La Syrie, cinq ans de conflit
La seule chose qui demeure inchangée c’est que Bashar Al Assad règne toujours à Damas. En chiffres nets, les cinq ans de guerre civile ont fait 470 mille morts, dont 70 mille à cause de la famine et des maladies, près de 2 millions de blessés, plusieurs millions de réfugiés et d’innombrables personnes qui ont perdu leurs maisons ou qui ont été déplacées à l’intérieur du pays.
Corina Cristea, 08.04.2016, 13:30
La seule chose qui demeure inchangée c’est que Bashar Al Assad règne toujours à Damas. En chiffres nets, les cinq ans de guerre civile ont fait 470 mille morts, dont 70 mille à cause de la famine et des maladies, près de 2 millions de blessés, plusieurs millions de réfugiés et d’innombrables personnes qui ont perdu leurs maisons ou qui ont été déplacées à l’intérieur du pays.
L’analyste de politique étrangère, Iulian Chifu souligne combien grave est la situation dans la région. « Y sont impliquées pour la première fois depuis la crise de Cuba de 1962, non seulement les principales puissances nucléaires, les Etats-Unis et la Fédération de Russie, mais aussi toutes les puissances régionales détentrices de capacités militaires susceptibles de produire un incident capable d’aboutir à une escalade du conflit. Y sont présents, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie et toutes les factions, de toutes les couleurs, depuis Al-Qaïda, le front Al-Nusra, Daesh, pratiquement un rassemblement, une tempête parfaite où il ne manque qu’une allumette pour faire sauter tout le Proche Orient. »
Démarrée en septembre 2015, l’intervention militaire de Moscou en Syrie a introduit une coalition alternative à celle déjà formée contre l’organisation terroriste Etat Islamique et qui rassemble les Etats sunnites du Golfe, la Turquie, les Etats-Unis et d’autres Etats occidentaux, rappelle Iulian Chifu. La nouvelle coalition, mise en œuvre à la demande de Bashar Al Assad et composée par la Russie, l’Iran, le gouvernement pro-chiite de Bagdad, le Hezbollah libanais et enfin les Syriens alaouites, également de facture chiite, n’a fait qu’introduire une nouvelle axe, chiite cette fois-ci, dans le conflit. Un autre résultat a été la montée en puissance de Daesh, qui a réussi à recruter en six mois 30 mille combattants supplémentaires et ramasser des fonds énormes pour soutenir les sunnites de la région, ajoute Iulian Chifu.
Il fait également une analyse des décisions prises par le président russe Vladimir Poutine pour intervenir en Syrie et respectivement pour retirer la majorité des militaires et de l’armement russes de la région à la mi-mars 2016 : «La lutte contre l’organisation Etat Islamique et la réduction de la vague de réfugiés vers l’Europe, les deux objectifs formellement annoncés par le président Poutine au début de cette campagne militaire, n’ont pas été atteints. Daesh y est toujours bien installé et possède la capacité de projeter la force au beau milieu de l’Europe, au cœur même du vieux continent, je dirais. Par ailleurs, nous voyons que les vagues de réfugiés se sont au contraire amplifiées pendant cette période. Quels sont donc les objectifs atteints par la Russie ? Eh bien, nous voyons qu’elle a créé une zone d’interdiction de l’accès aérien en Syrie, en fait sur tout le territoire, mais surtout à l’est de la Méditerranée, et une zone d’interdiction navale dans la région du port de Tartous et dans l’ouest de la Syrie. C’est un objectif majeur, stratégique, militaire, puisque c’est la formule qui lui facilité l’accès aux mers chaudes ; de ce point de vue aussi, le port de Novorossiysk et la Crimée, qui couvrent l’ensemble de la mer Noire, ont joué un rôle important de projection de la force. C’est un objectif stratégique de la Russie. Le deuxième objectif que Moscou semble avoir atteint c’est de faire sortir la Russie de son isolement. Cet isolement était une conséquence de son annexion de la Crimée et de son agression dans l’est de l’Ukraine. Ce qui plus est, la Fédération de Russie ambitionne également d’imposer ses points de vue au Proche Orient. »
L’intervention militaire russe en Syrie, ciblée sur le terrorisme selon le Kremlin, a modifié l’équilibre des forces dans la guerre civile syrienne, puisqu’elle a aidé l’armée à démarrer l’offensive et à regagner des territoires, obligeant les rebelles à demander la fin des hostilités et offrant à Bashar Al-Assad la possibilité d’imposer ses propres conditions aux négociations de paix, affirment les analystes. « La coalition internationale menée par les Etats-Unis a échoué en Syrie, parce qu’elle n’a pas coordonné ses actions avec celles du gouvernement de Damas. Nous plaidons en faveur de la création d’une coalition internationale contre le terrorisme, mais uniquement en coopération avec le gouvernement syrien », a déclaré le responsable syrien Bashar Ja’afari lors des négociations de paix de Genève.
Demander aujourd’hui aux Etats-Unis et à l’Occident en général de négocier avec Bashar al-Assad constitue un geste infâme, affirme l’analyste Iulian Chifu : « Ce serait abandonner pratiquement toute l’opposition syrienne et maintenir en fait le grand problème syrien qui ne date pas d’hier. La Syrie est quand même majoritairement sunnite. Elle était dirigée de main forte par une minorité alaouite, de hauts dignitaires, proches de Bashar al Assad. Cet équilibre allait de toute façon se rompre. Et le printemps arabe n’a été qu’une occasion pour que ce genre d’équilibre disparaisse et se réorganise sur des critères de nature démocratique. De toute façon, l’Etat syrien sera complètement différent. Soit la majorité sunnite arrivera tout naturellement au pouvoir, soit des arrangements selon le modèle de l’Irak et du Liban seront établis afin de partager les attributions entre les différents groupes religieux et ethniques. »
Le très fragile accord de cessez-le-feu a besoin de beaucoup plus pour produire une formule de paix. De toute façon, tout gouvernement de transition à Damas devrait refléter la réalité ethnique et religieuse de Syrie, conclut l’analyste de politique étrangère Iulian Chifu. (trad. Alex Diaconescu)