Radu Afrim – trois premières au théâtre de Sibiu
Le Théâtre National Radu Stanca de Sibiu a récemment invité le public à un marathon théâtral comportant les trois pièces dernièrement mises en scène par Radu Afrim. Il s’agit de « Tattoo » d’Igor Bauersima et Réjane Desvignes à l’affiche de la section en allemand du Théâtre national de Sibiu et des deux dernières premières de la série des « Fables urbaines », à savoir « Girafes » et « Buffles » d’après Pau Miro.
Luana Pleşea, 21.03.2015, 13:30
Radu Afrim aime bien explorer des textes et des auteurs peu connus. A ses dires, pour un metteur en scène, trouver le texte juste est essentiel, ce qui le pousse toujours à choisir ses textes en fonction des théâtres et des villes qui les accueillent. Avec « Lions », les textes « Girafes » et « Buffles » forment la trilogie des Fables urbaines du catalan Pau Miro, écrivain apprécié et primé en Europe et totalement méconnu en Roumanie. (Trad. Ioana Stancescu, Mariana Tudose)
Le réalisateur Radu Afrim explique: « Tout d’abord, j’ai pensé à la troupe de comédiens. Un spectacle comme Girafes est surtout à l’avantage des acteurs plus mûrs et plus expérimentés, tandis que Buffles est surtout pour les jeunes, les étudiants, les débutants qui n’ont pas eu encore l’occasion d’incarner des rôles difficiles. J’ai pensé que la mise en scène d’un seul volet de cette trilogie était insuffisant, car moi, je voulais bien exploiter cette liaison entre les trois parties. Les émotions les plus grandes, je les ai eues avec le spectacle Buffles, car il respire un air plutôt sombre. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de mettre en scène Girafes aussi, pour créer un contrepoint avec Buffles. J’avoue qu’au début, je me suis arrêté seulement sur ce dernier, car j’avais lu le texte et c’était un poème dramatique que j’ai bien aimé. Et puis, j’ai changé d’avis, bien que Girafes exploite un sujet triste et fragile. »
La mise en scène de Girafes de Radu Afrim a pour cadre le bord de la mer Noire, en Roumanie, dans les années 1968, et place au centre de l’action un objet banal à première vue, mais qui a pratiquement révolutionné la vie de la femme au siècle dernier : la machine à laver. D’ailleurs, tous les trois volets de la trilogie de Miro se tissent autour de cet objet électroménager qu’est la machine à laver.
Radu Afrim : « Le texte original aborde aussi le thème de la libération sexuelle à une époque où ce concept était plutôt tabou en Roumanie. Il est question à un moment donné d’un travesti qui entre dans un bar réservé aux touristes étrangers. Or, j’ai pensé que c’était très bien de déplacer l’action de la pièce en Roumanie. Ce n’est pas pour la première fois que j’utilise dans mes mises en scène des objets électroménagers. Ils sont beaux, ils sont manufacturés, ils ne sont pas en papier mâché et du coup on peut leur donner un peu de magie, on peut jouer avec. A force d’entrer en contact avec les personnages, soit ces objets s’humanisent, soit les humains se robotisent. Dans cette pièce, la machine à laver symbolise la libération de la femme d’une corvée dont je me souviens très bien. Moi, je suis né en ’68, c’est justement l’année de l’action de cette pièce et donc, je me rappelle très bien les moments quand ma mère faisait la lessive à la main ou quand ma grand-mère la faisait dans la rivière ».
