieu de la guerre chez les Romains, aurait été un dieu-loup. Or, dans la typologie de Mars, rien ne justifie cette identification avec le loup. Eliade suggère que le loup dacique et le loup latin auraient fusionné, après quoi, ce loup aurait continué d’exister jusqu’aux invasions mongoles de Genghis Khan, les Mongols ayant eux aussi comme totem le loup. (Selon la légende, Genghis Khan serait né de l’union mystérieuse avec une louve.) Le loup dacique aurait donc subsisté pendant un millier d’années, jusqu’à ce que les Mongols de Genghis Khan y apportent un autre loup. C’est ainsi que le totem et le loup ont fini par nous définir au fil des millénaires. »
Dan Alexe estime qu’il faut faire très attention à la véracité des informations que les sources antiques nous fournissent sur les populations éloignées : « On trouve quelques remarques chez Strabon et, en parlant des Daces, Hérodote dit, lui, qu’ils étaient « les plus justes des Thraces ». N’oublions pas que les Grecs ne nous ont laissé aucun guide de conversation, aucun dictionnaire, aussi minuscule soit-il, des langues environnantes. Les Grecs avoisinaient les Thraces, les Phrygiens, les Lydiens et d’autres peuples dont on ne sait absolument rien, parce que les Grecs ne s’intéressaient pas du tout aux idiomes qu’ils parlaient, pour eux c’étaient des « barbares ». Si l’on ne dispose pas d’un dictionnaire grâce auquel on puisse découvrir quelle langue parlait Alexandre le Grand, qui n’était pas Grec à 100% – la langue macédonienne était quand même différente, ce n’était pas une langue grecque – pouvons-nous imaginer qu’ils savaient des choses précises sur les barbares du Danube, qui se trouvaient à 2.000 km vers le nord, dans des territoires inaccessibles ? « Dace » et « Gète » sont des appellations génériques. Dans ma jeunesse, quand quelqu’un quittait la Roumanie, passant illégalement la frontière en Yougoslavie, on disait de lui qu’il s’était enfui « chez les Serbes ». Les Macédoniens, les Albanais, les Croates, les Slovènes étaient tous « des Serbes ». Pour nous, c’était «chez les Serbes ». Si, avec toutes les possibilités d’information dont on dispose actuellement, les choses sont ainsi à notre époque, comment pouvons-nous croire qu’Hérodote savait exactement qui étaient les Daces ? »
Les ancêtres des Roumains ont leur place dans l’histoire ; ils ont été les gens de leur époque, avec leurs aspirations et leurs échecs, en rien supérieurs ou inférieurs aux autres. Tout comme nous, aujourd’hui. (Trad. : Dominique)