Les malédictions de la sécheresse
Corina Cristea, 23.09.2022, 13:52
Les vagues de chaleur qui se sont succédé durant les
mois d’été ont fait battre de nouveaux records de température, les experts
considérant l’été 2022 comme le plus chaud jamais enregistré en Europe. Cela a
par ailleurs eu pour conséquence un phénomène de sécheresse historique, le plus
grave des 500 dernières années. Et les conséquences locales du changement
climatique n’ont pas manqué de faire la une des bulletins d’information. En
Italie par exemple, les eaux du Lac de Garde, situé au beau milieu des Alpes
italiennes, avait été tout bonnement près de battre leur plus bas niveau jamais
enregistré. A la place des
eaux, des champs de pierre firent surface. Pire encore, la température de l’eau
du Lac de Garde approcha celle des eaux des Caraïbes. C’est tout dire des
conséquences du réchauffement climatique. En Espagne, les grands lacs de
retenue baissèrent au point d’arriver au tiers de leurs volumes habituels, les
municipalités mettant un terme à l’arrosage des jardins publics, et aux jets
d’eau des fontaines. La France, l’Allemagne, le Portugal, les Pays-Bas, et
jusqu’au Royaume-Uni ont tous souffert comme jamais cet été à cause de la
sécheresse. Les fermiers ont été affectés à leur tour, et les autorités ont bien
été obligées de leur venir en aide. La Roumanie n’a pas été épargnée, loin de
là.
Monica Ioniță Scholz, doctoresse en physique, explique
sur nos ondes que si la Roumanie avait connu bien de phénomènes de sécheresse
dans son histoire, c’est la manière dont ces phénomènes surgissent et se
manifestent à présent qui est en train de changer profondément la donne : « Nous
assistons aujourd’hui à l’apparition de ce que l’on peut appeler la sécheresse
chaude. Avant, il s’agissait d’un déficit de précipitations : Pas assez de
neige en hiver, pas assez de pluie au printemps. Et en été, les récoltes souffraient
alors de ce déficit d’eau. Aujourd’hui pourtant, à cette absence de
précipitations s’ajoute la hausse des températures. L’eau s’évapore plus
rapidement du sol, qui manque déjà d’eau à cause d’un déficit chronique de
précipitations depuis la saison froide. Parce que s’il y avait suffisamment de
neige, le degré d’humidité présent dans le sol au printemps diminuerait en
quelque sorte les effets de la sécheresse en été. Or, actuellement, l’on
constate, surtout dans le sud de l’Europe, une baisse dramatique des chutes de
neige ces 20 dernières années. »
Et à la physicienne
de montrer du doigt le réchauffement climatique, qui fait constamment augmenter
la température moyenne, année après année : « Les vagues de
chaleur s’étendent sur des périodes de plus en plus longues en été. Elles
arrivent plus tôt aussi. Parfois, elles nous touchent en plein mois de
septembre, voire même en octobre ces deux dernières années. Cela arrive déjà
dans le sud de l’Europe, mais aussi en Europe centrale et de l’Est. Mais cela
commence à se faire sentir même dans le nord de l’Europe, en Norvège ou en
Finlande. La Finlande avait connu des températures de plus de 30° durant les mois
de juin et juillet de cette année, ce qui dépasse l’entendement. Au Cercle
polaire, l’on avait enregistré des températures de plus de 30°. Les forêts en
Sibérie prennent feu, et tout cela à cause des hausses de température. Ces
incendies projettent par ailleurs des cendres dans l’atmosphère, qui
atterrissent dans les régions du Cercle polaire, se déposent sur la glace, et
ne font qu’empirer les choses, et amplifier le phénomène de réchauffement
climatique ».
La chercheuse Monica
Ioniță Scholz passe en revue les 5 principaux types de sécheresse : météorologique,
agricole, hydrologique, écologique et socio-économique. Si la première ne
s’étend que sur de brèves périodes, et qu’elle s’arrête dès la tombée des
précipitations, la sécheresse agricole s’avère déjà bien plus perfide. La
baisse de l’humidité présente dans le sol constitue, en effet, une menace
sérieuse.
Monica Ioniță
Scholz : « Lorsqu’on arrive à l’état de sécheresse agricole, et que
l’on s’avère incapable de l’endiguer, cela commence à faire peur. Nous nous
voyons directement affectés. Les prix des aliments montent en flèche, certains
produits disparaissent tout bonnement, et il faut alors se rabattre sur les
importations. Ensuite, pour parler de sécheresse hydrologique, il faut qu’un
déficit constant de précipitations soit de mise durant plusieurs mois
d’affilée. Le volume d’eau des rivières baisse, l’humidité au sol est au plus
mal. Et nous connaissons déjà ce type de sécheresse, l’Europe centrale,
l’Allemagne notamment ont été durement touchées. Le transport fluvial est directement
menacé, y compris sur le Danube. Les écosystèmes sont touchés, la température
des eaux augmente, ce qui impacte directement sur les populations de poissons
et sur tous les microorganismes qui y vivent. »
Quant à la sécheresse
écologique, cette dernière mène à la disparition d’un nombre significatif
d’individus au sein de certaines espèces, voire à la disparition complète de
l’espèce. Pourtant, cette forme de sécheresse n’est pas directement liée à la
sécheresse hydrologique.
Monica Ioniță
Scholz : « Les espèces sont mises effectivement en danger dans la
mesure où leur accès à l’eau et à la nourriture s’avère difficile, sinon
impossible. Quant à la dernière catégorie, l’on parle de sécheresse
socioéconomique lorsqu’on constate l’impact de la sécheresse sur l’économie,
lorsque les prix augmentent à cause de la pénurie, lorsque le volume du
transport fluvial baisse et, avec, la quantité de marchandises que l’on peut
transporter de la sorte. Vous savez, les conséquences socio-économiques de la
sécheresse enregistrée en Roumanie dans les années 2000/2001 ont été assez
terribles. Or, un phénomène similaire a eu lieu dans toute l’Europe centrale en
2018, et les dégâts ont été considérables. »
Mais si les
scientifiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, la situation sur le
terrain continue à empirer, jusqu’à nous faire craindre d’atteindre, dans
l’inconscience générale, ce fameux point de non-retour. (Trad. Ionut Jugureanu)