Poésie distinguée
L’écrivaine et traductrice Nora Iuga a été distinguée de la Croix de Chevalier de l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne. Ce n’est pas la première fois qu’elle se voit récompenser d’une distinction allemande. En 2007, elle recevait le prix Friedrich-Gundolf, que la Deutsche Akademie fur Sprache und Dichtung attribue aux personnalités ayant contribué au rayonnement de la culture allemande à travers le monde.
România Internațional, 31.10.2015, 13:30
L’écrivaine et traductrice Nora Iuga a été distinguée de la Croix de Chevalier de l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne. Ce n’est pas la première fois qu’elle se voit récompenser d’une distinction allemande. En 2007, elle recevait le prix Friedrich-Gundolf, que la Deutsche Akademie fur Sprache und Dichtung attribue aux personnalités ayant contribué au rayonnement de la culture allemande à travers le monde.
Voici ce que Nora Iuga déclarait dans son discours de remerciement prononcé lors de la remise des insignes de la Croix de Chevalier de l’Ordre du Mérite: « Toute ma famille a été composée d’artistes de la scène. Je n’ai jamais aimé chanter dans un chœur. Je veux être différente, mais cela comporte des risques. D’habitude, on n’aime pas les gens comme moi. J’ai pu constater qu’en règle générale, le discours de remerciement tenu lors des cérémonies de remise de prix, est tout à fait impersonnel, qu’il manque de fantaisie telle la tenue obligatoire ou le désert dépourvu de végétation ».
Et à la poétesse Nora Iuga dajouter pour RRI : « Je ressens, à chaque fois, le besoin d’insister là dessus, afin que les gens comprennent pourquoi je suis comme ça. Je suis consciente du fait que ce trait de mon caractère est irritant. Les gens apprécient ceux qui se plient à un certain style, à une conception ou à une mentalité précise. Du coup, si vous ne faites pas de même, ils vous considèrent comme une exception à la règle générale. Autrement dit, c’est l’homme simple qui donne le ton. A mon avis, se cantonner dans cette tendance générale c’est stagner. Voilà pourquoi je pense qu’il faut briser ce fil uniforme, car l’uniformité appauvrit».
Dans son discours de laudatio prononcé à l’occasion de la remise des insignes de l’Ordre national du mérite, l’ambassadeur allemand à Bucarest, Werner Hans Lauk, a évoqué la prestigieuse activité de l’écrivaine Nora Iuga, en soulignant que ses liens avec l’Allemagne remontent assez loin dans le temps.
Grâce à ses parents, danseurs tous les deux, elle avait fréquenté une maternelle en Allemagne. Elle a par la suite suivi les cours d’une école de langue allemande à Sibiu, au centre de la Roumanie, où elle a également pratiqué la gymnastique. Plus tard, au bout d’une année d’activité en tant qu’enseignante, elle allait se voir écarter pour des raisons politiques. En 1968, paraît son premier recueil de poésies. Après avoir travaillé comme bibliographe à la Bibliothèque centrale d’Etat, on la retrouve dans la rédaction du journal « Neuer Weg », le futur « Allgemeine Deutsche Zeitung ».
En 1970, alors que Nora Iuga est prête pour l’impression de son deuxième volume de vers, le régime communiste lui interdit de publier désormais quoi que ce soit. 7 ans plus tard, l’écrivaine est obligée de renoncer à ses fonctions de rédactrice aux Editions Encyclopédiques, mais elle reste fidèle à la langue allemande et continue d’envoyer des articles à la revue « Volk und Kultur ». A la fin des années ‘70, elle entame une belle carrière de traductrice et promotrice de la littérature allemande. « Les traductions de Nora Iuga des oeuvres de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Oskar Pastior, Gunter Grass, Elfriede Jelinek ou Herta Muller ont contribué d’une manière essentielle à la propagation de la culture allemande en Roumanie. Nora Iuga a toujours visé l’interculturalité et elle y a merveilleusement réussi », a précisé l’ambassadeur d’Allemagne en Roumanie, Werner Hans Lauk.
Nora Iuga est un des intellectuels qui soutiennent qu’on peut parler d’une « résistance par la culture’’ même dans les années noires du communisme. « Oui, c’est vrai. De nos jours, on voit d’un mauvais œil la résistance par la culture. Cette réserve presque brutale, je l’ai remarquée la première fois chez la romancière Herta Muller, Nobel de littérature. Selon elle, on ne saurait parler de résistance que si l’on s’expose aux plus grands risques et que, quitte à perdre la vie, on ose dire ses quatre vérités au tyran. Moi, je trouve que chacun entend lutter à sa façon, que l’on ne naît pas héros. Et je me demande de plus en plus souvent combien de vrais héros a eu ce pays. Paul Goma a pris des risques énormes, Gheorghe Ursu a beaucoup pâti, il a été victime, tout comme Doina Cornea d’ailleurs. D’où ma question de savoir pourquoi d’aucuns contestent la résistance par la culture et pensent que nous avons été des lâches. Moi, je crois à cette forme de résistance, car en relisant les recueils de poésies que j’ai publiés pendant le communisme, je me rends compte que l’on pouvait dire pas mal de choses en dépit de la censure. Autrement dit, l’artiste trouvait des formules pour faire passer son message sans pour autant faire de compromis. Donc, même en ces temps-là, les écrivains ont dit ce qu’ils avaient à dire. Et puis le public lisait de la poésie, car il y trouvait non seulement une attitude de fronde, mais aussi et surtout une résistance impossible à manifester dans les médias écrits ou audiovisuels ».
Nora Iuga a également parlé de la dizaine d’années où ses écrits ont été interdits de publication: « Je n’aime pas trop faire état de cette interdiction. Toutefois, je dois avouer que j’ai été très fière d’apprendre à cette époque-là que figurais sur la liste des personnes indésirables pour le régime. Dans un premier temps, j’ai eu un sentiment d’immense orgueil. Je dois être quelqu’un de très fort et de très important du moment qu’ils ont peur de moi, ai-je pensé. Au fil du temps, j’ai sombré dans le doute, me disant que dans un pays comme la Roumanie, où les personnalités et les valeurs n’étaient pas tellement nombreuses, ils pouvaient très bien se passer de moi. J’avais 40 ans lorsque j’ai subi l’interdiction de publication, laquelle a duré huit ans. Comme je n’avais publié jusque là que deux recueils de poésies, j’associais cette interdiction à une sorte de suicide. Cela aurait pu me décourager à jamais.. »
Plusieurs œuvres en prose ou en vers portant la signature de Nora Iuga ont été publiées à l’étranger: les romans « La sexagénaire et le jeune homme » (paru en Allemagne, Espagne, Italie, France, Slovénie, Bulgarie), « Le savon de Léopold Bloom » (publié en Bulgarie), « Allons voler des pastèques » (paru en Bulgarie) et les recueils de poésies « Caprices dangereux » (anthologie publiée en Allemagne et en Slovénie), « L’autobus aux bossus » (Allemagne), « Poème d’octobre » (Allemagne), « Le cœur comme un poing de boxeur » (France), « Un cœur hissé sur des échasses » (Suisse). Nora Iuga a également bénéficié de la plus importante bourse offerte par l’Etat allemand à un écrivain étranger, à savoir une bourse de lOffice allemand déchanges universitaires, mieux connu sous l’appellation DAAD. En 2014, était lancé le film documentaire « Ici, Nora Iuga », réalisé par Vlad Rotaru, d’après un scénario de Cristian Cosma.