Le metteur en scène Andrei Şerban sur le spectacle d’opéra
A la veille de Noël, le metteur en scène Andrei Şerban a parlé de la force de la musique dans la vie, l’opéra et le théâtre, lors d’une rencontre avec le public à l’occasion du lancement du l’album bilingue «Opera directing, thoughts and images» (La mise en scène d’opéra, pensées et images). Les textes de cet album publié aux Editions Nemira appartiennent à Andrei Şerban, alors que les photos portent la signature de l’artiste Mihaela Marin. C’est le deuxième album qu’ils sortent ensemble.
Luana Pleşea, 09.01.2016, 13:27
Mihaela Marin : « C’est une expérience tout à fait nouvelle, car il s’agit pour la première fois de spectacles d’opéra. Ceux qui me connaissent, c’est surtout par les photos des spectacles de théâtre qu’ils me connaissent et les 4 albums que j’ai réalisés avant celui-ci étaient également consacrés au théâtre. Pour moi, jusqu’il n’y a pas longtemps, l’opéra c’était plutôt et surtout de la musique. Je ne pensais pas pouvoir réaliser un livre réunissant des images des spectacles d’opéra et racontant, d’une certaine façon, l’opéra. C’est pour la première fois que dans un tel album figure également un texte écrit par le metteur en scène des spectacles. Ce sont des textes très intéressants d’Andrei Şerban. La photo de la couverture provient de « Lucia di Lammermoor» et je l’ai choisie car vous y découvrirez Andrei. Il est monté sur scène une seule fois. Cela a été une surprise pour tous : pour moi, qui me trouvais dans les coulisses en train de prendre des photos, mais aussi pour les chanteurs qui se trouvaient sur scène et qui ne savaient pas qu’Andrei allait y faire son apparition pour quelques secondes. Ce sera un doux souvenir que je garderai toujours dans ma mémoire. »
L’album « La mise en scène d’opéra, pensées et images » réunit les photos que Mihaela Marin a prises durant 6 spectacles d’opéra montés par Andrei Şerban: deux à Iaşi, trois à Paris et un dernier à Vienne. « La matière de la musique est faite de sons et de silence » – affirmait Andrei Şerban lors de la conférence tenue après le lancement.
Andrei Şerban : « C’est le compositeur qui peut intégrer les sons et le silence, les réunir. A l’opéra, je suis fasciné par le silence qui s’installe au début. Les lumières s’éteignent dans la salle, le chef d’orchestre lève la baguette et ensuite c’est le suspens, l’immobilité. Cet instant est plein de mystère. Lors des répétitions, je tâche de convaincre le chef d’orchestre de prolonger les pauses entre les notes, notamment lorsque ce moment d’interruption, d’arrêt « fermata » figure sur la partition. Pourtant, les chefs d’orchestre ont peur. Il craignent que les spectateurs ne deviennent nerveux s’il y a trop de silence entre les notes. Et en effet, ce silence est d’une grande intensité, on ressent en lui une urgence, c’est un silence actif. Pour certains, le silence signifie inquiétude, pour d’autres, réconfort. »
A présent, l’auteur du spectacle, c’est le metteur en scène, affirme Andrei Serban, et sa relation avec les artistes est différente dans l’opéra par rapport au théâtre: « Lorsque je travaille à l’opéra ou dans les grands théâtres j’ai par mon contrat le devoir de ne pas faire le public s’ennuyer. Je suis responsable de l’obtention du plaisir esthétique. Les chanteurs s’adaptent plus ou moins à la mise en scène. Ils savent que la voix est tout ce qui compte et que la mise en scène peut gérer des effets visuels sans les impliquer trop. C’est différent dans le théâtre. Le message d’un spectacle est transmis par le biais des comédiens. Et s’ils jouent mal, rien ne fonctionne plus. »
Un autre aspect qu’Andrei Serban a souligné, c’est la tyrannie du chef d’orchestre, de l’interprète étoile et du metteur en scène. Et pourtant : «Les critiques académiques affirment que la mise en scène moderne ne fait que détruire l’opéra. Je ne crois pas que la « Traviata » peut être détruite puisque sa structure musicale est trop solide. Ni la « Flûte enchantée » ne peut être détruite non plus par un metteur en scène. La force de la musique triomphe sur toute ineptie de l’orgueil du metteur en scène. Dans le théâtre, c’est différent, puisque dans le théâtre, la structure d’une pièce est beaucoup plus vulnérable. Shakespeare et Tchékhov peuvent sembler ennuyeux et pas du tout intéressants si l’esprit manque, lorsque le metteur en scène est médiocre. »
« Si l’amour, la mort, la joie et la souffrance font partie de l’expérience de l’expérience de la vie, si les hommes souhaitent écouter et voir des drames véritables racontés par le biais de la musique, l’opéra a un avenir », déclare avec optimisme le metteur en scène Andrei Serban. Et pourtant, la conclusion de la conférence tenue lors du lancement de l’album bilingue « Le mise en scène de l’opéra, pensées et images / Opera directing, thoughts and images » a visé le théâtre, l’art du présent.
Andrei Serban : « Aucun des obstacles, des ordures et des conflits qui passent par ma vie n’ont pas de sens si je n’y découvre quelque chose qui pourrait mener à un dénouement positif. Je veux croire aussi que c’est la même situation avec le théâtre que je réalise. Si ce qui se passe sur la scène fait les spectateurs rentrer chez eux pleins de frustration, d’amertume, de négativité et de haine, cela signifie que la solution théâtrale choisie est très, très faible. Beaucoup plus faible que celle qui réveille la passion, le conflit. Cette solution tente aussi d’inspirer dans chacun de nous la sensation de ce qui signifie être à présent humains à 100%, qui nous aide à partir de chez soi avec une énergie nouvelle, fraîche et bonne qui nous donne l’espoir. En ce sens, le théâtre, c’est l’art du présent ».
(Trad. Dominique, Alex Diaconescu)