Logements sociaux en Roumanie pendant l’entre-deux-guerres
Au début du 20e siècle, alors que la capitale roumaine était en pleine expansion, les responsables de la municipalité se donnaient pour but d’assainir la ville et de construire des habitations adéquates pour une couche sociale de plus en plus nombreuse : celle des ouvriers et des petits artisans. C’est ainsi qu’en 1907-1908 fut élaboré un programme de construction de logements à prix modique, adopté ultérieurement par une société créée dans ce but. Cela se passait pendant le mandat du maire libéral Vintilă Brătianu et bien que les projets de cette société aient été conçus pour répondre à l’idéal de la ville-jardin, la raison initiale était, en fait, moins poétique : éradiquer la tuberculose qui ravageait la capitale.
Christine Leșcu, 14.04.2019, 11:30
Au début du 20e siècle, alors que la capitale roumaine était en pleine expansion, les responsables de la municipalité se donnaient pour but d’assainir la ville et de construire des habitations adéquates pour une couche sociale de plus en plus nombreuse : celle des ouvriers et des petits artisans. C’est ainsi qu’en 1907-1908 fut élaboré un programme de construction de logements à prix modique, adopté ultérieurement par une société créée dans ce but. Cela se passait pendant le mandat du maire libéral Vintilă Brătianu et bien que les projets de cette société aient été conçus pour répondre à l’idéal de la ville-jardin, la raison initiale était, en fait, moins poétique : éradiquer la tuberculose qui ravageait la capitale.
Notre interlocuteur est l’historien Andrei Răzvan Voinea, auteur du livre « Mode idéal d’habiter à Bucarest : la famille possédant une maison avec jardin. Les parcellements des Sociétés communales pour les habitations à prix modéré, Bucarest 1908-1948 ».
Andrei Răzvan Voinea : « Le principal but de la Société était de construire des habitations dans de petits quartiers ou sur des terrains issus de parcellements de propriétés situées en banlieue. Durant les 40 années de son existence, la Société a réalisé des projets pour 20 à 25 parcellements, qui ont permis la construction de 4 mille habitations. En 1910, Bucarest était loin de l’image idyllique que nous nous en faisons peut-être aujourd’hui : belles villas et dames élégantes se promenant le long de l’Avenue de la Victoire. En réalité, c’était une ville de 300.000 habitants où l’on enregistrait environ 6.000 décès par an, dont un millier par tuberculose. Or, la tuberculeuse est due entre autres aux mauvaises conditions d’habitation. Des gens du milieu rural affluaient vers la capitale et ils habitaient de petites maisons sans éclairage et mal aérées. Les responsables se sont rendu compte qu’ils devaient faire quelque chose pour ces habitants vulnérables. Ils ont donc envisagé de construire des maisons vendues initialement à des prix modiques et payés par mensualités, destinées aux ouvriers, aux petits employés, aux tailleurs, aux boulangers etc., pour qu’ils puissent bénéficier de meilleurs conditions de vie. »
Pourtant, peu à peu, au fil des 40 années de son existence, la Société a oublié le but initial de son activité. Răzvan Voinea : « En 1912, la Société pour les logements sociaux a commencé à conclure des partenariats avec trois ou quatre grandes institutions d’Etat. La première fut la Société des Chemins de Fer. Les quartiers Grivița et Steaua (dans le nord de la capitale) et Viilor (dans le sud-est), furent le fruit de cette collaboration. D’autres protocoles furent signés avec la Régie des Monopoles d’Etat, dont est issu le quartier Regie, ainsi qu’avec le Ministère des Finances et l’armée. Ces institutions étaient pratiquement les commanditaires. La Société devenait déjà un promoteur immobilier plutôt qu’un constructeur d’habitations à prix modique. Ce n’étaient plus des habitations de 40-50 m2 qui auraient pu être vendues à des prix accessibles. On commençait à bâtir des habitations plus complexes et leurs prix augmenta. Du coup, les ouvriers et les boulangers, les typographes, les tanneurs et tous les autres petits artisans ne pouvaient plus s’acheter ces maisons, qui allaient accueillir une classe moyenne, constituée notamment de fonctionnaires d’Etat. Finalement, en 1948, lorsque la société a été dissoute, son but était entièrement oublié. »
Au début, les prix de ces maisons – mensualités et taux d’intérêts compris – étaient accessibles aux ouvriers. Ensuite, ils ont beaucoup augmenté. En 1933, lorsque le quartier Vatra Luminoasă fut construit dans l’Est de la capitale, le montant de la mensualité était de 1.000 lei. C’était la somme qu’un ouvrier gagnait par mois à l’époque. Les hauts fonctionnaires gagnaient beaucoup plus, mais théoriquement, ce programme ne leur était pas destiné. Ses effets sur l’aspect de la ville et sur les conditions de vie de ses habitants ont été néanmoins bénéfiques, ces maisons étant construites dans des zones strictement résidentielles, pour lesquelles on avait prévu toutes les facilités de l’époque : électricité, rues goudronnées, système d’égouts. La valeur architecturale des habitations était également incontestable.
Andrei Răzvan Voinea : « La Société pour les logements sociaux a collaboré avec de très bons architectes. Le plus remarquable d’entre eux fut Ioan Traianescu, qui avait été l’architecte de la cathédrale de Timişoara. Il a été architecte en chef de la Société à deux reprises : en 1912, à sa création, et ensuite entre 1923 et 1927. Les maisons sont très belles, pour la plupart de style néo-roumain, en vogue à l’époque. Ce sont des maisons d’une très grande valeur architecturale. C’est d’ailleurs là une des raisons pour lesquelles elles sont très recherchées actuellement. Elles présentent aussi un autre avantage : les zones où elles ont été bâties étaient strictement résidentielles, sillonnées de petites rues étroites, qui ne se prêtent pas tellement à la circulation routière. Chaque maison est prévue d’un petit jardin ou d’une cour, ces quartiers étant jolis et très calmes. ». (Trad. : Dominique)