« Girafes » est une pièce qui traite des sujets tels les valeurs traditionnelles, le féminisme, l’amour ou le libre arbitre. La comédienne Mariana Mihu joue le rôle de la femme mariée qui souhaite se procurer une machine à laver, Albalux. A parler de son personnage, elle affirme s’identifier parfaitement avec, d’une part, puisque toute son enfance et son adolescence, elle les a vécues ces années-là, et de l’autre, parce que le personnage change: « Il y a dans la pièce Girafes” un humour qui me convient, puisqu’il aide à faire contre mauvaise fortune bon cœur. C’est bon pour le moral, pour l’âme. Il y est question de la capacité de l’être humain à changer et à nourrir l’espoir que quelque chose de beau adviendra dans sa vie. C’est, je pense, la raison pour laquelle j’ai accepté de m’y investir, car, à un moment donné, j’étais vraiment exténuée. L’idée que les gens sont capables de changer en bien et d’espérer m’a beaucoup attirée et m’a déterminée à aller de l’avant. Je trouve que les girafes sont des animaux qui voient plus loin que les autres. Les buffles, eux, sont endurants. En fin de compte, il y est question d’endurance. »
Dans la distribution du spectacle « Girafes », les rôles principaux ont été confiés à des comédiens chevronnés du Théâtre « Radu Stanca », tandis que dans la pièce « Buffles », les rôles des protagonistes sont interprétés par des jeunes. « Girafes » est un spectacle mi-comique mi-nostalgique. « Buffles » est une pièce émouvante sur la mort et la survie. L’action se passe dans une blanchisserie: un enfant meurt, sa mère disparaît, le père perd l’esprit, tandis que les quatre autres enfants — buffles survivent à ces malheurs. Le jeune comédien Vlad Bârzanu interprète le rôle d’un de ces quatre mômes. Voici comment il les décrit: « Ces petits sont déboussolés. Ils s’efforcent de survivre, de saisir ce qui leur arrive, de suivre leur petit bonhomme de chemin, de continuer à vivre tant bien que mal, comme ils l’ont appris et comme leurs parents leur avaient appris à le faire. Frêles comme les girafes, à première vue, ils s’avèrent plus résistants que celles-ci. Chacun a son histoire, avec ses difficultés, mais tous tiennent bon. »
Même si « Buffles » est une pièce poignante, le metteur en scène Radu Afrim a su trouver le bon moment pour y glisser de l’humour aussi, car, dit-il : « Manquer d’humour, c’est être anodin dans la vie comme sur les planches. Le petit rire, je l’ai glissé au moment où les clients, déguisés en différents personnages, se débarrassent de leurs costumes, de leurs existences et de leurs péchés, les abandonnant dans cette blanchisserie familiale. J’ai déniché toute sorte de blagues au milieu du spectacle, que l’on ne retrouve pas dans le texte. L’indication scénique de l’auteur les frères s’amusent” vous donne la liberté d’improviser, d’être metteur en scène, artiste. Oui, j’ai déniché des soupapes comiques, mais je m’en suis servi avec modération. Les personnages de la pièce Girafes” apportent déjà leur dose de sympathie intrinsèque. J’ai imaginé la représentation des deux spectacles au cours de la même soirée, séparés par une pause. »
Le spectacle « Tattoo », d’après le texte des deux auteurs suisses Igor Bauersima et Réjane Desvignes, a été mis en scène par Radu Afrim et interprété par les comédiens de la section allemande du Théâtre national « Radu Stanca » de Sibiu. Selon Radu Afrim, on y trouvera beaucoup de suspense, d’action et d’humour : « Il ne ressemble en rien à ce que j’ai fait jusqu’ici. Cette pièce, si bien écrite, a l’air d’un texte classique avec tout ce qu’il faut: intrigue, déroulement et un dénouement tout à fait surprenant. Les comédiens m’ont beaucoup aidé. Nous avons travaillé dans une ambiance de joie, d’impromptu. Nous étions pris d’un fou rire, car ce spectacle est très sauvage, très physique et en même temps d’une grande lucidité. Le texte, très subtil, m’avait charmé dès la première lecture. Il parle d’un artiste qui choisit de se faire tatouer le corps, car il pense que c’est là une manière inédite de défier ses amis. Cette pièce traite de l’amitié, de la sincérité dans les relations humaines. J’ai si intensément travaillé cette pièce que je ne saurais accepter la moindre erreur lors de ses représentations. Voilà pourquoi je suis toujours ému quand on la joue. »