Nouvelle saison au Théâtre National Radu Stanca de Sibiu
Depuis quelques années déjà, la tradition veut que la plupart des théâtres de Roumanie organisent début octobre une sorte de mini-saison théâtrale à l’intention à la fois des spectateurs, critiques et journalistes. Ceux-ci sont donc invités à assister aux spectacles et projets les plus importants que les théâtres s’apprêtent à mettre en scène dans le courant de la saison.
Luana Pleşea, 11.10.2014, 13:05
Depuis quelques années déjà, la tradition veut que la plupart des théâtres de Roumanie organisent début octobre une sorte de mini-saison théâtrale à l’intention à la fois des spectateurs, critiques et journalistes. Ceux-ci sont donc invités à assister aux spectacles et projets les plus importants que les théâtres s’apprêtent à mettre en scène dans le courant de la saison.
C’est exactement ce qui s’est passé au Théâtre Radu Stanca de Sibiu, organisateur du célèbre Festival International de Théâtre. Quelques jours durant, spectateurs, critiques et journalistes ont eu la chance de voir cinq des 14 premières de la saison théâtrale 2014-2015. La mini-saison de Sibiu s’est ouverte par le vernissage de l’exposition « Visions de la révolte et la tragédie » de Sebastian Marcovici et Dragos Dumitru de l’Association Focus Sibiu. Deux jeunes photographes qui ont immortalisé les meilleurs moments des spectacles à l’affiche de la nouvelle saison théâtrale.
Détails avec Sebastian Marcovici: « L’exposition regroupe 30 photos au total, six images représentatives pour chacun des cinq spectacles présentés en avant-première. Personnellement, je crois qu’au moment où l’on fait des photos d’un spectacle, il est important de le connaître, de bien comprendre ce qui se passe sur scène pour mieux le percevoir. Voilà pourquoi la photographie de spectacle compte parmi mes préférées. C’est un défi que de réussir à réagir si vite: en moins d’une heure, il faut sentir, voir et photographier. Les spectacles sont très bons, très visuels, pleins de couleurs, dynamiques et source d’excellentes photos ».
La série de spectacles en avant-première a débuté par le spectacle Marat/Sade mis en scène par le Luxembourgeois Charles Muller d’après la pièce « La Persécution et lAssassinat de Jean-Paul Marat représentés par le groupe théâtral de lhospice de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade » écrite par Peter Weiss en 1963. Une année plus tard, en 1964, ce fut le célèbre metteur en scène britannique Peter Brook qui a décidé de la monter à Londres avant de la présenter sur le Broadway, en 1965 et l’adapter au grand écran, en 1966. Autant de productions qui ont valu à Peter Weiss le prix Tony de la meilleure pièce de l’année 1966 et à Peter Brook le prix du meilleur metteur en scène. La pièce parle de la Révolution vue par des fous de l’hospice civil de Charenton. Ceux-ci, sous la direction de Monsieur de Sade et la surveillance de l’annonceur, jouent comme ils le peuvent l’assassinat de Marat qui a un lien direct avec la Révolution qui est en train de se produire dans les rues.
De l’avis de Charles Muller, la pièce est très actuelle: « La pièce se construit autour du dialogue entre Sade et Marat. Leurs répliques crayonnent deux points de vue antagonistes sur un possible sens de la vie. Or les deux ont une perception erronée de la réalité, telle qu’elle se présente de nos jours. Le message de la pièce est, si vous voulez, que les gens ont beaucoup de mal à organiser leurs vies. Tout à fait vrai. Il suffit de regarder le contexte mondial actuel. Bien que la pièce date des années ‘60 du siècle passé, elle reste ancrée dans l’ctualité. Il suffit de penser aux conflits d’Egypte, Tunisie, Syrie, à la situation en Ukraine — si dramatique -, aux chômeurs qui existent en Occident, aux vagues d’immigrants… Or, personnellement, je crois que l’histoire nous apprend que toutes les grandes révolutions ont échoué. Les Français ont l’habitude de dire la révolution mange ses propres enfants. Il nous est facile de comprendre les ressorts de la Révolution française ou bien ceux de la Révolution d’octobre, en Russie… on comprend très bien les raisons qui ont poussé les peuples à se révolter. Mais ces révolutions ont ouvert la voie aux dictatures. Et personne n’a besoin d’un dictateur ».
La section allemande du Théâtre National « Radu Stanca » de Sibiu a présenté en première, au public, le spectacle Amadeus de Peter Shaffer, mis en scène par Gavriil Pinte. Celui-ci s’engage sur les traces de Mozart dont la fin reste pleine de mystère dans le contexte de la jalousie ressentie par Antonio Salieri, grand compositeur de la cour de l’empereur autrichien.
Pourtant, ce ne fut pas la fin prématurée et mystérieuse de Mozart qui attira l’attention du metteur en scène, mais autre chose, comme il l’affirme: « La mort ne m’a pas particulièrement intéressé, mais plutôt le fait que tout comme à l’époque, de nos jours aussi l’artiste tombe parfois victime des contraintes politiques et économiques. Mozart s’est confronté à la misère, à la pauvreté, à l’obtusion des ceux qui auraient dû lui accorder soutien financier et social. On ne saurait parler de la condition de l’artiste sans parler de la composante politique, sociale et bien sûr esthétique de son existence. Mozart a été un enfant prodige qui surclassait ses contemporains. Je me suis penché sur la condition de l’artiste, ma pièce gravite autour du dialogue entre l’artiste doué et l’autre — médiocre -, entre Mozart et Salieri. Il s’agit de mettre en lumière, d’une part, les délices et les supplices de la création chez Mozart, et de l’autre, la misère de la médiocrité, la jalousie terrible de Salieri, le seul capable de comprendre cette musique qu’il haïssait tant ».
La série des premières au Théâtre Radu Stanca de Sibiu a continué par le spectacle « La leçon » d’Eugène Ionesco, mis en scène par Mihai Maniutiu. Il s’agit d’un texte sur la manipulation, la séduction et les horreurs. Toujours à l’affiche de cette mini-saison théâtrale — « Pourquoi Hécube? » de Matei Visniec, mis en scène par Anca Bradu, une tragédie moderne sur la dernière reine de Troie et « Oidip » de Silviu Purcarete d’après un scénario original inspiré des textes « Œdipe roi » et « Œdipe à Colone » de Sophocle. Ce spectacle a figuré d’ailleurs à l’affiche de l’édition 2014 du Festival International de Théâtre de Sibiu et sera présenté au Festival national de théâtre de cette année, avant de partir l’année prochaine, en avril, en tournée au Japon. (Trad. Ioana Stancescu)