Des mathématiques à la poésie
« Jai toujours pensé que le choix de cette profession a été une des grandes chances que la vie ma données : être professeur et chercheur dans le domaine des mathématiques, avec tous ses prolongements, qui, à mon sens, aboutissent partout. »
Corina Cristea, 17.07.2015, 13:20
« Jai toujours pensé que le choix de cette profession a été une des grandes chances que la vie ma données : être professeur et chercheur dans le domaine des mathématiques, avec tous ses prolongements, qui, à mon sens, aboutissent partout. »
Cest la confession que lacadémicien Solomon Marcus faisait lors de son 90e anniversaire, dans une interview à Radio Roumanie Internationale. Il y parlait des mathématiques, de la poésie, de la révélation – éléments dune vie consacrée à la découverte. Une vie placée sous le signe dune question quil sétait posée dans son enfance, « où est-ce que cela peut mener si lon regarde plus loin et encore plus loin ? »: « Le monde est ce que nous sommes capables den saisir. Et si notre imagination est riche, le monde où nous nous trouvons le sera aussi. »
Auteur de nombreuses études interdisciplinaires concernant lapplication des mathématiques aux domaines de la linguistique, de lanalyse théâtrale, de la poésie, des sciences naturelles et sociales, des arts visuels, lacadémicien Solomon Marcus a été récompensé de prix y compris de critique littéraire. Ses livres ont été traduits dans de nombreuses langues. Il a publié plus de 50 ouvrages et des centaines darticles dans des revues scientifiques et spécialisées, roumaines et étrangères.
Solomon Marcus a découvert la poésie à 15 ans, en lisant le poème « Le soir sur la colline » du poète national roumain Mihai Eminescu. « Jai ressenti un état démerveillement que jai retrouvé plus tard chez Rilke, Edgar Allan Poe, Baudelaire. La découverte des mathématiques sest produite beaucoup plus tard, car, à lécole, létude de cette discipline nétait pas orientée vers lidée, vers une vision, elle était limitée aux procédés mécaniques. Elle vous donnait le sens de lordre, mais elle nallait pas en profondeur » – affirme lacadémicien. « Cest comme si lon avait une pomme, dont on mangeait aujourdhui une moitié, demain la moitié de la moitié qui reste et après-demain la moitié de ce qui restait hier. Et alors, quand finira-t-on de manger cette pomme ? On le sait par la pratique : une pomme est vite mangée. Pourtant, daprès ces calculs, on ne la finira jamais. Toutes ces questions massaillaient et je ne me rendais pas compte où elles mamenaient, car je nai eu aucune attraction pour les mathématiques scolaires. »
Cest ainsi que Solomon Marcus explique son rapprochement des mathématiques et son ouverture vers dautres disciplines: « Les premiers modèles de langages étudiés par linformatique provenaient de la biologie – le système nerveux et ensuite lhérédité. Il sagissait, en fait, dune entreprise intellectuelle où de nombreuses disciplines étaient engagées : linguistique, mathématiques, logique, biologie, psychologie – et à laquelle dautres se sont ajoutées par la suite. Cest en suivant cette voie que jai abouti à la sémiotique. Je me suis rendu compte que la connaissance ne saurait être limitée à une certaine discipline. On doit avoir devant soi un horizon complètement ouvert. »
La littérature est accessible en dehors dune formation attestée par un diplôme. Avec les mathématiques, cest plus difficile. Pour y accéder, on doit se soumettre à un processus méthodique dapprentissage – précise Solomon Marcus. Et ce processus, la logique, la biologie, la psychologie, mais aussi la poésie, viennent le compléter. Solomon Marcus: « La grandeur du spectacle de la connaissance humaine vient tout dabord de la manière dont lunité du monde se manifeste sous les formes les plus différentes. Car le monde a une unité, une simplicité profonde. Tant que lon sarrête à une représentation fragmentaire du monde, à une représentation qui le divise en tranches et jette sur chacun de ces « mondes » un regard séparé, on est frustrés par labsence dun regard intégratif. On a besoin de voir à quoi ressemble le monde lorsque nous avons simultanément devant les yeux les paysages que nous offrent les directions les plus variées. Nous rendre compte, par exemple, que lisométrie propre à la chimie est un phénomène de même nature que lhérédité humaine ou lutilisation des sons pour constituer le langage. Tous ces cas illustrent ce que lon a appelé « la primauté de la structure au détriment de la substance ». Et cette ressemblance profonde entre des formes dexpression apparemment très différentes a mené à lapparition du structuralisme. Et cest là que prend sa source le plaisir de connaître et cette satisfaction de comprendre le monde. »
Le réseau Internet est un instrument très utile pour accéder à cette compréhension – estime Solomon Marcus: « Le réseau Internet est encore jeune et cest pourquoi nous vivons une période de transition. Aussi avons-nous des lettrés qui nont pas encore fait lapprentissage dInternet tout comme des jeunes enthousiastes passionnés dInternet, auxquels lidée daller à une bibliothèque traditionnelle pour consulter une source antérieure à Internet provoque de laversion. »
Même si, avec le temps, Internet accumulera la totalité des livres imprimés, pour linstant, nous devons favoriser une éducation fondée sur les deux sources de culture. De ce point de vue, nous nous trouvons à un carrefour de lhistoire et le moment est crucial. (trad.: Dominique) oment est crucial. (trad.: Dominique)