L’infox et les risques associés
Corina Cristea, 19.11.2021, 08:57
Meta, l’entreprise à
l’origine de la plateforme sociale Facebook et de l’application Instagram, a
éliminé plus de mille faux comptes originaires du Nicaragua, qui, selon l’entreprise,
menaient tambour battant la campagne de désinformation du gouvernement. Débutée
il y a trois ans, cette campagne, qui tente de discréditer l’opposition, est propagée
sur les autres plateformes, telles TikTok et Twitter, selon les enquêteurs de
Meta. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la puissance de ce phénomène de
la désinformation malveillante, et dont la propagation rampante représente un
véritable défi pour notre monde, de plus en plus connecté. Les intérêts qui se
cachent derrière l’explosion de l’infox, à travers les médias en ligne et les
plateformes de socialisation, sont multiformes et impliquent parfois des commanditaires
étatiques.
Pour contrer cela, une
communication publique coordonnée est nécessaire, soulignait récemment, le chef
de la diplomatie de Bucarest, Bogdan Aurescu, lors d’une réunion du Conseil de
l’Atlantique-Nord :
« Je pense qu’il est très important d’éduquer le grand public à être prudent
lorsqu’il s’agit de prendre pour de l’argent comptant des informations glanées
par ci par là. Il faut prêter une attention particulière à la fiabilité de ces
sources d’informations, ainsi qu’à la possibilité de l’existence d’un agenda
caché de ces lanceurs d’infox, qui cherchent à saper la confiance dans les
valeurs démocratiques. Par exemple, lorsque vous regardez la télévision
Spoutnik affirmer que la Roumanie et l’UE constituent des entités distinctes,
eh bien non, la Roumanie c’est l’UE, la Roumanie c’est l’OTAN, elle est partie
intrinsèque de ces organisations. Or, de tels messages semblent suggérer que la
Roumanie est encore loin de ces organisations, et ils sont destinés à saper la
confiance du public. »
La période de pandémie
a montré, une fois de plus, que la montée en flèche de la désinformation constitue
un problème pressant. L’on a pu, en effet, assister au développement d’une
véritable industrie de l’infox, les théories du complot ont envahi les réseaux
sociaux, mais aussi les moyens d’information classiques, le monde du livre par
exemple.
La correspondante de Radio Roumanie en France,
Daniela Coman, constate une explosion de nouvelles parutions, qui caracolent en
tête des ventes et qui véhiculent les théories du complot, liées notamment à
l’origine du COVID-19, ou encore des ouvrages qui traitent d’un agenda présumé,
caché derrière l’apparition des vaccins.
Daniela Coman : « « BigPharma démasqué », publié au
printemps de cette année, s’est vendu à plus de 14.000 exemplaires en quelques
mois, un véritable succès de librairie, selon sa maison d’édition. Offert par
un proche, recommandé par un libraire, le livre donne un aspect crédible aux
thèses complotistes défendues par certains épidémiologistes pendant la crise,
contribuant ainsi à la désinformation du grand public, constate un spécialiste
de l’université de Rennes, interrogé par l’AFP. Les plateformes de vente en
ligne, tel Amazon ou d’autres, ont fait une promotion agressive de tels œuvrages,
car elles sentaient qu’elles allaient tirer le jackpot. Pourtant, ce genre de
phénomène n’est pas nouveau, constate l’expert. Les théories du complot liées à
la COVID-19, qui pullulent sur internet, sont arrivées à constituer le discours
prédominant dans certains cercles, des gens qui ne cherchent qu’à conforter
leurs opinions, surtout pas à les confronter à d’autres. Or, les périodes de
crise font depuis toujours le bonheur des créateurs et des consommateurs d’infox. »
La désinformation constitue par
ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la Roumanie se trouve en queue du
classement en matière de vaccination contre la COVID-19 avec, pour conséquence,
des dizaines de milliers de décès. Il s’agit d’un échec sociétal, dans la
mesure où de fausses informations surgies de nulle part se sont répandues comme
une traînée de poudre. Des informations en provenance de sources obscures, des
informations totalement farfélues, et qui sont prises pour de l’argent comptant
par pas mal de gens. Le coordinateur de la campagne nationale de vaccination,
le médecin Valeriu Gheorghiţă, n’arrête pas de se désoler en constatant l’échec
de la communication officielle, scientifiquement étayée.
Mais que faire ? La professeure
des universités Alina Bârgăoanu, experte dans la lutte contre la
désinformation : « En ce moment, le succès
de ces campagnes de désinformation repose sur la propension qu’ont les
utilisateurs des réseaux sociaux de diffuser eux-mêmes ces infox. La propagande
passe à travers les garde-foux habituels, car chacun de nous est à la fois
cible, transmetteur et amplificateur de l’infox. Sur les réseaux sociaux, la
principale protection contre la désinformation est d’observer un comportement aussi
réservé que possible, d’éviter de partager ou de commenter les infox, même lorsqu’il
s’agit de sujets avec lesquels nous sommes en désaccord. Je ferais ici une
brève parenthèse pour aborder ces quelques thèmes de la désinformation, les
puces, la technologie 5G. Eh bien, sachez que ces théories aberrantes ont
souvent été introduites dans le débat grand public justement par ceux qui les
combattaient. Lancées par quelques énergumènes, cantonnées au départ à la
périphérie des canaux d’information dominants, elles ont été révélées à
l’attention du grand public par ceux qui les combattaient, en s’esclaffant. C’est
nous qui avons assuré le succès public d’une théorie aussi farfelue que
l’introduction de la puce à l’occasion de la vaccination. Nous avons amplifié la
diffusion de l’infox, alors que nous pensions la combattre. »
Ce qui amène Alina
Bârgăoanu à conclure qu’il n’y a, en effet, pas de meilleure défense que
l’attitude réservée, réfléchie et responsable de tout un chacun au contact avec
les réseaux sociaux. (Trad. Ionuţ
Jugureanu)