Tatiana Ţîbuleac
Tatiana Ţîbuleac, jeune écrivaine originaire de République de Moldova, a été décorée le 1er décembre dernier par le président de la Roumanie, Klaus Iohannis, avec l’ordre du Mérite culturel au grade chevalier. La médaille visait à récompenser la riche activité littéraire, le talent et le professionnalisme de cette ancienne journaliste, qualités qui lui avaient apporté une reconnaissance européenne.
Corina Sabău, 18.01.2020, 11:38
Tatiana Ţîbuleac, jeune écrivaine originaire de République de Moldova, a été décorée le 1er décembre dernier par le président de la Roumanie, Klaus Iohannis, avec l’ordre du Mérite culturel au grade chevalier. La médaille visait à récompenser la riche activité littéraire, le talent et le professionnalisme de cette ancienne journaliste, qualités qui lui avaient apporté une reconnaissance européenne.
C’est que Tatiana Ţîbuleac venait justement de recevoir une récompense attribuée aux meilleurs écrivains émergents d’Europe. En octobre 2019, elle comptait parmi les 14 lauréats du Prix de littérature de l’Union européenne 2019 mis à l’honneur lors d’une cérémonie au Palais BOZAR de Bruxelles. « Grădina de sticlă » / « Le jardin de verre », le roman qui lui a apporté cette récompense, est, pour la critique littéraire Simona Sora, « le roman de toute une génération de femmes et celui d’une conteuse aussi authentique que surprenante ».
Tatiana Ţîbuleac était aussi présente à Bucarest en octobre dernier, l’occasion de nous entretenir avec elle sur l’écriture, sur la manière dont le roumain a façonné ses histoires, sur Chişinău et sur Paris, où elle vit en ce moment. Nous avons aussi discuté du rôle formateur de sa grand-mère et de la résilience devant les adversités, des controverses provoquées par son dernier roman « Le jardin de verre », sorti en 2018 chez Cartier, une importante maison d’édition moldave, et du Prix européen de littérature qu’elle venait de recevoir.
Tatiana Ţîbuleac : « La chose la plus émouvante par rapport au prix de l’UE c’était de lire en roumain sur la scène du BOZAR. Ca m’a réellement ému, il y avait beaucoup de Roumains dans la salle et il m’a semblé que le roumain qui résonnait sur cette scène était un prix en soi. J’ai trouvé que tout ce monde, les écrivains primés, ils s’étaient tous rassemblés pour raconter une histoire et la voix de la Roumanie y était tout aussi audible. Ca m’a ému même plus que le prix, qui a été une joie inattendue. J’essaie de me réjouir de ces récompenses, mais ensuite je retourne à mon travail, l’écriture. »
« Il y a à Chişinău une rue, la plus longue et la plus rude rue au monde. Dans cette rue, les bâtiments, les arbres, les feux, même les poubelles, même les creux connaissent des mots en russe. » C’est ce fragment de son dernier livre qui nous a poussé à interroger Tatiana Ţîbuleac sur sa relation avec les langues. Tendue, rapprochée, imprévisible.
Tatiana Ţîbuleac : « Il y a des personnes qui parlent très bien une seule langue, d’autres qui en parlent plusieurs et elles les parlent mal. Je crois que je fais partie de cette catégorie de gens qui se débrouillent en plusieurs langues. Mais lorsqu’ils doivent écrire ou utiliser une langue, c’est la langue qui les choisit. Chez moi, je parle surtout en anglais avec mon mari et c’est aussi en anglais que je peux raconter le mieux la vie quotidienne. En vivant à Paris, j’entends beaucoup le français et mes enfants le préfèrent à toute autre langue. C’est grâce à eux qu’il m’est proche, je fais maintenant cette association entre français, enfance et jeux. Le russe, que je parle assez bien, représente beaucoup pour moi. Il me permet de me connecter à une littérature que j’aime, j’écoute de la musique en russe. Dans le même temps, quand je dois écrire quelque chose, c’est le roumain que je choisis et qui, à son tour, me choisit. Je me suis rendu compte que j’arrive à entretenir une relation d’amitié avec le roumain et que c’est une langue que j’apprends en écrivant. Le roumain m’est devenu encore plus proche après avoir écrit « Le jardin de verre ». C’était l’occasion de revisiter Chişinău, mon enfance, la cour de mon enfance où je parlais beaucoup russe et j’ai compris qu’en fait nous, le roumain et moi, on se connaissait depuis bien des années. Après ce dernier livre alors, notre amitié est devenue encore plus forte. »
L’écrivaine roumaine Gabriela Adameșteanu fait elle aussi une critique élogieuse du roman « Le jardin de verre » : «Tatiana Ţîbuleac fait un retour en force, dans un contexte et à un niveau différents, au thème de la maternité, de l’enfant aimé/pas aimé, des conséquences tragiques du « non-amour », du remords, dans un livre tout aussi troublant que « L’été où maman a eu les yeux verts ». L’orpheline qui découvre un Chişinău multiculturel a été adoptée de l’orphelinat d’un village par une femme seule et ambitieuse qui veut lui offrir un avenir florissant ? Ou elle a été achetée en tant que main d’œuvre et sera exploitée sans pitié comme dans les romans de Dickens ? Les questions continuent leur assaut même après la fin de ce roman d’apprentissage passionnant, l’apprentissage d’une fille qui grandit entre deux langues et entre deux cultures, à une époque où les frontières et les systèmes politiques changent. »
Tatiana Ţîbuleac, sur son roman le plus récent : « Je me suis demandée si « Le jardin de verre » sera compris. Si les réalités de ce Chişinău que je décris parleront aux écrivains de Roumanie et, heureusement, elles ont fait écho chez eux au-delà de mes espoirs. Je me suis aussi interrogé sur les raisons d’un lecteur français de lire cette histoire qui se passe à Chişinău. L’histoire d’une petite fille qui essaie d’apprendre le russe au détriment du moldave, tel qu’on l’appelait à l’époque, et qui est par la suite devenu le roumain. En discutant avec le traducteur du livre, qui paraîtra en France au mois de mars, je me suis rendu compte que lui avait trouvé toute autre chose dans ce roman. C’est lui toujours qui m’a dit que cette lutte pour l’identité n’est pas quelque chose de rare, beaucoup de monde se reconnaît dans ce type de combat. Je ne crois pas qu’il y ait une seule manière de lire « Le jardin de verre ». »
Pour ceux qui veulent découvrir l’univers littéraire de Tatiana Ţîbuleac, sachez que son premier roman, « L’été où maman a eu les yeux verts », est paru en français aux Editions des Syrtes en 2018. Son deuxième, « Le jardin de verre », paraîtra en mars chez le même éditeur. (Trad. Elena Diaconu)