La réalisatrice roumaine Alina Grigore – récompensée au Festival du film de Saint-Sébastien
Corina Sabău, 09.07.2022, 10:21
Alina Grigore a non seulement réalisé le film « Blue Moon », elle a aussi écrit le scénario, s’inspirant de son expérience personnelle, car, enfant, elle avait passé plusieurs années dans un village du département de Neamț. « Les filles, notamment, n’avaient aucune chance d’évoluer, les abus physiques et psychiques qu’elles subissaient étant quelque chose de banal en milieu rural », affirme Alina Grigore, lorsqu’elle se souvient de cette période de sa vie.
« Crai Nou/ Blue Moon » raconte l’histoire d’Irina, une jeune femme qui veut échapper à une famille toxique et qui rêve de continuer ses études dans la capitale, une tentative vouée à l’échec sous le poids de la violence environnante. Le trophée du Festival de cinéma de Saint-Sébastien a récompensé le travail d’une équipe très impliquée, qui n’a pas bénéficié du soutien financier du Centre national de la cinématographie.
Alina Grigore a parlé du prix remporté par son film, de la manière de transformer une expérience de vie en histoire cinématographique et de sa méthode de travail atypique : « Moi, j’ai habité à la campagne, j’avais sept ans quand j’ai quitté Bucarest pour aller vivre dans un village du département de Neamț, où j’ai vécu un choc culturel assez fort. Ce fut d’autant plus choquant pour moi que j’étais bien jeune et habituée à un autre type de communauté. Alors, j’ai commencé à écrire dans un journal ce qui se passait autour de moi. Premièrement, les parents ne s’intéressaient pas à l’éducation de leurs enfants, car la survie était leur principal intérêt, ce qui n’est pas du tout blâmable. Mais, de ce fait, les enfants étaient encouragés à travailler, là-bas ou à l’étranger. Je me souviens d’un moment, dans les années 1990, quand moi, je rentrais faire mes devoirs d’école, tandis que ma meilleure amie rentrait chez elle pour bêcher la terre ; on était au CP ou en CE1. Malheureusement, la situation n’a pas beaucoup changé, aujourd’hui non plus – les enfants du milieu rural ne sont pas encouragés à continuer leurs études. Des années plus tard, j’ai commencé à écrire un livre inspiré de ce que j’avais vu à cette époque-là, un livre que j’aimerais publier un jour. Concernant le film, j’ai employé la méthode de travail de l’école d’acteurs InLight, en proposant aux acteurs une idée que nous développons ensemble. Après avoir écrit le scénario, nous avons travaillé d’arrache-pied, nous avons analysé en profondeur les situations et les personnages avec les comédiens, avec le directeur de la photographie, avec l’éditeur. Et c’est ainsi que nous avons commencé à découvrir les motivations des personnages. »
Alina Grigore explique la méthode InLight, qui donne son nom à une école fondée par la réalisatrice du film « Blue Moon » et une équipe d’artistes : « Ce que nous proposons à travers InLight c’est de se concentrer sur la collaboration avec les acteurs et avec les autres membres de l’équipe. Ce qui veut dire que nous les encourageons à exprimer leur vision, nous discutons avec le directeur de la photographie, avec l’éditeur, nous décortiquons le scénario et nous analysons les personnages et les situations. C’est un travail que je trouve captivant. Nous écrivons des fiches sur chaque personnage, nous proposons des choses, nous improvisons ; pour l’histoire du film, nous avons cherché et trouvé des souvenirs qui se ressemblent ; le sujet étant lié à la famille, il est impossible de ne pas en trouver. Toute cette recherche, tout ce background, aide beaucoup l’acteur. Quand on est sur le plateau de tournage, ça aide beaucoup de découvrir des choses que l’on puisse partager avec les autres, de connaître les motivations du partenaire avec lequel on joue. Et puis, moi, j’ai été intéressée par ce que les acteurs pensent, par leur exploration du scénario. Ce type de travail collaboratif est très important pour moi. Quand il s’agit d’un texte traduit, l’opinion du traducteur m’intéresse, donc il est évident que les propositions des acteurs et des membres de l’équipe sont très précieuses pour moi. La collaboration est ainsi plus efficace ; quand ils sont libres d’explorer, les autres atteignent un niveau de créativité très élevé, qui est très utile au réalisateur. La communication est plutôt faible si le réalisateur se contente de coordonner les autres. InLight, c’est justement ça, la collaboration avec les autres. Je crois que si on fait confiance à ce genre d’approche, on apporte plus d’émotion, notamment dans la construction des personnages. En plus, l’équipe est plus heureuse, car elle sait qu’elle peut s’exprimer librement, dans certaines limites, bien sûr. Il y a des scènes dans lesquelles la liberté des acteurs a été totale, je pense surtout à une scène jouée par Mircea Postelnicu et Ioana Chițu. Tout le monde a été d’accord qu’elle avait ressemblé à un tango dansé par le directeur de l’image, le réalisateur et les acteurs. C’est d’ailleurs ce que je souhaite, que la réalisation d’un film soit une danse ensemble. »
Avant de réaliser « Crai Nou/ Blue Moon », Alina Grigore s’était fait connaître en tant qu’actrice. Elle a joué dans plusieurs séries télévisées ainsi que dans le long-métrage « Ilegitim/Illégitime », d’Adrian Sitaru, dont elle a écrit le scénario. (Trad. Ileana Ţăroi)