La colonie Orgamè (Argamum)
Les colonies grecques étaient de véritables satellites des cités helléniques de l’Antiquité. Un de ces satellites était Orgamè ou Orgamon ou encore Argamum, selon son nom latin. Situé au point de confluence des lacs Razim et Golovița, Orgamè a été fondée par les colons grecs d’Asie Mineure. Le nom de leur métropole d’origine n’est pas connu. Après plus d’un demi-siècle d’existence, durant lequel Orgamè est devenue toujours plus florissante, ce port niché dans un ancien golfe de la mer Noire fut occupé par l’Empire romain, au Ier siècle après-J. Chr., alors que Rome consolidait sa présence dans la région du Bas-Danube.
Ștefan Baciu, 08.09.2019, 13:30
Les ruines de la cité ont été découvertes par l’historien Vasile Pârvan, en 1916. Sur le site s’étendant sur 100 hectares se trouvent les restes d’un mur d’enceinte, un portail, quelques rues, des basiliques paléochrétiennes et des fortifications de terre. Ștefan Constantin est guide touristique. Il aide les personnes qui s’aventurent dans ces lieux – de nos jours sauvages – à comprendre ce qu’ils voient. Il paraît que les Grecs fondateurs de la colonie se sont dirigés un peu plus tard vers le nord, vers la mer Noire, ainsi que vers les autres points cardinaux.: « C’est à peine au 7e siècle av. J.-Chr. que les Grecs ont osé explorer la mer Noire, évidemment à des fins commerciales, car la pression sociale avait augmenté dans les cités grecques de l’Antiquité. Elles avaient besoin de nouveaux marchés, de nouveaux espaces. Les Grecs sont donc arrivés au bord de la mer Noire, où ils ont fondé leur première grande colonie. Le principal argument en faveur de cette hypothèse est l’existence un tertre, qui représente une tombe antique grecque, lieu d’incinération unique dans les Balkans et dans le bassin de la mer Noire. Cette tombe a été si importante pour les habitants de la ville, qu’elle a fait naître un véritable culte du héros, perpétué pendant environ 4 siècles. Toutes les sources archéologiques trouvées lors des fouilles prouvent que ce tumulus remonte au 7e siècle, soit aux années 640-630 av. J.-Chr., date à laquelle la colonie a été fondée. Le personnage pour lequel ce tumulus a été élevé était si important que les archéologues ont supposé qu’il s’agit du « dirigeant » de la colonie lui-même. »
Nous apprenons, par Ștefan Constantin, qu’un rocher, insignifiant de nos jours à nos yeux, occupait une place importante dans la topographie de la ville: « Ce rocher est mentionné dans un seul endroit. Un géographe romain du 2e siècle après-J. Chr. en parle, l’appelant « Teron Akron ». « Akron signifie « falaise ». Quant au mot « teron », en grec ancien il avait deux significations : « plume d’oiseau » et « portique » ou « péristyle », c’est-à-dire colonnade. Ce rocher était-il le « Promontoire des plumes » ? S’agissait-il de colonnades ? Peu probable, les archéologues ayant abouti à la conclusion qu’au 2e siècle apr. J.-Chr., la colonie était faiblement peuplée et avait été désertée depuis une génération ou deux. Alors pas question de colonnade – ou de plumes. »
En jugeant d’après les recherches – peu nombreuses – menées jusqu’ici, les archéologues estiment que la géographie des lieux était différente. Ștefan Constantin : «A l’époque, il y avait là un golfe, que les Grecs ont appelé « Halmyris » – soit « eau saumâtre », c’est-à-dire peu salée. Cette eau se rencontre essentiellement à l’embouchure des fleuves, quand l’eau douce se mélange à l’eau de mer. La route maritime passait par l’endroit où se trouve aujourd’hui Gura Portiței, à l’embouchure du Danube. C’était la principale voie d’accès à cet ancien golfe. Il y avait aussi une petite île sur laquelle avait été installé un point militaire de contrôle. Ensuite, en traversant le lac Razim, les bateaux gagnaient le Danube par un de ses bras secondaires, actuel canal Dunavăț, et ils sortaient dans la zone de l’actuelle localité de Murighiol, où se trouvait la cité antique d’Halmyris, ainsi nommée selon l’ancienne baie qui se trouvait à proximité. A l’époque romaine, Halmyris était une cité importante, plus importante qu’Orgamè, parce la flotte militaire romaine de frontière y était installée. »
Sur le site de l’ancienne Orgamè se sont conservés des restes d’habitations dans la zone Est de la falaise, une nécropole et des fours artisanaux pour la céramique. S’y ajoutent un fragment d’un mur d’enceinte, quelques édifices et d’autres fours situés sur le promontoire, ainsi que des tombes tumulaires, datant du 5e siècle av.-J. Chr., période classique de la civilisation grecque de l’Antiquité. Les caractéristiques des époques qui ont suivi – grecque tardive et romaine précoce – sont à retrouver à l’extérieur des murs d’enceinte. En tant que matériau de construction, les habitants utilisaient le bois. On estime que durant sa période la plus florissante, aux 4e et 5e siècles apr. J.-Chr., Orgamè comptait 10.000 habitants ; les plus riches vivaient à l’intérieur des murs, les plus pauvres avaient leurs habitations à l’extérieur de murs. Orgamè a disparu suite à l’invasion des Avars qui ont franchi la frontière romaine du Danube, au 7e siècle apr. J.-Chr. Ștefan Constantin: « La cité a été définitivement détruite autour de l’an 665. Toute la Scythie Mineure – actuelle Dobroudja – a été balayée par la vague des migrations. Les Bulgares et les Avars s’étaient alliés et ils ont tout réduit en poussière. De nombreux habitats n’ont pas survécu, quelques-uns seulement ont réussi à renaître : les villes actuelles de Tulcea, Constanța (ancienne Tomis), Mangalia (ancienne Callatis), oui, mais pas les cités frontalières – comme Orgamè. C’est à la même époque qu’Histria a cessé d’être habitée. Les destructions ont été d’envergure. Les envahisseurs ont tout brûlé, les murs d’enceinte ont été détruits. En ce qui concerne Orgamè, les archéologues ont découvert que 50 – 70 ans après l’invasion, il n’y avait plus de signe d’une présence humaine que sur la véranda de l’église. Peut-être une ou deux familles avaient-elles refermé le mur devant l’entrée de l’église et ont utilisée celle-ci, pendant une génération ou deux, comme espace d’habitation. Pourtant, après cette période, aucune trace de présence humaine n’a pu y être décelée. »
Comme tout lieu abandonné et sombré dans l’oubli, Orgamè fascine les passionnés d’histoire, qui ne cessent d’y retourner, tentant de percer son mystère. (Trad. : Dominique)