Artistes roumains établis à l’étranger, présents au Festival international de théâtre de Sibiu
Le Festival international de théâtre de Sibiu n’est pas qu’un marathon des spectacles. Il est aussi l’occasion de maintes rencontres enrichissantes et de conception de nouveaux grands projets. Enfin, c’est également l’endroit où l’on peut apprendre des choses sur les artistes roumains établis à l’étranger et sur leurs créations. Alexandra Badea, Eugen Jebeleanu, Cosmin Chivu, qui vivent et travaillent davantage en France ou aux Etats -Unis, ont participé à la 25e édition du festival avec des spectacles dans lesquels jouent des comédiens du Théâtre national Radu Stanca de Sibiu.
Luana Pleşea, 11.07.2018, 11:57
Le jeune metteur en scène Eugen Jebeleanu vit depuis huit ans en France, mais à présent il partage son activité entre les deux espaces culturels.
C’est à Sibiu, il y a trois ans, qu’il a mis en scène son premier spectacle interprété par les comédiens d’une troupe d’Etat, celle du Théâtre Gong. Il allait collaborer ensuite avec le Théâtre national Radu Stanca.
Eugen Jebeleanu : « Je n’ai jamais coupé les ponts avec mon pays natal, que j’ai quitté en 2010. Après avoir suivi des cours d’art théâtral en France, je suis rentré en Roumanie où j’ai commencé à monter des spectacles dans des théâtres indépendants. Puis, de retour en France, j’ai fait un master de mise en scène et j’ai à nouveau regagné la Roumanie. Bref, c’est un va-et-vient incessant entre les deux espaces. Mon rêve le plus cher, du moins pour ce qui est des projets de ma compagnie de théâtre et des gens avec lesquels j’y travaille, c’est de développer un dialogue plus concret en ce sens. »
D’habitude, Eugen Jebeleanu met en scène ses propres textes ou ceux de son partenaire, Yann Verburgh. Toutefois, à l’édition de cette année du Festival international de théâtre de Sibiu, il a choisi de participer avec le spectacle Vue depuis le pont d’Arthur Miller, une production du théâtre Radu Stanca.
Eugen Jebeleanu : « Ce texte m’a surpris car il parle d’un cas réel des années ’50, mais qui a une grande résonnance de nos jours. Je n’avais pas l’intention d’en faire un manifeste. J’ai préféré choisir ce texte pour parler de la condition de celui qui quitte son pays, de la vie qu’il mène dans un espace qui n’est pas le sien, de sa façon de se rapporter à son intégration ou désintégration, de l’étranger qui ne sait pas si ou oui non c’est là sa place à lui. Et puis il y a cette communauté qu’est la diaspora, avec ses hiérarchies internes, mais qui fait partie à son tour d’une autre communauté plus grande, et ainsi de suite. Moi, ce qui m’a intéressé c’est de comprendre ce qui nous pousse à commettre des actes tellement injustes et mesquins pour défendre notre petit territoire et pourquoi on devient des monstres rien que pour s’imposer, pour maîtriser quelque chose ou quelqu’un. »
Alexandra Badea est dramaturge et metteur en scène, qui vit et travaille depuis plusieurs années en France.
Elle a été récemment invitée à collaborer avec le Théâtre national de la Colline de Paris, dont le directeur est le très connu dramaturge et metteur en scène Wajdi Mouawad. Avec les comédiens du Théâtre Radu Stanca, Alexandra Badea a monté le spectacle Passé composé, présent à l’affiche de l’édition 2018 du Festival international de théâtre de Sibiu.
