Le parcellement Filipescu et la naissance d’un quartier
A l’extrémité nord de Bucarest, l’Avenue Victoria, le boulevard le plus ancien et le plus important de la capitale, bifurque en deux belles avenues connues aujourd’hui comme la Chaussée Kiseleff et le boulevard Aviatorilor. Au 19e siècle, cet endroit de la banlieue bucarestoise alors, lieu de promenade et de batailles de fleurs, était appelée « La Chaussée ». La ville y finissait et d’immenses domaines, couverts de jardins, de vergers et de vignobles se déployaient à partir de là, à perte de vue. Vers la fin du 19e siècle, lorsque la ville s’était développée et avait besoin de nouvelles zones résidentielles, la Chaussée a commencé à se métamorphoser et se divisa en deux. Une partie fut appelée « La Chaussée Kiseleff», l’autre porta plusieurs noms, dont « La Chaussée Jianu », devenue de nos jours le boulevard Aviatorilor.
Christine Leșcu, 21.10.2018, 13:18
A l’extrémité nord de Bucarest, l’Avenue Victoria, le boulevard le plus ancien et le plus important de la capitale, bifurque en deux belles avenues connues aujourd’hui comme la Chaussée Kiseleff et le boulevard Aviatorilor. Au 19e siècle, cet endroit de la banlieue bucarestoise alors, lieu de promenade et de batailles de fleurs, était appelée « La Chaussée ». La ville y finissait et d’immenses domaines, couverts de jardins, de vergers et de vignobles se déployaient à partir de là, à perte de vue. Vers la fin du 19e siècle, lorsque la ville s’était développée et avait besoin de nouvelles zones résidentielles, la Chaussée a commencé à se métamorphoser et se divisa en deux. Une partie fut appelée « La Chaussée Kiseleff», l’autre porta plusieurs noms, dont « La Chaussée Jianu », devenue de nos jours le boulevard Aviatorilor.
L’historienne de l’art Oana Marinache renoue le fil de l’histoire : « La création de l’ancien boulevard Colțea, qui reliait à l’époque la Place Romană à la Place Victoria, fut un pas important dans le développement urbain de la capitale. Ce boulevard, appelé de nos jours Lascăr Catargiu, a été tracé durant le mandat du maire de Bucarest Nicolae Filipescu, à la fin du 19e siècle et au début du 20e. En 1902 déjà, les autorités envisageaient d’élargir davantage l’Avenue Jianu et d’instituer des règles de construction, après l’expropriation des vastes domaines qui s’y trouvaient, pour gagner des terrains qui puissent être transformés en zones résidentielles. »
Sans rapport direct avec le maire Nicolae Filipescu, un autre Filipescu allait contribuer à l’aménagement de la Chaussée Jianu : il s’agit d’Alexandru Filipescu, petit-fils d’un riche boyard influent qui s’appelait toujours Alexandru Filipescu, mais surnommé « le Renard ». Oana Marinache : « On lui avait donné ce sobriquet parce qu’il était assez habile pour négocier sa position à la cour suite à tout changement politique, réussissant toujours à s’adapter à la nouvelle situation. Il n’a pas eu d’héritiers. Il a quand même eu un fils – illégitime à sa naissance – qu’il allait reconnaître par la suite et qui s’appelait Ioan Filipescu. Ce dernier a épousé Eliza Bibescu, la fille du prince régnant Bibescu. C’est de ce mariage qu’est né le deuxième Alexandru Filipescu, celui dont il est question dans notre entretien. Or, en 1912, l’idée vint à ce deuxième Alexandru Filipescu de diviser sa propriété, donc le domaine hérité de son grand-père. Jusqu’en 1913, ce boyard, homme d’affaires et promoteur immobilier avant la lettre, réussit à vendre plus de 120 parcelles de terre, mesurant entre 500 et 1.000 mètres carrés. Il poursuivit cette initiative jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Alexandru Filipescu allait s’éteindre en 1916. Il a assumé la responsabilité de doter cette zone de tous les services nécessaires, qu’il paya de son argent. Il allait également faire don à la ville de Bucarest de deux parcs, en fait deux zones vertes, pour contribuer à l’idée de faire de la capitale une ville-jardin. Il n’a donc pas pensé uniquement aux spéculations immobilières, mais aussi à embellir cette partie de la ville. Il a gardé pour lui-même un lopin de terre, vers l’actuel boulevard Aviatorilor, pratiquement un grand parc où il a fait construire une villa d’après les plans de l’architecte Roger Bolomey. Il a également tracé les allées de sa propriété selon une idée française, les bordant de différentes espèces d’arbres. Ces allées, il les a baptisées du nom de ses ancêtres, gardant pour une des principales rues du nouveau quartier son propre nom et celui de son grand-père: l’allée Alexandru. »
La villa du prince Alexandru Filipescu, que l’on peut voir de nos jours encore, boulevard Aviatorilor, est un des joyaux d’architecture de la capitale. Oana Marinache : « Les plans de la villa sont signés par Roger Bolomey, architecte roumain d’origine suisse, né à Piatra-Neamț, dans le nord-est de la Roumanie, où il a créé de belles villas. Etant originaire de Moldavie, il a adopté le style néo-roumain et il utilisait la brique apparente, ainsi que les belvédères qui rappelaient l’architecture des monastères de Bucovine. »
Peu à peu, sur les parcelles de Filipescu allait se développer une des plus belles zones résidentielles de la ville. Les propriétaires ont acheté leurs parcelles en 1912-1913, mais la construction des villas allait se prolonger jusqu’à l’entre-deux-guerres. Les acquéreurs étaient des personnes aisées : banquiers, hommes politiques, boyards, industriels et artistes. L’architecture des villas était généralement néo-roumaine, un style qui s’était imposé notamment après la Grande Union de 1918. C’est le cas de l’édifice qui abrite l’Institut culturel roumain. Oana Marinache détaille : « Vasile Morțun a été le premier propriétaire et commanditaire de la villa située 38, Allée Alexandru. Elle a été construite selon les plans de l’architecte Petre Antonescu. Pendant l’entre-deux-guerres, la villa allait être achetée par l’industriel Nicolae Malaxa, qui allait l’agrandir, d’après les plans d’un autre architecte, Richard Bordenache. Des représentants d’une autre catégorie socio-professionnelle allaient s’installer dans la zone : des peintres et des artistes. Côté architecture, les règlements n’étaient pas très stricts à l’époque. Des projets d’une grande variété architecturale y furent donc mis en œuvre, signés par des personnalités importantes de l’architecture roumaine mais aussi internationale. »
Malgré les destructions et les changements que la capitale a subis pendant le régime communiste, cette zone a réussi à conserver son aspect élégant. Pourtant, hélas, ces derniers temps, des constructions modernes et nullement inspirées y ont fait leur apparition, qui ne s’harmonisent pas avec les villas du quartier et ne respectent pas les règlements institués pour protéger cette zone appartenant au patrimoine architectural de la ville de Bucarest. (Trad. : Dominique)