L’Académie itinérante Andrei Şerban
Luana Pleşea, 14.12.2013, 13:00
«Je pense qu’un tel ouvrage est unique en Roumanie et que l’on en avait besoin pour la documentation sur un phénomène lui aussi unique et tout à fait extraordinaire… », affirmait le critique de théâtre Monica Andronescu lors du lancement, par les Editions Nemira, du volume « L’Académie itinérante Andrei Şerban — Le livre des ateliers ». Un livre dont la parution a été coordonnée par Monica Andronescu et Cristiana Gavrilă.
Voici en bref l’histoire de ce livre: en 2007, le metteur en scène Andrei Şerban démarrait, aux côtés de Corina Şuteu, la directrice, à l’époque, de l’Institut culturel roumain de New York, une série d’ateliers de création théâtrale, destinés notamment aux jeunes. Cette série d’événements s’intitulait « Académie itinérante ». Les ateliers étaient ouverts non seulement aux comédiens, metteurs en scène, scénographes et musiciens, mais aussi aux « jeunes d’esprit et aux autres professions ». Le livre sorti chez Nemira reconstruit l’image « mystérieuse » de l’Académie d’Andrei Şerban.
Ce dernier a tenté de dévoiler un peu ce mystère lors du lancement du volume. « Qu’est-ce qui nous manque? De quoi avons-nous besoin? C’est ce genre de questions qui s’est trouvé à l’origine de ces activités. Nous travaillons des matières et allons vers des directions différentes — certains vers le théâtre, d’autres dans d’autres domaines -, mais il manque quelque chose à chacun de nous. Nos besoins ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, nous nous retrouvons tous dans ce désir de recherche. Les ateliers ont été pour nous tous une sorte d’évasion, tout comme pour les personnages de la pièce Comme il vous plaira”, qui quittent la ville pour la forêt parce qu’ils ne supportent pas la pression de la vie, de la société ».
Les ateliers organisés jusqu’ici dans le cadre de l’Académie itinérante ont eu lieu à Plopi, Horezu, Ipoteşti et Mogoşoaia, chacun avec son propre centre d’intérêt. Le premier, un peu plus spécial, a eu pour point de départ le livre « Confession à Tanacu », de Tatiana Niculescu-Bran, et a débouché sur un spectacle, monté sur la scène du célèbre théâtre « La MaMa » de New York. Andrei Şerban : « Dans le premier atelier, nous avons essayé de voir comment nous autres, comédiens, musiciens, artistes plasticiens et écrivains, nous pouvions nous réunir et habiter ensemble 10 jours durant pour découvrir quelque chose. Dans ce cas, nous avions à notre disposition le livre de Tatiana Niculescu-Bran. On a donc voulu savoir si nous parvenions à le vivre en nous — mêmes. Le deuxième atelier, celui de Horezu, a été ciblé sur la vie et l’œuvre de Brancusi. Bien des comédiens ne se connaissaient pas, mais jusqu’à la fin on s’est sentis comme dans une famille. Très tôt le matin, nous nous rencontrions pour des exercices. A midi, on déjeunait ensemble. C’était là aussi une sorte d’atelier, car, au lieu de nous disperser par petits groupes, nous nous mettions tous à la même table et essayions de faire attention au moindre détail: comment faire passer le saladier, s’il fallait servir du pain ou remplir le verre d’eau à tel ou tel compagnon. L’idée était de faire du repas une activité de groupe, de manger tout en prêtant attention aux autres et en montrant plus de respect à autrui ».
L’atelier d’Ipoteşti a été centré sur la vie et les poésies d’Eminescu, tandis que celui Mogoşoaia a eu pour objet les personnalités et les œuvres de Caragiale et de Shakespeare. Rendre l’essentiel de ces rencontres dans un livre n’est pas facile. Monica Andronescu a expliqué sa conception sur la structure du volume « L’Académie itinérante Andrei Şerban — Le livre des ateliers ». « Le livre est formé de témoignages, de récits, d’interviews, d’essais. Je crois qu’après la lecture de ce livre on a le sentiment de découvrir une école où l’on peut apprendre à vivre et à vivre dans le théâtre, à faire du théâtre. Or, à mon avis, cela est très important. Comment ai-je disposé les textes? J’ai essayé de donner la parole tout d’abord à monsieur Andrei Şerban pour nous raconter ce que cette Académie signifie pour lui. Le texte suivant est celui de madame Corina Şuteu, à qui l’on doit l’existence de ce livre, et bien sûr des ateliers. Ensuite, nous avons parlé de la première des Académies itinérantes, celle qui a eu pour point de départ le livre Confession à Tanacu”, signé par Tatiana Niculescu-Bran. Nous avons continué par les témoignages des participants aux ateliers de Horezu, Mogoşoaia et Ipoteşti. Le livre s’achève par un autre texte d’Andrei Şerban. Je vous laisse le plaisir d’en découvrir les mots extraordinaires et cette impulsion indissolublement liée à l’écoute ou à la lecture de ses textes ».
Parmi les témoignages recueillis dans ce livre on retrouve celui du comédien Marius Manole. Voici ce qu’il a déclaré lors du lancement de cet ouvrage : « J’ai rencontré Andrei Şerban à Horezu, à l’occasion d’un atelier que je n’oublierai jamais. Ce fut un des moments les plus beaux que j’aie jamais passés dans le théâtre roumain. Vous direz peut-être que ce sont de grands mots, mais croyez-moi, cet atelier de Horezu a vraiment été pour moi une révélation. Ma confiance dans le théâtre s’était quelque peu affaiblie; j’avais l’impression que les choses ne se passaient plus comme je le souhaitais. J’ai eu la chance d’y rencontrer une poignée de comédiens, très doués, venus de tous les coins du pays. J’ai assisté à la démonstration du fait qu’un comédien dispose d’une énorme force de travail, qu’il est capable de se réveiller au petit jour et de travailler tard dans la nuit, s’il y a intérêt. J’ai également pu constater qu’il est possible de monter un spectacle en moins d’une semaine ou encore mesurer l’étendue de notre fantaisie. Autre conclusion que j’en ai tirée: on a besoin de quelqu’un qui sache fouiller au plus profond de nous et qui nous aide à nous épanouir… je ne penserai plus jamais à jeter la responsabilité d’un mauvais spectacle sur le comédien … ».
Voici maintenant les propos du metteur en scène Andrei Şerban au sujet de l’essence de l’Académie itinérante: « Ces ateliers peuvent aider la jeunesse — et là je pense à la jeunesse d’esprit — à grimper d’une marche. Ils ouvrent la voie vers une nouvelle éducation, dont nous autres, nous n’avons pas bénéficié. Les ateliers sont comme des cloches qui sonnent le réveil. Matisse affirmait que l’art ressemble à un fauteuil confortable. Ou à une drogue, ajouterions-nous. C’est dire qu’il a toutes les chances de nous endormir, de nous rendre passifs. Malheureusement, le théâtre est, aujourd’hui encore, un sédatif qui finit, à quelques exceptions près, par nous endormir. Il est grand temps que l’on s’évade! ». (trad. : Mariana Tudose)