Involution – Révolution – Evolution dans la dramaturgie roumaine et dans le théâtre européen
« Involution – Révolution – Evolution » a été le thème proposé cette année par le sélectionneur Oana Borş. Placé, cette fois-ci, sous le signe du changement, le festival a été consacré à la manière dont la société et implicitement le théâtre façonnent la réalité et construisent l’avenir. Le critique et sélectionneur Oana Borş a vu, ces derniers temps, de nombreux spectacles sur des textes roumains et elle parle d’une évolution positive de la dramaturgie autochtone : « La dramaturgie roumaine progresse – à petits pas, il est vrai – mais si l’on est attentif à ce qui se passe dans le monde du théâtre, on peut s’en rendre compte. Il est possible de constater, tout d’abord, une plus grande diversité thématique, les dramaturges ne sont plus focalisés sur cette approche socio-documentaire qui a dominé, pendant quelques années, le théâtre contemporain. Ils abordent des thèmes divers, touchant l’introspection, les relations interhumaines, les relations sociales. La qualité des textes est meilleure, nos dramaturges sont arrivés à leur maturité artistique – je pense notamment à Csaba Székely, Mihaela Michailov et Radu Apostol, qui travaillent ensemble depuis longtemps… Alex Popa est aussi un nom qui se fait connaître de plus en plus. »
Corina Cristea, 02.06.2018, 16:34
« Involution – Révolution – Evolution » a été le thème proposé cette année par le sélectionneur Oana Borş. Placé, cette fois-ci, sous le signe du changement, le festival a été consacré à la manière dont la société et implicitement le théâtre façonnent la réalité et construisent l’avenir. Le critique et sélectionneur Oana Borş a vu, ces derniers temps, de nombreux spectacles sur des textes roumains et elle parle d’une évolution positive de la dramaturgie autochtone : « La dramaturgie roumaine progresse – à petits pas, il est vrai – mais si l’on est attentif à ce qui se passe dans le monde du théâtre, on peut s’en rendre compte. Il est possible de constater, tout d’abord, une plus grande diversité thématique, les dramaturges ne sont plus focalisés sur cette approche socio-documentaire qui a dominé, pendant quelques années, le théâtre contemporain. Ils abordent des thèmes divers, touchant l’introspection, les relations interhumaines, les relations sociales. La qualité des textes est meilleure, nos dramaturges sont arrivés à leur maturité artistique – je pense notamment à Csaba Székely, Mihaela Michailov et Radu Apostol, qui travaillent ensemble depuis longtemps… Alex Popa est aussi un nom qui se fait connaître de plus en plus. »
Acceptation et préjugés, identité et cohabitation et surtout amour… Voilà les thèmes qu’aborde le spectacle « Histoire transylvaine », d’après un texte de George Ştefan, mis en scène par Andi Gherghe, une production du centre Multimedia Studio Act de la ville d’Oradea. Le spectacle raconte l’histoire – bien réelle – d’une famille mixte roumano-hongroise de Târgu-Mureş, suivie pendant plusieurs générations. Il y est question de la coexistence des Roumains et des Magyars ainsi que des affrontements violents qui ont eu lieu à Târgu Mureş du 19 au 21 mars 1990. Les acteurs sont des ethniques roumains et hongrois, le spectacle étant joué dans les deux langues. Richard Balint joue le rôle de Ştefan Remeş, membre roumain de la Securitate chargé du dossier du Magyar Szabados Istvan, qu’il envoie en prison. Celui-ci est interprété par Kocsis Gyula. Ce qui est intéressant, c’est que les deux acteurs ont réellement vécu des expériences similaires à celles racontées dans ce spectacle. Nous les écoutons, tous les deux. Passons, pour commencer, le micro à Richard Balint : « Je suis, moi aussi, d’une certaine façon, un produit roumano-magyar. Mon père était Hongrois et ma mère – Roumaine et j’ai vécu des situations similaires. Là où j’ai grandi, j’ai été battu au moins deux fois parce que j’étais Hongrois. Ça arrivait, on n’y pouvait rien. Et en mars 1990, j’ai vécu certaines expériences – pas nécessairement violentes. L’attitude des gens envers nous a changé brusquement. Des gens que l’on pouvait considérer comme des amis, qui habitaient dans le même immeuble que nous, ont commencé effectivement à nous craindre. Il y a eu des tensions là-bas, à Cugir. »
Et Kocsis Gyula? « Mon père a passé 11 mois en prison, à Oradea, pour avoir voulu franchir illégalement la frontière et quitter le pays. Les communistes l’ont emprisonné parce qu’il voulait être libre. »
Au programme du volet roumain du festival a également figuré le spectacle «Shakespeare pour Ana », production du Centre des arts Coliseum de Chişinău. Il s’agit d’un spectacle de théâtre documentaire sur la vérité et l’amour, créé à partir d’interviews réalisées dans les prisons N°10 – Goian, pour mineurs, N°7 – Rusca, pour femmes et N°6 – Soroca, pour hommes. Le texte et la mise en scène sont signés par Luminiţa Ţâcu, dont l’intérêt pour le théâtre documentaire est déjà connu. L’actrice et metteuse en scène Luminiţa Ţâcu n’en est pas à son premier spectacle créé à partir d’histoires racontées par des détenus : « En 2008, nous avons monté le spectacle « La Maison M », où figurait entre autres le monologue d’une femme qui avait tué son mari. Un certain temps s’était écoulé et j’ai repensé aux femmes auxquelles j’avais parlé dans la prison de Rusca. J’avais travaillé ce spectacle sur la violence domestique, « La Maison M » et je me demandais à quoi ressemblerait une vie sans amour. Comment les femmes de Rusca vivent-elles leur vie ? Je savais qu’elles avaient des enfants à la maison, qu’elles avaient des maris et qu’elles cherchaient l’amour. Et je savais aussi que certaines d’entre elles le cherchaient là-bas, en prison. Alors l’idée m’est venue de faire un spectacle sur l’amour, un spectacle sur cet amour quasiment impossible. Nous avons décidé de visiter trois prisons spéciales. Nous avons parlé à beaucoup de détenus, mais aussi à des employés des pénitenciers. Ce spectacle est troublant pour nous aussi, car il nous replonge à chaque fois dans ce monde isolé, à chaque fois il nous rappelle que ces gens-là, ils aiment, existent. Et à chaque fois nous éprouvons des regrets, des remords parce que nous vivons en liberté et quelque part, loin de nous, derrière les barreaux, se tient quelqu’un que l’on a connu et avec lequel on a parlé d’amour. »
Le volet européen du Festival de Timișoara a été représenté cette année par des noms retentissants du théâtre du vieux continent. Oana Borş : « Je suis heureuse de constater que le festival jouit de notoriété et qu’il attire de grands noms du théâtre, de grandes compagnies. C’était un honneur pour nous d’accueillir un spectacle du célèbre metteur en scène Milo Rau, réalisé en collaboration avec le théâtre Schaubühne. Dans son docudrame, Milo Rau parle de la migration des dernières années. Il y a distribué deux acteurs syriens, déjà citoyens européens, et deux acteurs du Vieux continent, plus exactement de Grèce et de Roumanie (Maia Morgenstern, en l’occurrence). Luk Perceval et son théâtre Thalia ont présenté le spectacle « Les Raisins de la colère » – une réinterprétation moderne du texte de John Steinbeck, dans laquelle il se penche sur l’exil et l’identité. »
(Aut. : Luana Pleşea ; Trad. : Dominique)