Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et le pouvoir dans la Roumanie moderne
Un nouveau volume consacré au féminisme en Roumanie a été lancé en mars dernier, aux librairies Humanitas-Cismigiu. Il s’agit de « Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et leur pouvoir dans la Roumanie moderne » de Maria Bucur et Mihaela Miroiu, un ouvrage qui se penche sur la perception à l’égard de la femme à travers l’Europe postcommuniste. Maria Bucur, professeure d’histoire à l’Université de l’Indiana, des Etats-Unis, salue l’opportunité de réaliser un tel travail.« Dès le départ, ce projet s’est déroulé sous le signe de l’amitié que je porte à Mihaela Miroiu avec laquelle j’ai beaucoup discuté là-dessus. C’est un volume lancé au bout de dix ans de travail pendant lesquels j’ai énormément appris. Moi, je n’avais pas l’habitude d’énoncer des jugements comme j’ai fini par le faire, et ça, c’est un gain. Mon niveau d’interdisciplinarité a augmenté, et cela aussi, c’est extraordinaire. Et le fait de connaître toutes ces femmes que Mihaela connaissait déjà m’est apparu comme une chance unique dans la vie ».
Monica Chiorpec, 22.08.2020, 13:09
Un nouveau volume consacré au féminisme en Roumanie a été lancé en mars dernier, aux librairies Humanitas-Cismigiu. Il s’agit de « Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et leur pouvoir dans la Roumanie moderne » de Maria Bucur et Mihaela Miroiu, un ouvrage qui se penche sur la perception à l’égard de la femme à travers l’Europe postcommuniste. Maria Bucur, professeure d’histoire à l’Université de l’Indiana, des Etats-Unis, salue l’opportunité de réaliser un tel travail.« Dès le départ, ce projet s’est déroulé sous le signe de l’amitié que je porte à Mihaela Miroiu avec laquelle j’ai beaucoup discuté là-dessus. C’est un volume lancé au bout de dix ans de travail pendant lesquels j’ai énormément appris. Moi, je n’avais pas l’habitude d’énoncer des jugements comme j’ai fini par le faire, et ça, c’est un gain. Mon niveau d’interdisciplinarité a augmenté, et cela aussi, c’est extraordinaire. Et le fait de connaître toutes ces femmes que Mihaela connaissait déjà m’est apparu comme une chance unique dans la vie ».
La recherche menée sur le terrain a débouché sur la mise en page d’une histoire de la femme roumaine après 1990. L’actuel ouvrage signé Maria Bucur et Mihaela Miroiu constitue aussi une démarche singulière dans la littérature roumaine : « Le chapitre consacré à l’histoire, plus précisément au contexte historique, n’était pas prévu dans un premier temps. Nous avions commencé par entamer une enquête sur le terrain que l’on souhaitait présenter en détails par la suite. Sauf que voilà, on a fini par se rendre compte qu’il n’y avait aucun ouvrage en roumain qui parle de l’histoire des femmes, qui explique comment faire pour mieux comprendre leurs voix, pourquoi ces voix étaient celles que l’on entendait, quelles étaient les structures et les normes légales, éducationnelles ou encore politiques de l’époque ».
Mihaela Miroiu est professeure de Sciences politiques à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest. Son nom se rattache principalement à la mise en place du premier master d’études féministes de Roumanie. Cosignataire de l’ouvrage récemment lancé aux librairies Humanitas-Cismigiu, elle avoue que ce projet est issu d’une démarche personnelle. « Dans un premier temps, je souhaitais revenir sur les femmes primordiales. A toutes ces femmes qui m’ont élevée, à la génération des femmes qui sont mes contemporaines, et ensuite aux femmes issues des générations suivantes. Il s’agit, si vous voulez, des trois générations : grand-mères, mères et filles. Cette démarche n’a pas été préméditée, ce fut la façon dont cet ouvrage a fini par se construire. Personnellement, j’aime beaucoup les trois entretiens très longs dont chacun a duré en moyenne 5 à 6 heures. »
Tout au long de l’histoire moderne, les femmes ont bataillé pour la reconnaissance de leurs droits moraux, intellectuels, civiques ou encore politiques. Et, surprise, les Roumaines, même les plus âgées, ont apparemment un sens civique inné. Mihaela Miroiu :« La culture politique de toutes ces femmes est méritoire. Sans être trop sophistiquées, elles ont des intérêts à solutionner politiquement. Par exemple, il est évident que de leur point de vue, une démocratie ou encore une gouvernance dont on a supprimé la moralité n’a rien à voir avec le bien collectif. Toutes ces femmes dont on parle mériteraient vivre dans des pays à démocratie renforcée, comme par exemple les pays nordiques. Leurs valeurs, leur façon de considérer la politique, tout cela nous fait penser au modèle scandinave. »
Le travail d’enquête sur le terrain mené dans le village transylvain de Sâncrai a offert à Maria Bucur et à Mihaela Miroiu la chance d’entendre des histoires de toute une pléiade de femmes simples et extraordinaires à la fois.
« Ces histoires nous ont permis de voir l’évolution de la femme, quel que fût son destin. On a parlé aussi bien avec des femmes de 80 ans, presqu’illettrées, de Sâncrai, qu’avec des villageoises travaillant comme médecins, professeurs, ingénieurs, bref hautement qualifiées. Eh bien, ces femmes se ressemblent beaucoup dans leurs aspirations et dans leurs contraintes et aucune ne supporte la séparation entre moralité et politique. Une idée que notre ouvrage encourage ».
Paru fin 2018 aux Etats-Unis, à la Maison d’édition Indiana University Press, le livre a été traduit en roumain et publié par les Editions Humanitas dans la collection d’Histoire contemporaine. La traduction porte la signature de Magda Dragu et de la même Mihaela Miroiu. « Bien évidemment, nous avons été tenues de reprendre les entretiens tels qu’ils ont été réalisés initialement, pour éviter leur retraduction en roumain depuis l’anglais afin de ne pas perdre de leur charme. La langue est vivante et très intéressante et on n’a pas voulu la bloquer dans un registre trop formel. Nous, on a mené les recherches à Sâncrai à une époque où toutes ces mamies retraitées se donnaient la peine d’aider leurs petits-enfants qui avaient du mal à trouver un emploi. Ce n’était pas encore la période de l’exode vers l’Occident. Le livre présente donc une histoire vivante telle qu’elle est perçue par ces femmes selon lesquelles la notion de citoyenneté s’accompagne en égale mesure de droits et de soucis. En fait, le concept de soucis fait partie de leur quotidien et marque leur façon de réfléchir. »
Pour tous ceux intéressés par l’histoire de l’Europe postcommuniste, l’ouvrage « Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et leur pouvoir dans la Roumanie moderne » de Maria Bucur et Mihaela Miroiu constitue un repère. Disons enfin que le livre dresse également une comparaison entre l’histoire roumaine et celle de deux autres pays de l’ancien bloc soviétique, la Pologne et la Hongrie. (trad. Ioana Stancescu)