« Nous contre nous-mêmes » – désigné meilleur film de la section Roumanie, à l’Astra Film Festival
Corina Sabău, 16.10.2021, 10:03
« Nous contre nous-mêmes », le documentaire
réalisé par Andra Tarara, a remporté le grand prix de la section roumaine à la
XXVIIIe édition d’Astra Film Festival (qui a eu lieu du 5 au 12 septembre). Le
jury a expliqué son choix comme suit : « Pour une analyse émouvante et
honnête de la relation entre l’auteur et son père, ainsi que pour leur dialogue
sincère autour de la maladie qui a bouleversé leur existence. Le jury a
apprécié la collaboration de deux cinéastes de générations différentes ainsi
que leur manière de trouver un moyen de communication à travers le langage
cinématographique ».
Film de début de la jeune réalisatrice Andra Tarara, « Nous
contre nous-mêmes » se construit sur des dialogues qui dessinent la
relation père – fille, une relation marquée par une passion commune et par un
trouble mental. Leurs échanges touchent à des sujets délicats, tels
l’incapacité de communiquer, l’éducation et le développement personnel ou le
stigmate des maladies mentales. Chacun d’eux raconte son histoire – en fait, sa
perception des mêmes événements -, à travers la parole et la caméra. « Nous
contre nous-mêmes » a eu la première mondiale au Festival international du
film documentaire Jihlava 2020, en République tchèque, et il a aussi été
présenté au Festival Les Films de Cannes à Bucarest en 2020.
L’été dernier, le documentaire a fait partie de la
sélection officielle de plusieurs festivals, dont Moldova Film Festival et
Moscow International Documentary Film Festival DOKer, le Festival Ceau Cinema!
de Timișoara et le Festival international du film Transilvania (TIFF), dans la
section « Les journées du film roumain ». C’est en se documentant
pour son premier long-métrage « Une mort dans ma famille », nommé
d’ailleurs au prix Gopo du meilleur espoir en 2019, que la réalisatrice était
tombée sur plusieurs vidéos, enfouies dans les archives familiales et réalisées
par son père, Ion Tarara.
Ce fut le point de départ de « Nous contre
nous-mêmes », raconte Andra Tarara : « C’est comme ça que je suis arrivée à
cette histoire, en fouillant dans les vidéos archivées de ma famille. Quand
j’ai trouvé ces cassettes VHS, je me suis rendu compte que mon père avait fait
tout ce travail incroyable d’archiver l’histoire de notre famille et que
j’étais très présente dans ces enregistrements. C’est pour ça que le sujet
principal de toutes ces images et de tous ces enregistrements est en fait notre
relation. Alors, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’en débattre, de parler
de ce qu’est pour mon père le fait de s’exprimer par le biais du film, de
comment j’ai hérité de cette passion. C’est ainsi que mon film a commencé,
comme un exercice de connexion entre nous deux et d’exploration de notre
relation par le film. Et puis, l’histoire gagne en complexité constamment, parce
que mon père a été un super-passionné du film, parce qu’il a eu la chance de
faire du film, mais, malheureusement, il n’a pas pu continuer faute de moyens
et aussi parce que ses parents n’étaient pas d’accord avec sa passion. Moi,
pour ma part, j’ai reçu un appui total, comme une sorte de compensation, de
revanche sur l’impossibilité, pour mon père, de vivre sa passion. Les histoires
à l’origine de ce film existaient donc dans notre famille et mon père acceptait
d’en parler. »
Par son documentaire « Nous contre
nous-mêmes », Andra Tarara réussit à donner voix à tous ceux qui souffrent
de troubles mentaux et subissent la stigmatisation sociale, attirant
l’attention sur une maladie dont parle trop peu.
Andra Tarara :
« Mon père a fait ainsi que la maladie soit bien plus présente dans le
film. Il a tenu à raconter son histoire et, d’une certaine manière, son enjeu à
lui a été de la faire entendre, pour aider d’autres gens, souffrants, comme lui.
Le film est finalement né de cette négociation entre moi, avec mon agenda et
mon intention de faire un certain type de film, et lui, avec son désir de
raconter son histoire personnelle. Moi, je lui ai expliqué mon idée, et lui
s’est très bien préparé avant le tournage, il a réfléchi à ce qu’il voulait
dire. Ça m’a amenée, parfois, à avoir le sentiment de perdre le contrôle et à
des réactions presqu’agressives. C’est comme ça qu’est né « Nous contre
nous-mêmes », de la tension entre nos deux perspectives, entre nos deux
agendas, entre nos deux manières de vivre séparément et pourtant ensemble la
même situation. Mon père parle beaucoup du stigmate qu’il a ressenti, il a
beaucoup parlé du fait que les gens stigmatisent les malades aussi parce qu’ils
ne connaissent pas des personnes atteintes d’une telle maladie. »
De l’avis de la productrice Anda Ionescu, de la société
de production Tangaj Production, le documentaire « Nous contre
nous-mêmes » ouvre un débat nécessaire sur la santé mentale, sur des
problèmes le plus souvent ignorés ou mal identifiés, sur la relation avec nos
proches, souffrant de troubles mentaux, sur l’existence de plateformes de
soutien. (Trad. Ileana Taroi)