Tradition et avant-garde dans l’art roumain moderne
Du temps de la Troisième république française, la période connue comme « La Belle Époque » s’est caractérisée par la paix et la prospérité économique en Europe, par un pic des empires coloniaux et des innovations technologiques, scientifiques et culturelles. La Roumanie s’alignait, elle aussi, à l’esprit européen de cette période d’avant la Première Guerre mondiale. De ce fait, l’Exposition universelle de Paris de 1900 a été un lieu où la géopolitique s’est manifestée au plan culturel. L’événement a également offert au public des images contrastant avec ce que l’on attendait des pays participant à l’Exposition. Ultérieurement, l’avant-garde de l’entre-deux-guerres allait renverser les formes d’art consacrées, en cherchant la proclamation de l’élément artistique nouveau.
Monica Chiorpec, 24.08.2019, 13:04
Du temps de la Troisième république française, la période connue comme « La Belle Époque » s’est caractérisée par la paix et la prospérité économique en Europe, par un pic des empires coloniaux et des innovations technologiques, scientifiques et culturelles. La Roumanie s’alignait, elle aussi, à l’esprit européen de cette période d’avant la Première Guerre mondiale. De ce fait, l’Exposition universelle de Paris de 1900 a été un lieu où la géopolitique s’est manifestée au plan culturel. L’événement a également offert au public des images contrastant avec ce que l’on attendait des pays participant à l’Exposition. Ultérieurement, l’avant-garde de l’entre-deux-guerres allait renverser les formes d’art consacrées, en cherchant la proclamation de l’élément artistique nouveau.
L’historien de l’art Erwin Kessler a participé à la série de débats « L’agora des idées », organisés par le Musée de la ville de Bucarest. C’est à cette occasion qu’il a donné une conférence intitulée « Tradition, modernisation, avant-garde et retour : les avatars de l’art roumain avant et après la Grande Guerre ».
Erwin Kessler : « A l’Exposition universelle de Paris, en 1900, la Roumanie a affiché une sorte de schizophrénie. D’un côté, son pavillon national était construit sous la forme d’un puits pétrolier. Ça avait l’air d’un pas vers l’avenir, c’était l’incarnation de la Roumanie industrielle. A l’intérieur, cependant, l’on trouvait des icones, des căluşari (les pratiquants de la danse du căluş, danse traditionnelle à effet de rituel), des « ii » (les blouses traditionnelles roumaines), de l’art paysan. Tout ça ensemble. Si la Roumanie se présentait ainsi, nous étions donc un pays avec un énorme corps traditionnel paysan à l’intérieur d’une large couche industrielle. C’est une dissociation entièrement justifiée par la réalité. Plus de 75% de la population vivait en milieu rural à ce moment-là. Plus de 60% de la production de la Roumanie n’était pas pétrolière, mais agricole. »
L’historien Sorin Antohi, l’hôte de « L’agora des idées », s’est exprimé lui aussi sur la Roumanie rurale de 1900, mais aussi sur la condition du paysan roumain de l’époque, opposée à la représentation idéalisée du village roumain dans les peintures de Nicolae Grigorescu : « Les voyageurs étrangers en Roumanie consignent dans leurs écrits de voyage, de manière récurrente et sans cacher leur regret, la présence humaine. Le paysan roumain est vague, crépusculaire… Ce paysan est la mise de cette période de tensions sociales et de crise économique, alors que la monarchie célèbre son jubilé en 1906 et qu’elle travaille dur pour organiser l’équivalent local d’une exposition universelle. Le but est de faire plaisir aux locaux, mais aussi aux visiteurs protocolaires. C’est un véritable village Potemkine, cette manière d’embellir la réalité, et la maison royale sait bien que ce n’est pas ça la vraie Roumanie. »
Le mécontentement de la nouvelle génération d’artistes par rapport à l’art du début du siècle a fait qu’un an plus tard, le 3 décembre 1901, quelques artistes se réunissent dans une société nommé « Tinerimea Artistică » / « La Jeunesse artistique ». Cette association élitiste a introduit en Roumanie la pratique du salon de type européen. Les artistes à l’origine de la Jeunesse artistique étaient les peintres Ştefan Luchian, Gheorghe Petraşcu et Frederic Storck.
Erwin Kessler précise : « La Jeunesse artistique s’intègre rapidement dans l’espace occidental. De ce fait, l’Exposition universelle de 1904 reçoit une critique positive dans The Studio, la revue d’art de Londres qui était lue par quasiment tout le monde. Le magazine précise qu’ « une partie des artistes exposés semblent accepter de nouvelles théories et formules artistiques. » C’est assez vague, mais ça a le mérite d’être une tape sur l’épaule. Lors de cette troisième Exposition universelle de 1904, qui s’est tenue aux Etats-Unis, à Saint-Louis, la Jeunesse artistique vise pour la première fois de rassembler dans ses expositions, aux côtés de l’art roumain, les artistes des pays voisins, en commençant par ceux des Balkans. »
Jusqu’à la fin de la première décennie du XXe siècle, la Roumanie allait intégrer de plus en plus le paysage culturel européen. L’apparition du mouvement littéraire futuriste est étroitement liée aux poètes roumains modernes.
Erwin Kessler : « En Roumanie, Filippo Tommaso Marinetti, le fondateur du futurisme, était beaucoup plus connu qu’ailleurs en Europe. Et cela même avant février 1909, moment où il publie le Manifeste du futurisme dans le journal français Le Figaro. Il était connu ici pour une raison aléatoire. Sa revue, Poesia, est ouverte depuis le début aux écrivains roumains. Ovid Densuşianu remarque le magazine et Marinetti en 1905. En 1906, Poesia publie déjà les poèmes d’Elena Văcărescu. En 1909, l’année du Manifeste du futurisme, Alexandru Macedonski est publié dans Poesia. Marinetti était connu par le monde culturel roumain. »
L’avant-garde artistique ne tarde pas d’apparaître et le mouvement marque la période de l’entre-deux-guerres en Roumanie. Les futurs grands noms du mouvement fondent une publication qui, en quatre numéros seulement, s’impose comme la plateforme du phénomène en Roumanie.
Erwin Kessler : « Au printemps 1912 apparaît la revue « Insula » / « L’Ile » de Ion Minulescu. C’est une parution fulgurante, mais essentielle : c’est le premier magazine où se manifeste une forme de proto avant-garde et qui montre un franc mécontentement face à la modernité roumaine du moment. Une grande partie de sa rédaction rejoindra un groupe de lycéens qui publie, entre octobre et décembre 1912, la revue « Simbolul » / « Le Symbole », avec les illustrations de Marcel Iancu. Marcel Iancu, le directeur artistique de la publication, Ion Vinea et Samuel Rosenstock, le futur Tristan Tzara, voilà les rédacteurs de ce magazine. »
En 1924, est fondée la revue « Contimporanul », forme archaïque du mot roumain pour « Le Contemporain ». Parmi les fondateurs : Victor Brauner, Marcel Ianco, Miliţa Petraşcu et Mattis Teutsch, avec la collaboration du sculpteur Constantin Brancusi et d’autres artistes étrangers. En novembre 1924, le magazine organise l’Exposition internationale Contimporanul, dans la salle du Syndicat des Beaux-arts de Bucarest. L’exposition est l’occasion pour le public roumain de voir les œuvres de la quasi-totalité des membres de l’avant-garde roumaine, ainsi que celles de plusieurs artistes étrangers (Filippo Tommaso Marinetti, Hans Arp, Paul Klee, Hans Richter, Kurt Schwitters). (Trad. Elena Diaconu)