La face cachée des réseaux sociaux
La confiance du public dans les médias ne cesse en effet de baisser, le rapport 2023 soulignant que 7 Roumains interrogés sur 10 évitent de puiser leur information dans les médias traditionnels.
Corina Cristea, 22.09.2023, 13:53
Selon les données publiées par l’une des études les plus
importantes portant sur le degré de confiance que le public attache aux nouvelles
véhiculées en ligne, le Digital News Report, publié par l’Institut Reuters, il
semblerait que les lecteurs s’avèrent de moins en moins intéressés de puiser dans
les sources traditionnelles d’information pour s’informer sur les actualités
les plus pesantes, telle la guerre en Ukraine ou la crise économique,
privilégiant le plus souvent les infos glanées çà et là, notamment sur les
réseaux sociaux. Et il est vrai qu’il nous suffit d’ouvrir Facebook, Instagram
ou TikTok sur son smartphone, sur sa tablette ou sur son ordinateur portable pour
tomber sur une foule d’informations d’actualité, le plus souvent invérifiables,
cela s’entend. La professeure Raluca Radu, de la Faculté de Journalisme et des Sciences de la communication
de l’université de Bucarest, le partenaire roumain de l’institut Reuters, l’auteur
de l’étude portant sur les habitudes de la consommation de l’information et les
audiences numériques, détaille sur nos ondes les principaux résultats de cette
étude :
« Il y a eu un moment,
pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les médias traditionnels avaient
supplanté les réseaux sociaux en tant que principale source d’information. Mais
vous savez, le souci avec ces réseaux c’est que souvent ils évitent d’envoyer leur
public vers les médias traditionnels, et préfèrent le garder chez eux. C’est le
cas notamment de TikTok et d’Instagram. Deux réseaux plébiscités par les jeunes
en général, par les jeunes roumains en particulier. Et l’une des surprises de
notre étude c’est justement la bonne santé de TikTok, dont la communauté
grandit d’une année sur l’autre de façon exponentielle. Evidemment, cela s’explique
en partie du fait qu’il s’agit d’un réseau utilisé surtout par les jeunes, qui
sont plus nombreux tous les ans, et qui viennent avec leurs habitudes de
consommation. Dans d’autres pays, dans des pays plus développés et plus stables
en termes de démocratie, en Europe de l’Ouest notamment, TikTok ne bénéficie
pas du même succès. TikTok fait son marché dans les pays en voie de
développement, en Amérique du Sud, au Moyen Orient notamment. Or, les Roumains étanchent
leur soif d’information grâce à TikTok. »
L’étude met en exergue les défis que doivent affronter
les médias classiques, telle la baisse de l’intérêt et de la confiance de la
part du public. La confiance du public dans les médias ne cesse en effet de
baisser, le rapport 2023 soulignant que 7 Roumains interrogés sur 10 évitent de
puiser leur information dans les médias traditionnels. Le sentiment de
lassitude face à l’abondance d’information, que la pandémie et la guerre en
Ukraine n’ont fait qu’accélérer, constitue sans doute l’une des causes, sans qu’elle
soit la seule, de la baisse de l’intérêt du public par rapport aux informations
fournies par les médias traditionnels.
Antonia Matei, lectrice à la Faculté de Journalisme et
des Sciences de la communication, déclare à son tour :
« Il faut néanmoins
reconnaître que les journalistes ne sont pas sans tâche. Vérifier une information
de nos jours prend plus de temps qu’il y a, mettons, dix ans, lorsque l’on ignorait
encore cette pandémie d’infox. Le travail du journaliste a profondément changé.
Il travaille sous une pression quasi constante. Qui plus est, les rédactions
roumaines ne disposent pas de ce professionnel chargé de vérifier la véridicité
d’une information. Ce sont les journalistes qui doivent le faire, en sus de
leur travail habituel, et cela prend du temps ».
Raluca Radu confirme pour sa part la permanence du
stress et de la pression qui sont le lot commun du quotidien de tout
journaliste, où qu’il se trouve :
« La presse est en perdition, c’est un fait. Et
ce n’est pas juste du fait du public qui se réfugie sur les réseaux sociaux. Il
existe aussi cette pression croissante exercée sur les journalistes de la part des
pouvoirs publics, de la part des Etats. Nos collègues d’Oxford ont ainsi trouvé
bon d’insérer à bon escient dans ce dernier rapport la place qu’occupe le pays
étudié dans le classement dressé par l’association Reporters sans frontières et
portant sur la liberté de la presse. Un classement établi sur base des questions
telles que : « Y a-t-il des journalistes qui se sont fait agresser ?
As-tu peur de donner ton avis sur les réseaux sociaux ? As-tu besoin de l’accord
d’une institution publique pour lancer ton site ? » Et puis, vous
savez, les conditions de travail des professionnels de la presse dans les pays
où l’on répond par l’affirmative à ces questions sont assez terribles. Il y a
un vrai retour des autocraties dans le monde. Une véritable confrontation entre
ces autocraties, qui tentent de grignoter de la sorte davantage de pouvoir et d’influence.
Et, face à cette situation, les journalistes et la presse indépendante sont
tenus de constituer le dernier rempart de la démocratie ».
Et ils le font à leurs risques et périls, alors que
ces gens aimeraient peut-être parfois se laisser tenter à leur tour de laisser
tout tomber, pour regarder, dans la chaleur de leurs chaumières, quelques gags qui
passent sur les réseaux sociaux, conclut, avec une certaine exaspération, Raluca
Radu.
(Trad. Ionut Jugureanu)