Un paysage en détresse
Ion Puican, 06.11.2021, 09:52
Le Parc
naturel Văcărești, connu aussi comme le Delta Văcărești, est un des coins les plus intéressants et les plus
surprenants de la capitale roumaine, Bucarest. En fait, c’est un lac
anthropique, situé dans le quartier homonyme, au sud-ouest de la ville. Étendu
sur près de 200 hectares, il aurait dû être une composante d’un projet
d’aménagement de la rivière Dâmbovița, qui traverse la capitale, projet imaginé
avant 1989 pour protéger la ville contre les inondations. Pour construire le
lac, les autorités communistes de l’époque ont décidé d’abattre le monastère Văcărești,
un des plus beaux lieux de culte de la capitale. Le projet en question n’a
pourtant pas abouti, le lac demeurant l’un des grands projets inachevés après
la chute du régime communiste en Roumanie. Depuis trente ans, la nature
réoccupe son territoire, donnant naissance à un vrai delta urbain, riche d’une
végétation variée et d’une étonnante faune locale, faite d’oiseaux, de
serpents, de renards, de loutres et bien d’autres espèces animales. Le Delta
Văcărești est maintenant un écosystème stable, un habitat d’espèces protégées,
déclaré, en 2015, aire naturelle protégée, le premier parc naturel urbain de
Roumanie.
Cet
automne, au mois d’octobre, il a été la scène d’un rapprochement artistique et conceptuel
entre l’être humain citadin et la nature, à travers le projet « Un paysage
en détresse».
Gabriela
Mateescu, responsable et commissaire du projet, a expliqué cet événement, qui
s’était proposé de donner à la ville en proie aux constructions en béton
l’occasion de retrouver son souffle par le biais de l’art : « Placé
dans le cadre naturel citadin du Delta Văcărești, le projet « Un paysage en détresse» est le fruit d’une coopération transdisciplinaire,
artistique et de recherche, fait de performances, d’ouvrages de land art et
d’installations in situ. L’organisateur en a été l’Association « Nucleul
0000 » et la Mairie générale de Bucarest l’a cofinancé, via son Centre
culturel ARCUB, dans le cadre du grand projet « Bucarest ville ouverte 2021 ».
Bucarest est une ville écrasée par le béton, mais la nature réclame ses droits
et se fraie son chemin. C’est ce qui arrive sur l’ancien site du projet
communiste « Le lac de Văcărești », abandonné il y a très longtemps.
Ces dernières trois décennies, un écosystème humide s’y est formé, comme une
revendication par la nature de son territoire, sans aucune aide humaine, au
beau milieu de la plus grande agglomération urbaine de notre pays. Devenu, le
temps aidant, un vrai delta, un écosystème à part entière au cœur de la
capitale, le Parc Văcărești est le meilleur endroit pour méditer sur
l’état de la nature et les effets de l’intervention humaine. »
Les
artistes y ont fait rentrer un univers entier dans une petite alvéole, en
décomposant des théories du post-humanisme et du trans-humanisme dans le
langage de l’art contemporain.
Gabriela
Mateescu apporte des précisions sur la participation et le déroulement du
projet « Un paysage en détresse» : « Le 24 octobre, le
public s’est vu inviter à une balade lui permettant de découvrir, dans la
nature, les créations des artistes Roberta Curcă, Mălina Ionescu, Gabriela
Mateescu, Andreea Medar, Kiki Mihuță, Marina Oprea. « Égarés dans le
paysage » furent aussi les participants à l’atelier de performance « microRave
– încercări de a deveni peisaj/essais de devenir paysage », coordonnés par
Andreea David et Maria Baroncea, sur la musique de Chlorys. Une semaine avant
l’événement, nous avions invité des jeunes de Bucarest, intéressés par l’art, à
nous rejoindre dans un atelier de performance de danse, afin de profiter des
dernières journées ensoleillées de cet automne dans le delta. Pour venir en aide
aux visiteurs, nous avons créé une carte GPS des ouvrages installés là-bas et
nous en avons proposé trois tours guidés, en compagnie des organisateurs et des
auteures. Les installations ont été démontées le lendemain même, pour respecter
l’état naturel des lieux. »
La
conception artistique a misé sur un espace hybride, rendu vivant par les bruits
d’une vie urbaine trépidante et ceux d’un delta formé au milieu d’une métropole.
L’idée a été de mettre en exergue la fonction culturelle que pourrait avoir cet
espace, tellement propice à la contemplation, à un renouvellement du lien avec
la nature, à la méditation sur les effets destructeurs que pourraient avoir les
interventions humaines irréfléchies sur la nature.
Gabriela
Mateescu a d’ailleurs remarqué les réactions positives du public :
« En plus du public habituel des événements artistiques, le grand public a
été aussi présent, profitant de la météo très agréable de ce dimanche-là, qui lui
a permis de sortir se balader. Les gens se sont montré d’abord émerveillés et
ensuite intéressés par les créations exposées dans la nature, ainsi que par les
explications offertes par les artistes elles-mêmes et par les autres membres de
notre équipe. », a conclu Gabriela
Mateescu, responsable et commissaire du projet « Un paysage en détresse».