Alexandra Badea : « Je reviens en Roumanie après huit ans d’absence, durant lesquels je n’ai pas eu de contacts avec le théâtre roumain, sauf à un moment donné, lors d’un spectacle-lecture à Sibiu de mon texte «Pulverizare/Pulvérisation». Ce fut à Sibiu que l’on m’a proposé ce projet. Eugen m’avait parlé longtemps du théâtre de la ville puisque ce fut là qu’il avait travaillé ces spectacles. Et il m’avait parlé notamment du fait qu’à Sibiu, la vie des spectacles est prolongée par des tournées nationales. C’est cet aspect qui m’a convaincu d’y revenir. Ce texte, je l’ai écrit justement pour les comédiens de Sibiu. L’invitation a été de travailler avec des comédiens jeunes et je me suis longuement demandé quelle idée je pourrais leur transmettre. C’est un texte qui s’inscrit dans la trilogie que je développe à présent avec le Théâtre national de la Colline de Paris. Moi en France, je travaille notamment sur ce que l’on pourrait appeler les histoires cachées, soit des événements moins connus de l’histoire récente. « Passé composé » est l’histoire d’une famille qui retrace une moitié de siècle d’histoire de la Roumanie, de 1941, à Iasi, jusqu’à nos jours. Il s’agit du pogrome d’Iasi en 1941, des moments des années ’70 à l’époque communiste, durant lesquelles certaines personnes étaient des délateurs à la police politique et d’autres en supportaient les conséquences. Et il s’agit aussi d’un texte qui évoque, je crois, les jeunes d’aujourd’hui, qui à mon sens, semblent être beaucoup plus lucides et mieux préparés à poser un regard différent sur le passé et assumer donc d’une manière différente le présent. »
Cosmin Chivu, un metteur en scène roumain établi à New York
C’est pour la septième année consécutive que Cosmin Chivu est présent au Festival FITS. Etabli à New York en 2000, où il avait obtenu un master de mis en scène à la célèbre école de théâtre ‘Actors Studio’, Cosmin Chivu a réalisé une soixantaine de spectacles avec des troupes professionnelles ou universitaires des Etats-Unis, d’Europe, d’Australie et de Thaïlande. A présent, il est le directeur du département d’histoire et de mise en scène de l’Université newyorkaise Pace Performing Arts. Cosmin Chivu s’est retrouvé à l’affiche de l’édition anniversaire de FITS avec deux spectacles, la comédie musicale « Rocky Horror Show », une coproduction du Théâtre national ‘Radu Stanca’ et de l’Université ‘Lucian Blaga’ de Sibiu, et la coproduction roumano-française « Stari umane/ Etats humains ».
Cosmin Chivu : « Cette année, nous avons réalisé un spectacle en première. Il s’appelle « Etats humains » et met ensemble la musique et la poésie. Et c’est également cette année que nous avons repris le spectacle « Rocky Horror Show ». « Etats humain » est un spectacle qui a commencé en fait par la musique, une musique de l’âme, de l’état d’âme, sans trop de paroles, un genre pas tellement pratiqué en Roumanie et qui m’a inspiré à créer une histoire témoignant de tous les aspects de nos vies, depuis la naissance et jusqu’à la mort, avec tous les plaisirs, les joies et les souffrances de la vie. Trois jours durant, des compagnies et des personnalités de l’art du spectacle du monde entier se rendent à Sibiu pour présenter leur travail, leur compagnie, et pour connaitre ainsi des partenaires, créer des projets et des relations pour l’avenir. Des compagnies des cinq continents sont venues à Sibiu et cette année, nous avons enregistré une participation sans précédent. »
Ce qui fait revenir Cosmin Chivu à Sibiu année après année, c’est l’esprit de la ville, tel qu’il a été crée par l’esprit du festival : « L’idée de départ est très généreuse ; elle part du fait qu’un petit groupe de personnes a imaginé un événement qui réunisse des esprits créatifs et de jeunes artistes qui souhaitent partager leur travail avec les autres. Certes, ce moment est passé depuis longtemps, puisqu’il s’agit des années 92 – 93, de début du festival. J’en ai participé aux deux premières éditions, lorsque j’étais étudiant à Iasi. A présent, il s’est transformé en un événement mondial. Donc, suivre ce voyage dans le passé et se rendre compte du progrès enregistré et du travail que certaines personnes ont fait pendant tout ce temps est quelque chose de tout à fait extraordinaire. »