L’OTAN dans le nouveau contexte géopolitique international
l'Alliance n'avait pas eu besoin de revoir ses plans de défense à grande échelle depuis des dizaines d'années, vu que la Russie postsoviétique n'était plus perçue comme une menace.
Corina Cristea, 23.06.2023, 11:41
Le président Vladimir Poutine s’est fourvoyé en sous-estimant
l’Ukraine et l’OTAN, et l’Alliance continuera à soutenir Kiev aussi longtemps
que nécessaire, a récemment réitéré le secrétaire-général de l’organisation, Jens
Stoltenberg. Selon le patron de l’Alliance, la victoire de la Russie dans cette
guerre serait une catastrophe aussi bien pour les Ukrainiens que pour le monde
libre, car le message que cette victoire enverrait aux autres régimes
autoritaires, Pékin compris, est que l’emploi de la force paye, ce qui nous
rendrait nous, Europe, Etats-Unis, d’autant plus vulnérables. « Nous
ignorons la manière dont cette guerre s’achèvera, mais ce dont nous savons c’est
qu’il faudrait qu’ensuite nous soyons en mesure de rendre impossible un tel
passage à l’acte », avait encore ajouté Jens Stoltenberg. Aussi, mise à
part le soutien direct apporté à l’Ukraine, l’OTAN prépare à un changement de
paradigme. En effet, l’Alliance n’avait pas eu besoin de revoir ses plans de
défense à grande échelle depuis des dizaines d’années, vu que la Russie postsoviétique
n’était plus perçue comme une menace. Or, forcément, cette perception a dû être
revue de fond en comble depuis le début de la guerre en Ukraine. Une analyse publiée
par l’agence de presse Reuters prétend que les leaders de l’OTAN devraient discuter
et peut-être avaler de nouveaux plans militaires secrets lors du futur sommet
de Vilnius de l’Alliance. Des plans qui détailleront, ce qui serait une
première après la fin de la guerre froide, la manière dont l’Alliance devrait
réagir face à une attaque russe. L’analyse citée se fonde d’ailleurs sur les
déclarations d’un haut fonctionnaire militaire de l’OTAN, Rob Bauer, qui
appréciait que, je cite, « la différence fondamentale entre gestion des
crises et défense collective est la suivante : dans la première occurrence
c’est l’adversaire qui prend l’initiative. Alors, il faut que l’on soit prêt à
faire face à un conflit à tout moment », fin de citation.
George
Scutaru, directeur-général du groupe de réflexion New Strategy Center, abonde
dans le même sens :
« Pour ce qui est de l’issue de la guerre en
Ukraine, diverses hypothèses sont sur la table. Et l’une d’entre elles, qu’on
ne peut ignorer, est celle d’une escalade possible, une escalade qui mène à un
conflit ouvert entre la Russie et l’OTAN, vu notamment les éléments d’agressivité
de la Russie dans le conflit actuel. Et les militaires ne peuvent ignorer une
telle éventualité. Le monde politique non plus. Il s’agit au fond d’une
hypothèse de travail mise sur la table par les stratèges militaires, et qu’on
ne peut pas balayer du revers de la main. Car il est évident que dans l’actuel
contexte la guerre va continuer, parce qu’on voit bien que l’agressivité de la
Russie ne fait que s’amplifier. Poutine et son régime ne donnent aucun signe
qui puisse laisser supposer une issue pacifique au conflit actuel. On se dirige
vers une guerre d’usure, qui peut basculer vers une escalade brutale de la
situation. Forcément, tout cela dépend de la réaction russe, mais pour notre
part, il faut nous tenir prêt pour parer à toute éventualité ».
La région de la mer Noireconstitue par ailleurs un espace particulièrement
vulnérable, peut-être le plus vulnérable, ajoute l’analyste. C’est bien dans
cette région que l’on retrouve les conflits gelés, les guerres ouvertes, tel le
conflit en Géorgie, l’annexion de la Crimée, la guerre à grande échelle déclenchée
actuellement par la Russie en Ukraine. « Le monde doit être rassuré sur la
capacité qu’a l’OTAN de faire face à n’importe quel défi. Mais l’OTAN, c’est
nous. Car l’Alliance tire sa force dans notre capacité collective »,
ajoute encore le directeur-général de New Strategy Center.
Le sommet de Vilnius
a par ailleurs constitué le principal sujet abordé par l’analyste militaire Claudiu
Degeratu :
« Notre
perception a changé de manière fondamentale. Des plans d’actions tels qu’on en
concevait avant 1989, tels qu’on va encore le faire maintenant, prennent en
compte l’existence d’un adversaire bien identifié. Ces 30 dernières années,
nous avons parlé des plans nord-atlantiques pour faire face à des situations de
crise, pour des guerres par procuration, pour des interventions qui sortaient
de l’aire de notre vocation première, celle définie par l’article 5 du traité
de l’Alliance. Nous planifions nos actions en fonction de la situation, et non
pas par rapport à un adversaire désigné d’avance. Or, en ce moment même, nous
avons un adversaire désigné, et il s’agit de la Fédération de Russie. Et face à
cette nouvelle donne et à la suite des décisions prises lors du dernier sommet
de Madrid, l’OTAN a d’ores et déjà mis sur pied un concept de défense et de
dissuasion qui couvre l’Europe entière, un concept de défense qui n’était plus
de mise depuis la fin de la guerre froide. Il s’agit d’un plan qui couvre l’espace
qui s’étende depuis l’océan Atlantique et jusqu’à la frontière est de l’OTAN, la
Norvège, la Pologne, la Roumanie, et jusqu’à la mer Méditerranée. Et les plans concrets
de défense devraient être en accord avec ce concept de défense et de dissuasion
et devraient dès lors couvrir tout le territoire stratégique européen. Des
plans intégrés au niveau de l’OTAN, et qui prennent en considération la
nouvelle organisation des contingents militaires de l’Alliance, basée sur trois
types de forces qui réunissent jusqu’à 800.000 soldats, pourvus de différents rôles
et capacités de réaction. Les forces militaires de l’Alliance devraient s’avérer
alors capables de faire face à n’importe quelle occurrence sur le théâtre d’opérations
européen ».
Il ne s’agirait donc pas juste
de concevoir des plans de réaction en urgence à des situations imprévues qui
touchent la Turquie ou la Roumanie ainsi que nous l’envisagions jusqu’à présent,
souligne encore l’analyste Claudiu
Degeratu. Dorénavant, la Fédération de Russie devrait savoir que l’OTAN est en
mesure d’intervenir partout sur le théâtre d’opérations européen, avec la même
force et détermination, avec la même mobilité et capacité de frappe. (Trad.
Ionut Jugureanu)