La nouvelle composition du Parlement de Bucarest
Corina Cristea, 18.12.2020, 12:09
A l’issue d’une
campagne électorale perturbée par les effets de la pandémie, où cette dernière
a été le principal sujet de débats, les élections du 6 décembre ont enregistré le record de la plus faible présence aux urnes
dans l’histoire démocratique de la Roumanie. Aussi, sans surprise, plus de deux tiers de l’électorat roumain s’est
contenté de bouder les élections législatives, lesquelles, à en juger d’après
les scrutins antérieurs , se sont
avérées incapables de susciter un intérêt conséquent. Le politologue Radu Tudor explique sur les
ondes de Radio Roumanie la présence décevante de l’électorat aux urnes, le 6
décembre passé.
Radu Tudor : « Il
s’agit, indiscutablement, de la peur du virus. Puis, de l’absence d’une offre
électorale suffisamment attractive pour beaucoup de nos concitoyens. Je ne sais
pas avec qui voter, c’est la réplique que l’on avait souvent entendue. Je ne
vote pas à gauche, parce que je n’ai jamais voté à gauche, je ne vote pas à
droite, parce que le dernier gouvernement m’a déçu, je ne vote pas avec les
nouveaux venus, car ils sont soit nationalistes ou extrémistes, soit ils n’ont
pas l’air de suivre une quelconque idéologie, et ainsi de suite. Le trop de
promesses non honorées au fil du temps ont réussi à provoquer une certaine
lassitude, voire la répulsion d’une partie de l’électorat à l’égard du
processus électoral. L’absentéisme massif enregistré lors des dernières
élections devrait être comme une douche froide pour la classe politique, pour
l’ensemble des partis politiques. Le parlement cumule les frustrations, et ces
dernières transforment la pièce maîtresse du jeu démocratique qu’est le
parlement en une institution qui manque singulièrement de la confiance des
gens. Ces 30 dernières années, le parlement roumain n’a jamais dépassé la barre
des 15% d’opinions favorables. Or, la Roumanie est comme le papier de
tournesol, un pays où l’on peut mesurer l’adhésion publique au système
occidental de valeurs, à l’UE et à l’OTAN ».
L’électorat présent
aux urnes a finalement porté au parlement 5 formations politiques : avec en
tête le Parti social-démocrate, suivi de près par le Parti national libéral, en
troisième l’alliance constituée entre les partis l’Union sauvez la Roumanie et
le parti de l’ancien premier-ministre Dacian Ciolos, intitulé Plus, suivie par
le nouveau venu l’Alliance pour l’Union des Roumains, enfin l’Union démocrate
des Magyares de Roumanie, qui ferme la marche.
Radu Tudor analyse
ces résultats : « La première conclusion c’est que le PSD a gagné les élections
et, en dépit de cela, l’on peut parier qu’il ne formera pas le gouvernement.
Deuxième conclusion : une coalition de droite semble se dessiner, entre le PNL,
l’USR-Plus et l’UDMR. C’est une bonne nouvelle, car cela présage d’une certaine
stabilité politique, grâce à une majorité relativement confortable et à une
certaine homogénéité idéologique. Troisième élément c’est l’élément surprise,
l’apparition de ce courant nationaliste, souverainiste, incarné par l’Alliance
pour l’unité des Roumains, AUR. Il s’agit, certes, de l’un des effets de la
pandémie, mais cela s’inscrit plus largement dans le sillage des courants
politiques qui ont porté au pouvoir Donald Trump, dans le sillage des théories
de la conspiration, de l’offensive des infox et des manipulations, mais aussi
de la lutte ouvertement déclenchée par une partie de l’opinion contre les
mesures de confinement, contre ce qu’ils appellent la « dictature médicale »,
soit contre les gens qui s’érigent en une sorte de rempart singulier contre
l’avancée de la pandémie. Parmi les membres marquants de ce parti, l’on trouve
des gens qui ont organisé les manifs dirigées contre les mesures censées
endiguer la pandémie. Et ce qui est bluffant est que personne, qu’il s’agisse
des sociologues, politologues ou analystes, n’avait anticipé la force de ce
mouvement, qui tire beaucoup, je crois, de son attractivité, de la frustration
provoquée par ces dix mois de pandémie ».
En effet, la
formation politique constituée il y a un an à peine, cette Alliance pour
l’unité des Roumains a raflé plus d’un demi millions de voix, qui la propulsent
à la quatrième place au parlement de Bucarest. Autant dire que l’on assiste à
une évolution galopante. L’Alliance
promeut ouvertement la famille, la nation, la croyance chrétienne et la
liberté comme piliers de son crédo politique. Certes, ses leaders se défendent
du label de formation extrémiste, que la plupart des analystes s’empressent de
lui attribuer. Ces leaders -là privilégient la formule de formation radicale.
Une chose est spure: la nouvelle formation politique sera désormais sous les
feux des projecteurs braqués par les observateurs de tous bords, internes et
externes.
Le sociologue Dan
Jurcan, de l’Institut roumain pour l’évaluation et la stratégie, voit en
l’Alliance pour l’unité des Roumains la réponse apportée par l’électorat
roumain à l’apparition, il y a quelques années, de l’Alliance USR-Plus, parti
progressiste et libéral.
Dan Jurcan: « Car, qu’est-ce que cette Alliance pour
l’unité des Roumains, au fond ? Face au mouvement LGBT, ils viennent opposer la
famille, face au mondialisme et au multiculturalisme, ils viennent opposer le
patriotisme et le nationalisme, face à la sécularisation, à l’Etat laïc, ils
viennent opposer la croyance, face au marché libre, dérèglementé, ils prônent
le protectionnisme, et ainsi de suite. L’on rencontre déjà ce type de phénomène
politique en Europe, surtout en Hongrie et en Pologne. Nous y voilà. Leur
croissance rapide constitue, certes, une surprise. Surtout qu’ils n’avaient pas
été présents dans les médias, sur les plateaux des télévisions, ils avaient
fait les frais d’une sorte d’embargo tacite, surtout des chaînes commerciales.
En revanche, ils ont cueilli les fruits de leur stratégie agressive, d’une
véritable guérilla déchaînée sur les médias en ligne, sur les réseaux sociaux.
Ils ont ainsi réussi à pénétrer tous les groupes, sans égard à leur orientation
politique, et ont pu racoler des adhésions. Ils ont mené un combat d’homme à
homme, à travers des réseaux bien constitués, dans le pays et à l’étranger, là
où ils avaient ciblé l’électorat de la diaspora. Et ils sont parvenus à leurs
fins ».
Si l’on espérait ce
que ces dernières élections clarifieraient la situation politique, il semble
qu’elles ont plutôt débouché sur une équation politique pour le moins difficile
à gérer. (Trad. Ionut Jugureanu)