Constant Tonegaru
Parmi les destins qui ont été coupés court trop tôt et trop durement par le régime communiste figure aussi celui du poète Constant Tonegaru.
Steliu Lambru, 01.09.2019, 13:07
Parmi les destins qui ont été coupés court trop tôt et trop durement par le régime communiste figure aussi celui du poète Constant Tonegaru.
Né en 1919 et décédé en 1952, avant son 33e anniversaire, il a toutefois eu le temps de marquer lavant-garde poétique de lépoque et celle des générations qui ont suivi : à commencer par les poètes des années 80 jusquà ceux qui se sont lancés dans les années 2000.
A part son talent hors du commun, Constant Tonegaru a eu une vie très intéressante. La première moitié de son existence est marquée par un crime passionnel : son père, militaire de la marine, tue lamoureux de sa mère, après le divorce. Plus tard, à linstar de nombreux autres intellectuels, Constant Tonegaru devient victime de lépuration démarrée par le régime communiste installé en 1945. Il passe beaucoup de temps dans les prisons communistes et y connaît la torture et les conditions inhumaines de vie. Il en sort tellement affecté et malade quil meurt 100 jours après sa libération.
A lheure où lon parle, un siècle plus tard, sa personnalité et son talent sont toujours vivants dans la mémoire de ceux qui lont connu, dont lécrivain Barbu Cioculescu : « Jai fait la connaissance de Constant Tonegaru pendant la guerre, à une époque où, sous linfluence du critique littéraire Vladimir Streinu, il était en train de définir son style. Il avait commencé à publier vers 1942, quelques poésies seulement. Puis, il a fait paraître le volume «Plantations» (Plantatii), dont le titre réel était en fait « Plantation de clous ». Je lai donc rencontré dans le petit groupe qui fréquentait la maison de Vladimir Streinu. Jétais élève au lycée. Il ma énormément impressionné, car il avait une personnalité magnétique. On se rendait compte tout de suite que cétait quelquun de très spécial. Peut-être quil cultivait même une certaine ostentation. Il a mené une vie plutôt modeste et malheureuse, car il nous a quittés 100 jours seulement après être sorti de prison, probablement à cause de conditions dures de détention. Sa situation financière nétait pas des meilleures non plus ».
En 1945, un groupe décrivains roumains dont Constant Tonegaru faisait également partie avait jeté les bases dune association nommée « Mihai Eminescu » pour lutter contre les persécutions que les forces soviétiques menaient contre les intellectuels. Parallèlement, lassociation se proposait dobtenir des aliments et des médicaments en provenance dOccident pour les distribuer par la suite aux intellos figurant sur la liste noire du régime communiste. Cest de cette manière que Constant Tonegaru est entré dans le collimateur des autorités communistes qui lont arrêté en 1949 avant de le jeter en prison, à Aiud.
Le jour de sa libération, Constant Tonegaru était déjà touché par une grave maladie pulmonaire marquée par de fortes crises dhémoptysie, ce qui explique son décès peu de temps après.
Barbu Cioculescu sen souvient : « Je me rappelle le jour où papa ma réveillé directement pour me dire : vite, quelque chose de terrible est arrivé à Tonegaru ! Et moi jai demandé : est-ce quil sest de nouveau fait arrêter ? Non, a dit mon père. Il a rendu lâme ! » Ce fut là un des pires moments de ma vie. Lui, il était de 1919, moi, de 1927. Huit ans décart entre nous, ce qui ne la pas empêché de maccepter dans son groupe. Son évolution post mortem fut assez bizarre, surtout que daprès moi, Tonegaru est un poète important, voire très important. Ou, de toute façon, un poète extrêmement authentique. Or, malheureusement, il na jamais joui de la gloire quil aurait méritée, ni à lépoque, ni à présent. »
Lors de la parution, en 1945, de son premier volume – «Plantations » -, il a fallu attendre 24 ans pour quun deuxième recueil, « LEtoile de Vénère » voie la lumière du jour, et cela grâce à Barbu Cioculescu. En 2003, la Maison dédition Vinea a fait paraître une édition définitive, post mortem, du volume « La Plantation de clous », comme quoi la poésie de Constant Tonegaru résiste à travers le temps, selon le critique littéraire Cosmin Ciotlos.
Cosmin Ciotlos : « Il est évident que Tonegaru a inspiré en quelque sorte les poètes actuels tels Florin Iaru, Traian T. Coşovei ou même Mircea Cărtărescu. Il suffit de jeter un coup dœil sur leurs textes pour en avoir la certitude, même sils ne lont jamais mentionné parmi leurs précurseurs. Sauf Cărtărescu qui lui consacre un tout petit paragraphe dans lhistoire du postmodernisme roumain. Les cas des poètes comme Tonegaru – plein doriginalité, à même de coaguler autour deux des générations si différentes et parfois irréconciliables -, se font plutôt rares. Or, dans ce cas, il est évident que Tonegaru a influencé les poètes de la génération 60, surtout ceux parus à la fin de cette période. Cela se sent, même si on ne peut pas le prouver effectivement. Dailleurs, grâce à cette édition définitive du volume « La Plantation de clous », Constant Tonegaru continue dinspirer les poètes roumains de nos jours encore ». (Trad. Valentina Beleavski, Ioana Stancescu)