Présences roumaines au Festival International du film de Rotterdam
Corina Sabău, 01.02.2014, 13:28
«Quand le soir tombe sur Bucarest ou Métabolisme» de Corneliu Proumboiu, «Bucarest, où es-tu? » de Vlad Petri et le court métrage «L’ombre d’un nuage» de Radu Jude sont les 3 films roumains sélectionnés pour la compétition du Festival international du film de Rotterdam, qui se déroule dans cette deuxième plus grande ville néerlandaise du 22 janvier au 2 février.
Moins connu que Radu Jude et Corneliu Porumboiu, Vlad Petri est diplômé de l’Université nationale d’art du théâtre et du cinéma de Bucarest. Il est réalisateur de films documentaires et photographe. Il a suivi attentivement, en tant qu’artiste, les mouvements sociaux de 2012-2013 à Bucarest, publiant régulièrement sur Internet des vidéos et des photos prises sur les lieux. Il s’intéresse à la réalité immédiate, personnelle et aux transformations sociales dont il est témoin. «C’est la place publique, cet espace de débats, de propositions et de protestations qui m’intéresse le plus. J’aime observer son devenir, sa dynamique, son impact social. Les gens qui l’envahissent me passionnent, tout comme leur façon de formuler et de transmettre leur message. Je me suis proposé d’être présent le plus souvent possible sur la place publique et de distribuer mes films exclusivement sur Internet, au rythme des événements — affirme le réalisateur. C’est d’ailleurs de cet intérêt pour la place publique, pour l’espace public de débats qu’est né le documentaire «Bucarest, où es-tu?», faisant partie de la sélection de l’actuelle édition du Festival international du film de Rotterdam.
Vlad Petri. «La réalisation de ce film a duré deux ans. Cette sélection m’a beaucoup réjoui, car le festival de Rotterdam est un des plus importants en Europe. A présent, nous sommes curieux de connaître les réactions qu’il a suscitées. Le film présente les événements de 2012 à Bucarest. J’ai travaillé sur 60 heures de tournage pour faire un film d’une heure vingt. Pourtant, dans ces 80 minutes nous avons essayé de raconter une histoire aussi bien structurée et complète que possible sur ce qui s’est passé dans la rue, pendant cette période-là. Nous avons laissé le matériel filmé dans la rue nous diriger vers une histoire, nous n’avons pas souhaité orienter les spectateurs vers un certain décodage».
Le court-métrage de Radu Jude «Shadow of a cloud» «Ombre d’un nuage» raconte l’histoire d’un prêtre, interprété par le metteur en scène Alexandru Dabija. Un jour torride d’été, le prêtre est appelé au chevet d’une mourante, pour une dernière prière. Ce film est riche de sens. Le plus important en est, peut-être, celui exprimé dans un fragment de la prière faite par le prêtre: «ma vie pitoyable est passée comme un sommeil profond, comme l’ombre d’un nuage» – formule reprise dans le titre de ce film, présent, l’année dernière, au Festival de Cannes, dans la Quinzaine des réalisateurs.
Radu Jude. «Quelque chose en moi me pousse à voir les choses de cette façon. Tchekhov a résumé encore mieux cette situation. Un personnage de la pièce «Oncle Vania» dit — je cite: «Pendant longtemps j’ai pensé que la destinée de l’homme c’était d’être tragique, mais j’ai fini par découvrir qu’en fait, sa destinée ’était d’être ridicule. « Et il y a, en effet, du ridicule dans la façon dont les gens se rapportent à eux-mêmes et à leurs problèmes, ce qui n’exclut pas la réalité de la tristesse et de la souffrance. Et c’est là l’angle sous lequel j’aime regarder. Pour moi, cela devient intéressant lorsque la tristesse, le drame et la détresse se mêlent au point d’être perçues comme ridicules».
«Je tends vers un cinéma aussi impur que possible. Je découvre chez moi une évolution — ou peut-être une involution: lorsque j’ai commencé à travailler mes premiers films, je souhaitais vivement être très cohérent du point de vue stylistique. Je voulais avoir une sorte de conscience de la manière de tourner. Peu à peu, j’ai constaté que ce type de cohérence finit par bloquer certaines énergies susceptibles de propulser le film dans une autre direction. Il risque également de vous faire placer l’accent là où il ne devrait pas être» – affirme Radu Jude en parlant de son expérience cinématographique.
Tout comme «Policier, adjectif», le plus récent long-métrage de Corneliu Porumboiu a divisé les spectateurs en deux camps : ceux qui estiment que l’histoire, dans son sens classique, est indispensable au 7e art et ceux qui plaident en faveur d’un cinéma moins narratif. Le critique Tudor Caranfil affirmait, juste après la projection du film, que le nouveau long-métrage de Corneliu Porumboiu « Quand le soir tombe sur Bucarest ou Métabolisme » est un défi et qu’il s’agit du film expérimental le plus passionnant du cinéma roumain.
Le critique Andrei Gorzo le qualifie, lui, «de production anti-romantique hyper subtile». Le film, on pourrait le résumer de la façon suivante: Paul est en train de travailler à un film dont il est le réalisateur. Alors qu’il tourne une scène de nudité, il s’entretient avec Alina, l’actrice avec laquelle il a une relation amoureuse, avec la productrice, avec un collègue et avec un médecin qui examine son endoscopie. Le film est formé de seulement 17 plans, dont la plupart sont fixes. Dans une interview, Corneliu Porumboiu avoue que son intention était de parler de la naissance d’un film et des contraintes imposées. Corneliu Porumboiu: «Ce qui m’intéressait, c’était la relation entre les personnages et l’histoire proprement-dite. L’idée m’est venue il y a trois ans lorsque l’on avait proposé une nouvelle loi de la cinématographie. Selon elle, le concours au Centre National de la Cinématographie prévoyait un découpage de réalisateur. Des souvenirs de la faculté ont refait surface, je me rappelle que durant mes années universitaires j’étais toujours limité par le temps. Je me présentais devant mes professeurs avec des découpages que je faisais tout seul à la maison, en chronométrant les plans du film. Et ce film est né à partir de ces souvenirs. Certes, il pose aussi une question sur la manière dont j’ai commencé à faire du cinéma. »
Chaque nouvelle édition du festival de Rotterdam — le plus important organisé au Benelux — attire plus de 3.000 journalistes et professionnels de l’industrie cinématographique. Le principal but du festival est de promouvoir les jeunes réalisateurs les plus doués. (Trad.: Dominique)