Le Festival de théâtre de Piatra Neamţ – 30e édition
Déroulée du 20 septembre au 1er octobre, la 30e édition du Festival de Théâtre de Piatra Neamț marquait cette année les 60 ans d’existence du Théâtre de la jeunesse de cette ville du nord-est de la Roumanie. Le festival de Piatra Neamț est le premier de ce genre organisé ailleurs qu’à Bucarest, ayant été lancé en 1969. « Les archives de l’insécurité » était le thème ironique proposé cette année.
Luana Pleşea, 06.10.2018, 10:14
Déroulée du 20 septembre au 1er octobre, la 30e édition du Festival de Théâtre de Piatra Neamț marquait cette année les 60 ans d’existence du Théâtre de la jeunesse de cette ville du nord-est de la Roumanie. Le festival de Piatra Neamț est le premier de ce genre organisé ailleurs qu’à Bucarest, ayant été lancé en 1969. « Les archives de l’insécurité » était le thème ironique proposé cette année.
Gianina Cărbunariu, dramaturge, metteur en scène, directrice du Théâtre de la jeunesse et commissaire du Festival, explique pourquoi : « Puisqu’il s’agissait d’une édition anniversaire très spéciale, nous avons feuilleté à nouveau les archives bien riches du Théâtre de la Jeunesse et nous y avons découvert des choses très intéressantes. Nous avons approfondi certains thèmes que nous souhaitions explorer et pour cela nous nous sommes transformés en archivistes, pour un certain temps. Par ailleurs, le spectacle de théâtre connecté aux réalités quotidiennes est une sorte d’archive du moment. Or, l’époque où nous vivons est très intéressante, pas du tout facile. Dans ces conditions, le Festival, avec ses spectacles et leurs créateurs, ainsi qu’avec les autres événements – tables rondes, ateliers – devient, lui-même, une archive. Nous nous sommes proposé d’archiver nos peurs, nos ambitions, nos aspirations, nos faiblesses, par tous les moyens de communications dont nous disposons. »
Dans les conditions où des festivals sont organisés dans de nombreuses villes de Roumanie – et non seulement de Roumanie – bénéficiant d’une salle de théâtre, le festival de Piatra Neamț doit mieux définir son orientation et trouver sa place dans ce paysage – estime Gianina Cărbunariu : « Je pense que nous sommes encore dans une phase de tâtonnement, nous essayons de découvrir la signification de ce Festival, ce qui est plutôt une bonne chose, car le Festival a été réinventé au fil du temps, tout en gardant la même orientation. Ce qui est intéressant, c’est que les commissaires ont respecté cette orientation initiale, fondamentale – favorable à l’originalité, à la dramaturgie contemporaine, aux jeunes créateurs, à la formation du public jeune -et ils ont apporté à chaque fois de nouvelles choses, renouvelant sans cesse le concept du Festival. Quant à l’édition de cette année, elle comporte plusieurs sections, dont celle réservée aux « Jeunes créateurs » – metteurs en scènes ou auteurs – de moins de 30 ans. Nous avons souhaité promouvoir les artistes en début de carrière.»
Ligia Ciornei a étudié la mise en scène et la réalisation de film à l’Université d’art théâtral et cinématographique de Bucarest. En 2017, elle a participé au Festival de Cannes avec le court-métrage « Vintage ». Au Festival de théâtre de Piatra Neamţ elle a proposé au public le spectacle « Clouée au sol », de George Brant, produit par l’association culturelle Doctor’s Studio de Bucarest. Ce spectacle, à l’affiche duquel figure la talentueuse comédienne Isabela Neamţu, marque le début de Ligia Ciornei dans la mise en scène. L’héroïne de « Clouée au sol » est une jeune femme, pilote de chasse, qui attend un bébé, résultat d’une rencontre amoureuse. Pendant son congé de maternité, ses supérieurs l’écartent du service actif et l’envoient commander un drone dans le désert.
Ligia Ciornei : « J’ai déjà réalisé trois ou quatre court métrages autour de femmes puissantes. Mon dernier documentaire parle de Roxana Tudose, championne internationale de tir. Cet intérêt lié à l’armée, à la dureté et à la féminité est présent également dans mes court-métrages. »
Du texte original de « Clouée au sol », Ligia Ciornei a choisi de garder uniquement les thématiques pertinentes pour le public roumain : « La thématique de la famille, celle du lieu de travail, car elle n’a pas un poste normal – c’est ce qui nous a attiré, elle est pilote d’un avion F16, la relation entre son travail et sa vie privée… »
L’édition de cette année du Festival de Théâtre de Piatra Neamţ inclut aussi une section nationale, où des artistes de différents âges ont été invités à participer. Ce qui a compté dans la sélection c’étaient l’encrage dans la réalité, l’intérêt pour les thématiques importantes de la société roumaine et de la société contemporaine en général et, surtout, l’ouverture de pistes de dialogue par le biais des spectacles. Initiée au début des années ’90, la section internationale a été réintroduite par la directrice et commissaire Gianina Cărbunariu. Plusieurs spectacles ont été invités à participer : « Le Petit Chaperon Rouge », une production française, texte et mise en scène de Joël Pommerat ; « Antonio et Beatrix », une coproduction de Companhia de Teatro de Braga/Theatro Circo de Portugal et du Théâtre de la jeunesse de Piatra Neamț ; et aussi « Work in Progress », un spectacle de Gianina Cărbunariu, produit par Emilia Romagna Teatro Fondazione d’Italie.
Basé sur une documentation très vaste, le spectacle questionne les conditions de travail en Europe, thème qui préoccupe Gianina Cărbunariu depuis des années : « Il y a des transformations, à commencer par la fragilisation des travailleurs avec des contrats de travail à durée de plus en plus courte. D’un autre côté, il y a beaucoup de choses liées aux nouvelles conditions de vie dans la société. Le temps de travail et le temps libre sont de moins en moins bien délimités. Quand tu as fermé la porte de ton bureau, tu n’es pas libre. Le téléphone continue à sonner, les emails arrivent… Nous avons réalisé une centaine d’interviews avec des habitants de Modène et des environs, des personnes entre 25 et 40 ans qui travaillent ou qui cherchent un emploi, qui font la grève, des gens qui ont émigré en Italie, avec les fameuses « badante » – des femmes qui s’occupent des personnes âgées. Les thématiques sont européennes car les changements sur le marché du travail sont liés à des mécanismes globaux qui se reflètent, évidement, sur un territoire donné. Ces changements sont parfois dramatiques en termes de stabilité ou de sécurité même des conditions de travail. »
Le Festival de Théâtre de Piatra Neamţ à l’ambition d’être un moment de réflexion sur le théâtre et un espace de rencontre. Gianina Cărbunariu, directrice générale du Théâtre de la jeunesse : « En tant que commissaire du Festival, j’essaie d’attirer l’attention sur le fait qu’il n’est pas uniquement une sélection de spectacles. Un festival implique la rencontre entre les artistes et le public, des artistes entre eux, la comparaison des pratiques théâtrales… Au delà de la sélection, un festival est un moment de réflexion sur le théâtre et sur le monde dans lequel nous vivons. C’est aussi un moment de socialisation, d’échange d’idées et même l’occasion de passer un bon moment ensemble, pour la profession et pour les spectateurs. » (Trad. Dominique, Elena Diaconu)