L’écrivain Norman Manea, invité au Festival International de Littérature et Traduction de Iaşi
L’écrivain Norman Manea a été un des invités de marque du Festival international de littérature et traduction (FILIT) déroulé à Iaşi en octobre dernier. D’origine juive et vivant aux USA depuis 1986, l’auteur de livres célèbres tels « Le retour du hooligan », « L’enveloppe noire », « Les clowns : le dictateur et l’artiste », « Le bonheur obligatoire », ou « La tanière », a connu dès son jeune âge la déportation et l’exil. « J’ai eu un parcours existentiel compliqué. Mon premier exil, je l’ai vécu quand j’avais 5 ans ; en 1945, je me considérais comme un vieillard de 9 ans », se raconte Norman Manea, qui compte parmi ses meilleurs amis l’écrivain Philip Roth et le poète américain Edward Hirsch, qui était d’ailleurs son invité personnel à Iaşi.
Corina Sabău, 03.01.2015, 13:00
L’écrivain Norman Manea a été un des invités de marque du Festival international de littérature et traduction (FILIT) déroulé à Iaşi en octobre dernier. D’origine juive et vivant aux USA depuis 1986, l’auteur de livres célèbres tels « Le retour du hooligan », « L’enveloppe noire », « Les clowns : le dictateur et l’artiste », « Le bonheur obligatoire », ou « La tanière », a connu dès son jeune âge la déportation et l’exil. « J’ai eu un parcours existentiel compliqué. Mon premier exil, je l’ai vécu quand j’avais 5 ans ; en 1945, je me considérais comme un vieillard de 9 ans », se raconte Norman Manea, qui compte parmi ses meilleurs amis l’écrivain Philip Roth et le poète américain Edward Hirsch, qui était d’ailleurs son invité personnel à Iaşi.
La modératrice de la soirée du FILIT a été Carmen Muşat, rédactrice en chef de l’hebdomadaire bucarestois ‘Observator cultural’. Elle a ouvert le débat en s’appuyant sur une affirmation d’Edward Kanterian, un professeur à l’Université d’Oxford avec lequel Norman Manea a dialogué pendant 11 années ; leur échange a été publié dans la série d’auteur dédiée à l’écrivain par les éditions Polirom. Pour Edward Kanterian, Norman Manea est l’auteur roumain qui a provoqué trois polémiques essentielles dans la culture roumaine.
Carmen Muşat en fait le compte-rendu : « En 1982, dans une interview à la revue Familia, Norman Manea a fait des affirmations qui ont dérangé les responsables de l’époque mais aussi certains de ses confrères écrivains, car il avait osé parler du nationalisme et de son approche par les écrivains obéissants des ces temps-là. Ensuite, en 1992, il a publié dans l’hebdomadaire d’opinion Revista 22, dirigé à l’époque par Gabriela Adameşteanu, un essai où il se permettait d’aborder l’engagement légionnaire, d’extrême droite, de Mircea Eliade, violant ainsi un tabou de notre culture et posant la question de l’implication de l’intellectuel dans une idéologie malheureuse. Et puis, troisièmement, en 1997, lors de la parution du Journal de Mihail, Norman Manea a parlé des incompatibilités, du fait que, en citant Sebastian, il n’existe pas d’incompatibilités dans la culture roumaine. Norman Manea a toujours été fasciné par les nuances, mais n’a jamais évité de trancher dans le cas de sujets que nous passons d’habitude sous silence. »
Prenant comme point de départ les remarques de Norman Manea, Carmen Muşat a posé la question suivante: pourquoi notre rapport à la mémoire se crispe-t-il quand nous le mettons devant le miroir de la vérité ? Norman Manea : « Je ne suis ni polémiste ni provocateur – en tout cas, je ne me vois pas ainsi. Je nai fait quexpliquer mon opinion personnelle, mon point de vue sur la place de la littérature dans lhistoire dune nation. Jai parlé des périodes plus difficiles de lhistoire roumaine, mais, en règle générale, je refuse demployer des termes collectifs, généraux sur les Roumains, les Juifs etc. Moi, je me concentre sur lindividu, sur ce quil peut et doit faire, sur les différences radicales de personnalité entre nous. Pour ce qui est de la mémoire, jai constaté que les cas dautoanalyse et danalyse critique des erreurs sont plutôt rares dans lhistoire des Roumains. Et cela est la conséquence d’un certain hédonisme – les Roumains, dont je fais partie, sont un peuple hédoniste, à mon avis. Un des arguments à l’appui de cette affirmation, c’est justement ce dicton populaire comme quoi nous navons pas donné des saints au monde, nous avons donné des poètes. Lhédoniste profite à fond des joies de la vie, il sintéresse plutôt à lart quau sacré. Cela implique aussi une certaine capacité dadaptation à limmédiat, ce qui peut engendrer un certain oubli du passé ».
Dans ces conditions, quel pourrait être le rôle de lintellectuel au sein de la société contemporaine, post-totalitaire à certains endroits de la Terre, une société se trouvant constamment sous la menace de toute sorte de crises? Voilà une autre question-défi lancée par la journaliste Carmen Muşat à lécrivain Norman Manea, lors du débat organisé dans le cadre du Festival international de littérature et de traductions – FILIT de Iasi. Et voici la réponse de lhomme de lettres: « Jévite de proposer ou dimposer des rôles à qui que ce soit. Il y a des intellectuels qui se sont renfermés dans leur existence de penseurs, dautres qui se perdent dans la masse et cela pour mieux lutter pour un idéal. Autant de choix personnels. Je veux croire – et je serais heureux sil en était ainsi – que lintellectuel joue un rôle positif dans le débat national. Sa position et sa mission saffaiblissent de plus en plus au sein de la société moderne, une société pratique, plutôt mercantile, où largent fait la loi. Les intellectuels de premier rang, ceux qui ont joué le rôle de formateurs sociaux, sont maintenant en retrait et je ne pense pas quils savancent au premier plan. »
Notons, enfin, que le Festival international de littérature et de traductions de Iasi a été organisé sous légide de la Mission de la Commission européenne en Roumanie. Il a réuni quelque 300 professionnels du livre roumains et étrangers, issus de toutes les branches de ce domaine, depuis les écrivains et les traducteurs jusquaux critiques, éditeurs, distributeurs et libraires. (trad.: Ileana Taroi, Andrei Popov)