Augustin Buzura et la censure communiste
Comme dans tout régime totalitaire, dans la Roumanie communiste, la censure était omniprésente et visait notamment les créations intellectuelles. Nombre d’écrivains se sont retrouvés dans le collimateur des autorités, étant obligés à modifier leurs textes ou tout simplement à renoncer à faire publier leurs livres. Augustin Buzura a été un des auteurs qui ont dû se battre contre la censure communiste, ayant fini par gagner la sympathie des lecteurs et l’appréciation des critiques.
Christine Leșcu, 07.10.2018, 12:21
Comme dans tout régime totalitaire, dans la Roumanie communiste, la censure était omniprésente et visait notamment les créations intellectuelles. Nombre d’écrivains se sont retrouvés dans le collimateur des autorités, étant obligés à modifier leurs textes ou tout simplement à renoncer à faire publier leurs livres. Augustin Buzura a été un des auteurs qui ont dû se battre contre la censure communiste, ayant fini par gagner la sympathie des lecteurs et l’appréciation des critiques.
Né le 22 septembre 1938 et décédé le 10 juillet 2017, Augustin Buzura a étudié la médecine et il a même flirté avec l’idée de devenir psychiatre. Pendant ses années d’études, il a pourtant commencé à publier des articles dans d’importantes revues culturelles et il a fini par opter définitivement pour la littérature, ne pouvant pas pratiquer deux métiers très prenants en même temps.
Dans une interview à Radio Roumanie Culture et conservé dans la phonothèque de la Radio, Augustin Buzura évoquait, en 2008, ses débuts littéraires : « Mon premier livre est sorti alors que j’étais étudiant en 3e année. J’avais écrit de la prose. Je travaillais pendant la nuit, lorsque les salles de lecture du foyer étudiant commençaient à se vider. C’est la nuit que j’ai réussi à écrire le volume de récits « Le cap de bonne espérance », qui a eu du succès auprès des lecteurs. Les récits réunis dans ces volumes ont été publiés dans la revue Tribuna ou dans d’autres revues culturelles. Le livre est paru dans la collection « Luceafărul » des Editions d’Etat pour la littérature et l’art. J’ai donc fait mon entrée dans le monde littéraire sous la pression des études de médecine. »
Le premier livre d’Augustin Buzura, « Le cap de bonne espérance », était publié en 1963. Les années suivantes ont été marquées par une certaine détente et libéralisation du régime communiste, ce qui a permis à la littérature de s’éloigner de la doctrine du « réalisme socialiste » et de s’exprimer plus librement. Cela n’a pourtant pas duré. En 1971, Nicolae Ceauşescu lançait la « mini-révolution culturelle » conçue selon le modèle maoïste.
Augustin Buzura : « La censure n’était pas aussi sévère qu’elle allait le devenir après la mini-révolution culturelle opérée au début des années ’70. Il y avait certaines règles, que l’on ne devait pas ignorer, mais à l’époque, cela ne m’intéressait pas de le faire. Par exemple, on ne devait pas écrire « allemand » mais « est-allemand » ou « ouest-allemand », on ne devait pas donner des noms de fabriques, de produits ou de tout ce qui entrait dans cette zone de protection primitive. Pourtant, on pouvait écrire presque tout ce que l’on souhaitait, à condition de ne pas s’en prendre directement au régime. En échange, on pouvait le décrire – ce qui me paraissait encore plus nocif que de l’attaquer ouvertement par les mots. Moi, j’ai choisi de le décrire et de parler de l’être humain dans le contexte d’une histoire brutale. J’ai écrit le roman « Les Absents ». Je l’ai écrit plutôt facilement et, à mon grand étonnement, une fois réalisée la mini-révolution culturelle, je fus frappé d’une interdiction de publier. Par la suite, j’ignore en vertu de quelle logique, le roman fut interdit de publication à nouveau en 1988, alors que dans les librairies et les bibliothèques il n’y en avait plus aucun exemplaire. »
Malgré ses nombreuses tentatives, Augustin Buzura n’a pas réussi à apprendre la raison de cette interdiction. Finalement, on lui donna une explication plutôt vague : il paraît qu’il y avait dépeint le régime dans des couleurs trop sombres.
Malgré l’interdiction de publier, Augustin Buzura n’a pas changé de style et ses autres romans ont eu quasiment le même sort : ils ont dû passer par les nombreux filtres de la censure : « C’était d’une importance vitale, pour moi, d’arriver à parler à un censeur. Cela prenait moins de temps d’écrire un livre que de lutter pour le faire publier. J’ai connu des censeurs en tout genre … Certains d’entre eux étaient des personnes cultivées, ce n’était pas des dilettantes. Prenons, par exemple, mon roman « Orgueils », qui a été mon livre le plus critiqué. Il est passé par de nombreuses censures, avant d’être envoyé à la censure de la Securitate, la police politique du régime communiste. Là, on me demanda comment je savais que les détenus politiques portaient des lunettes en tôle, comment je savais quelles étaient les méthodes de torture, comment je connaissais ce qu’il se passait dans les camps de travaux forcés. C’était le genre de discussions pour lesquels il fallait s’armer de patience. J’ai eu en échange des livres – comme « Refuges » par exemple – qui n’auraient jamais été publiés sans la contribution du censeur. Il a compris dès le début de quoi il s’agissait. Avec les plus âgés, qui n’étaient plus au début de leur carrière, on pouvait encore négocier. »
Après la chute du communisme, en décembre 1989, Augustin Buzura a continué à participer à l’activité culturelle du pays, éditant des revues spécialisées et assumant la direction de la Fondation Culturelle Roumaine, qui allait devenir, toujours grâce à sa contribution, l’actuel Institut culturel roumain. (Trad. : Dominique)