Le traducteur Sean Cotter
Corina Sabău, 20.08.2022, 09:30
La traduction en anglais du roman « Craii de
Curtea-Veche/Les Seigneurs du Vieux-Castel », de Mateiu Caragiale, sortait
aux États-Unis l’année dernière. Le traducteur en est Sean Cotter, professeur
de littérature comparée et de traductologie à l’Université du Texas à Dallas,
spécialiste du modernisme, de la théorie et de l’histoire de la traduction et
de la littérature est-européenne. « Craii de Curtea-Veche/Les Seigneurs du
Vieux-Castel », paru en 1929, est considéré comme un des plus importants romans
de la littérature roumaine. Selon un sondage réalisé par la revue Observator cultural au début des années
2000, il serait même le meilleur roman jamais écrit en roumain.
Dans une
interview à RRI, Sean Cotter a parlé de son travail, étendu sur onze ans, sur
le texte du roman, dont le titre devient en anglais « Rakes of the Old
Court », et de son lien avec la littérature roumaine. « Aux
États-Unis, la littérature roumaine est inconnue. Les éditions Northwestern
University Press publient une collection d’œuvres de la littérature
universelle, donc il y a eu un intérêt pour ce livre, d’une nouveauté absolue
pour les lecteurs américains. Je leur avais dit que c’était un livre très
important, d’une incroyable beauté, et qu’il serait dommage qu’il reste inconnu
du public américain. En tant que professeur de littérature comparée, mon
domaine de prédilection est le modernisme européen. Je me suis penché sur
l’œuvre de Lucian Blaga, de T.S.Eliot et d’autres auteurs de la même période. Traduire
le livre de Mateiu Caragiale fut donc une étape absolument logique de mon
travail et j’avoue que la traduction de ce texte, réputé quasi intraduisible,
fut un défi et une ambition pour moi. J’ai eu un lien très étroit avec le livre
de Mateiu Caragiale, qui, lui, fut un être peu banal. Je m’en suis bien
documenté, en lisant quasiment tout ce qu’avaient écrit sur lui G. Călinescu,
Șerban Cioculescu jusqu’à Nicolae Manolescu et Cosmin Ciotloș. Șerban
Cioculescu avait même dressé un dictionnaire des mots employés par Mateiu
Caragiale, qui m’a beaucoup aidé. Mais ce qui a été essentiel pour accéder à
l’univers de cet écrivain c’était de l’imaginer en tant que personnage littéraire,
de comprendre sa façon de penser et d’écrire. J’ai eu besoin de cette image pour
créer un pont avec le texte de départ. C’est pourquoi je dis que la
documentation a été un élément essentiel pour traduire « Les Seigneurs du
Vieux-Castel ». Je dirais que Mateiu Caragiale est, avant tout, un dandy.
La littérature anglophone connait ce type de personnage/auteur, Oscar Wilde et
Edgar Allan Poe en étant deux exemples. Ce type de littérature, la littérature
décadente anglophone, m’a beaucoup aidé à comprendre et à traduire Mateiu
Caragiale. »
Sean Cotter est venu à Bucarest pour la première fois en
1994, à cause d’un tampon erroné apposé sur un document. Il avait 23 ans et il
était volontaire dans une organisation gouvernementale. « Ça c’est
passé comme ça, je devais me rendre au Kazakhstan, j’étais volontaire dans une
organisation gouvernementale, le Peace Corps/le Corps de la Paix. Et j’ai été
très heureux d’arriver en Roumanie, même si j’ignorais presque tout de ce pays,
je l’avoue très franchement. Je savais tout simplement que « da » était
« oui » et que « nu » était « non », mais je me
trompais des fois. J’ai suivi un cours de roumain, dans une école du côté de
Piața Amzei, à Bucarest, un cours intensif avec quatre heures d’étude par jour. Je me
souviens que la dame qui nous enseignait la langue nous avait lancé le défi de
traduire le très bref Poème de Nichita Stănescu: Spune-mi, dacă te-aș prinde într-o
zi şi ţi-aş săruta talpa piciorului, nu-i aşa că ai şchiopăta puţin, după
aceea, de teamă să nu-mi striveşti sărutul? / Dis-moi, si un jour je
t’attrapais et t’embrassais la plante du pied, n’est-ce pas que tu te mettrais
à boiter un peu, par peur d’écraser mon baiser ? Puisque j’enseigne la
traductologie à l’université, moi aussi je propose de temps en temps à mes
étudiants de traduire ce poème, qui a donc été traduit par plus de 400
étudiants en une seule année, étant donc le poème roumain le plus traduit en
anglais. La littérature roumaine m’est très proche. En fait, ma passion pour la
littérature roumaine fait partie de ma vie. »
Sean Cotter a traduit en anglais des œuvres de nombreux
écrivains roumains: Mircea Cărtărescu, Nichita Stănescu, T.O.Bobe, Nichita
Danilov, Liliana Ursu, Magda Cârneci. Cette année, il publiera aux États-Unis
la traduction du roman « Solénoïde », de Mircea Cărtărescu,
récompensé de nombreux prix internationaux. Sean Cotter est également l’auteur
de l’ouvrage « Literary Translation and the Idea of a Minor Romania »
(paru aux éditions Rochester University Press, en 2014), qui a reçu le Prix
biannuel du livre accordé par la Society for Romanian Studies. (Trad. Ileana
Ţăroi)