Moromeții 2, le plus grand succès au box-office roumain en 25 ans
Le film, réalisé par Stere Gulea, est la suite du célèbre film Moromeții — sorti en 1987, d’après le premier tome du roman homonyme, avec Victor Rebengiuc et Luminița Gheorghiu dans les rôles principaux. Moromeții 2 a rassemblé 52.000 rentrées en salle après le premier week-end sur les écrans de plus de 50 villes de Roumanie. Le film est ainsi devenu le plus grand succès roumain au box-office des 25 dernières années. Nous avons discuté avec le réalisateur Stere Gulea quelques jours après la première nationale du film. La discussion a tourné autour des risques qu’implique la réalisation de la suite d’un des films les plus célèbres de l’histoire de la cinématographie roumaine. D’autres points abordés : les défis d’une adaptation libre de l’œuvre de Marin Preda, le besoin de réhabiliter le personnage de Niculae Moromete et, bien sûr, la réception de l’interprétation de Horaţiu Mălăele, absent dans la première partie de la saga, du personnage central Ilie Moromete. Stere Gulea :
Corina Sabău, 21.12.2018, 19:12
Le film, réalisé par Stere Gulea, est la suite du célèbre film Moromeții — sorti en 1987, d’après le premier tome du roman homonyme, avec Victor Rebengiuc et Luminița Gheorghiu dans les rôles principaux. Moromeții 2 a rassemblé 52.000 rentrées en salle après le premier week-end sur les écrans de plus de 50 villes de Roumanie. Le film est ainsi devenu le plus grand succès roumain au box-office des 25 dernières années. Nous avons discuté avec le réalisateur Stere Gulea quelques jours après la première nationale du film. La discussion a tourné autour des risques qu’implique la réalisation de la suite d’un des films les plus célèbres de l’histoire de la cinématographie roumaine. D’autres points abordés : les défis d’une adaptation libre de l’œuvre de Marin Preda, le besoin de réhabiliter le personnage de Niculae Moromete et, bien sûr, la réception de l’interprétation de Horaţiu Mălăele, absent dans la première partie de la saga, du personnage central Ilie Moromete. Stere Gulea :
« Moromeţii 1 s’achève sur une question. C’était un des principaux arguments pour réaliser une suite. Il y avait une réponse à fournir, il fallait continuer l’histoire de cette famille arrêtée dans les années ’30. La guerre était arrivée avec le changement du régime politique et Marin Preda avait continué l’histoire dans Moromeţii 2, où il parle aussi du drame des paysans collectivisés. C’est une des raisons qui m’a poussé à finir de raconter la saga de la famille Moromete avec cette suite cinématographique. Mais il y a eu une autre raison liée à l’histoire du paysan roumain, paysan incarné à merveille par Ilie Moromete. Je pensais que c’était une chance de parler de ce drame collectif qu’a été la collectivisation à travers la figure d’Ilie Moromete qui jouit d’une grande notoriété et sympathie en Roumanie. »
Moromeţii 2 est librement inspirée du deuxième tome du roman Moromeţii, mais aussi du roman autobiographique de Marin Preda, « La vie comme une proie », et de ses articles journalistiques. Le film reprend le fil de l’histoire de la famille Moromete après la Seconde Guerre mondiale. L’action se déroule dans les années ’45 — ’46, une période de transition de la démocratie vers la dictature communiste. On surprend aussi le moment de la collectivisation. La plus grande liberté que Stere Gulea prend, par rapport à la narration romanesque, est son refus de faire adhérer Niculae Moromete, le cadet de la famille (interprété par Iosif Paştina dans Moromeţii 2), au Parti communiste. Stere Gulea :
« Beaucoup des lecteurs du deuxième tome, ainsi que la critique, s’accordent à dire qu’il n’a pas la même valeur que le premier. Il semblerait que Marin Preda ait fait des concessions pour pouvoir le publier pendant le communisme. Le régime est tombé, nous avons la chance d’être libres, sans les contraintes de la censure qui nous obligeaient auparavant à falsifier l’histoire. La question qui m’a hanté tout ce temps était si j’avais le droit de m’éloigner du livre de Marin Preda. A la fin, c’est une question d’honnêteté par rapport au livre, par rapport à un auteur qui m’est très proche. Je me suis longtemps demandé si j’avais le droit de faire ces changements. A un moment donné je me suis souvenu que Marin Preda disait que Niculae était une sorte d’alter-ego pour lui. Et tout d’un coup, cette histoire avec Niculae qui s’inscrit dans le parti m’a semblé être le prix que Preda a dû payer pour faire publier le roman. Moi, à la différence de Marin Preda, j’ai eu la liberté de prendre les décisions qu’il n’a pas pu prendre à cause des contraintes idéologiques qu’il subissait. »
A l’occasion du lancement de la deuxième partie de Moromeţii, le réalisateur Stere Gulea a parlé de son attachement envers le personnage central du livre, Ilie Moromete, un vrai modèle pour lui. Stere Gulea :
« C’est un homme qui essaie de comprendre ce qui se passe autour de lui. Un homme qui essaie de comprendre les autres, avec leurs options et leurs conflits, qui ne porte pas de jugements catégoriques. A la fin du film, lorsqu’il demande à ceux qui avaient repris le pouvoir au village « Tout marche comme vous voulez ? », le maire communiste lui répond nonchalamment « Pourquoi ça ne marcherait pas ? ». Et son retour, à Moromete, est très concis : « Qu’est-ce que j’en sais, moi ? ». Moromete est l’homme qui vous fait douter, c’est celui qui attire l’attention sur la bêtise environnante. Car, la plupart du temps, nous sommes impulsifs, nous ne réfléchissons pas, nous ne voyons pas l’importance de chaque moment. Nous avons l’impression qu’il y a des moments-clés, mais tout moment est central à la fin. Si après 1990 j’ai voulu être présent dans la société, c’est parce que j’avais assez de vivre dans un régime où je n’avais pas pu être moi-même, comme des millions de personnes en Roumanie. La peur, les distorsions, toutes ces choses nous ont mutilés. C’était ça le problème, les gens étaient mutilés de l’intérieur, ils n’utilisaient plus leur tête, et ça, pour Moromete, était inconcevable. C’est pour toutes ces raisons que j’ai une considération toute particulière pour ce personnage. »
Le film a pu aussi être visionné à Paris à la mi-décembre, lors du « Panorama du cinéma roumain ». L’événement, qui a eu lieu à l’Institut roumain de Paris en présence du réalisateur et de l’acteur principal, a été un des moments forts de la Saison France-Roumanie.
(Trad. Elena Diaconu)