Infox ou vidéotox …
Corina Cristea, 03.09.2021, 11:01
Sortie en 2017, la technologie Deepfakes (vidéotox) gagne du terrain. Cette technique de synthèse multimédia reposant sur l’intelligence artificielle peut en effet créer des photos convaincantes, bien que complètement fictives, et tout cela à partir de rien. Elle peut y insérer aussi du son, pour créer des « clones vocaux » de personnalités publiques : des skins vocaux, utilisés dans diverses escroqueries, par exemple. Ou elle peut encore produire des images vidéo, dans lesquelles des personnalités apparaissent dans des poses plus ou moins compromettantes, tout en étant parfaitement fausses.
Très brièvement, le terme fait référence à une technique de synthèse d’images et de son pour créer du contenu. Il est notoire le canular suite auquel la filiale britannique d’une société allemande du secteur de l’énergie a fait virer sur un compte bancaire hongrois environ 200 000 livres, suite à un appel téléphonique au cours duquel un fraudeur a imité la voix du PDG allemand. Un autre faux célèbre a eu au premier plan l’entrepreneur Elon Musk, une vidéo dans laquelle il annonçait que Tesla commencerait à produire des voitures volantes. Un cas d’école pour l’étendue des dégâts que la technologie des infox vidéo risque de produire. Bien entendu, dans certains cas, la technologie des trucages vidéo élaborés peut être amusante – vous pouvez ainsi insérer votre image pour devenir un personnage d’un film d’animation, par exemple – ou utile, comme c’est le cas avec le musée Dalí en Floride, qui, en utilisant une technologie avancée de changement de visage, « ramène à la vie le maître du surréalisme », qui présente son art en personne, et se prend en selfie avec les visiteurs.
Au-delà du côté drôle ou pratique cependant, demeure la menace qui fait peser sur le monde l’utilisation malveillante de ladite technologie. Beaucoup de vidéos obtenues par ce truchement, des vidéos à caractère pornographique, font ainsi apparaître, à l’aide de divers algorithmes, des actrices célèbres à la place des protagonistes réelles. Mais les experts affirment que les fausses vidéos obtenues à l’aide de la technologie Deepfake, peuvent piéger monsieur et madame Tout-le-Monde, sans aucune distinction et sans que l’indélicat producteur dispose d’une qualification quelconque. Relativement nouveau, le trucage vidéo hyper-réaliste est très rapidement devenu un véritable défi posé par les nouvelles technologies, une infox beaucoup plus élaborée et crédible, en quelque sorte une continuation prévisible et un perfectionnement de l’infox, au rythme de l’évolution de l’intelligence artificielle.
Et si l’infox n’est pas en soi un fait social nouveau, les nouvelles technologies augmentent son degré de crédibilité et sa vitesse de propagation d’une manière qui devient inquiétante, comme l’affirme Dragoș Stanca, entrepreneur dans le domaine du numérique, de la technologie, du marketing et des médias, actuellement président du Bureau d’audit transmédia roumain (le BRAT).
Invité sur les ondes de Radio Roumanie, Dragoș Stanca n’a de cesse de prôner l’importance de l’information fiable dans l’environnement numérique et au-delà, et d’attirer également l’attention sur le danger de la course à l’audimat. Un audimat qui, pour autant qu’il constitue le seul critère pour mesurer la fiabilité du contenu et pour récompenser financièrement les médias qui l’obtient, risque de nous mener droit dans le mur.
Dragos Stanca : « Le média digital en particulier, les médias en général sont jaugées en fonction de plusieurs critères. Le contenu fiable, le contenu audité à l’aune de la déontologie et dans le respect des règles, c’est le contenu qui mérite d’atteindre les auditeurs, les lecteurs, et cette bataille est extrêmement importante. Il faudrait remettre à l’agenda, débattre autour de ces sujets, parce que je crains que l’on se trouve dans une situation où le public ne comprend plus clairement ce que signifie vraiment une nouvelle, qui a le droit de la produire et de la diffuser, qu’est-ce que la vérité, qu’est-ce que le mensonge, qu’est-ce que la manipulation, or il s’agit là des questions essentielles pour l’industrie des médias. »
Récemment, l’assemblée générale du BRAT avait approuvé le lancement d’un projet dont l’auteur est Dragoș Stanca : la publicité responsable, soit la publicité qui n’investit que dans les médias fiables. Un projet censé entamer une discussion constructive, à savoir quels sont les moyens et les méthodologies qui s’élèvent au-delà de tout soupçon, qui soient épargnés par les risques de manipulation, et qui pourraient nous aider à faire le ménage dans cet écosystème des médias, explique Dragoș Stanca au micro de Radio Roumanie : « Comme nous veillons à éduquer nos enfants à ne traverser la rue que lorsque le feu est vert, à s’assurer en regardant à gauche, à droite et ainsi de suite, il nous faut commencer à apprendre à nous protéger des dangers qui pullulent dans l’espace médiatique. Malheureusement, la vérité, tant au sein du monde numérique que dans l’audiovisuel, commence à devenir optionnelle. Et il est de plus en plus évident que dans l’état actuel des choses, l’écosystème des médias n’est régulé que par des métriques exclusivement quantitatives. Et tant que cette pratique se poursuivra, la vérité risque de se faire de plus en plus rare. (…) Il s’agit d’un sujet vaste, compliqué, délicat, mais il nous faut l’aborder de front. Voyez-vous, à l’époque où l’automobile était apparue, il n’y avait pas de règles de circulation, et beaucoup de gens sont morts jusqu’à ce que l’on comprenne qu’imposer des règles était indispensable. Ces règles nous paraissent maintenant aller de soi, mais ce ne fut pas le cas à l’époque. Il faudrait transposer la même logique dans tous les domaines nouveaux, dans le domaine numérique, il nous faut trouver, convenir et imposer des règles face à ce genre de phénomène. (…) L’on est face à des vagues déferlantes en matière de pollution de la réalité, de l’information, et ce phénomène de vidéotox, c’est-à-dire la génération synthétique d’une réalité fausse et qui a toutes les apparences de la vérité, et qui est prise pour de l’argent comptant par son public, tout cela est dangereux et rend les choses invivables. Face à cela, tout comme nous apprenons aux enfants à ne pas se coincer les doigts à l’encoignure des portes, nous devons également leur apprendre à se protéger en ligne des personnes qui veulent leur soutirer des informations personnelles, voler les détails de leur carte de crédit, des personnes qui veulent nous compliquer la vie, nous désinformer. Il faut que tout le monde apprenne ce que c’est et comment fonctionne un piège à clics, un clickbait en anglais, qu’est-ce qu’une infox, comment l’identifier, comment faire une recherche d’image, pour savoir si la photo que vous voyez quelque part a été prise pour de vrai, ou n’est qu’une manipulation, une image inventée, pour savoir si la photo n’avait jamais été publiée auparavant ou si elle provient d’un tout autre contexte, décrivant une autre réalité que celle présentée. »
Certains de ces thèmes devraient, selon Dragos Stanca, intégrer le programme scolaire, et constituer tout le moins des sujets de préoccupation dans le monde de l’éducation. (Trad. Ionut Jugureanu)