Les photos de Jeno Major
Roxana Vasile, 05.07.2023, 12:06
Madame,
Monsieur, RRI vous lance une invitation à la découverte du village roumain
archaïque, grâce au comédien Jeno Major, de la troupe du Théâtre pour la
jeunesse de Sibiu. Passionné par la photographie, celui-ci explore la campagne
roumaine pour surprendre en photo, les villageois et les paysages.
L’idée m’est venue d’un coup, il y a 8
ans déjà. Moi, je fus un pêcheur passioné, une activité que j’ai abandonnée
pour la remplacer par la photographie. Récemment, à la suggestion de mon ami,
le photographe Sorin Onișor, j’ai commencé à prendre en photo des personnes
aussi, puisque par leur présence, elles arrivent à animer les cadres. Moi, je
n’osais pas immortaliser des gens, juste des paysages. Je trouvais que les
rapports interhumains étaient difficiles. Mais je me suis laissé inspirer par
le talent de Onisor de travailler avec les gens. Il a un don extraordinaire de
se connecter à ces sujets, de les sentir dans leurs moindres sentiments. Par
conséquent, j’ai décidé d’inclure moi aussi, des personnages dans les
photographies qui, en l’absence de toute présence humaine, étaient un peu
ternes. Voilà l’idée qui m’a poussé à partir à la découverte des villages
roumains pour y faire des photos d’inspiration ethnographique. Et puisque moi,
je suis né en ville et que je n’ai pas de famille à la campagne, j’avoue que je
ne suis jamais entré en contact avec le milieu rural, avec les animaux et le
quotidien des habitants des villages. Or, la photographie m’a permis de le
faire. Surtout que je n’aime pas du tout l’agitation, l’agglomération. Je
préfère chercher refuge en haut des collines et au sein de la nature. J’adore faire
des ballades, c’est une activité que j’aime depuis toujours et à chaque fois
que le temps me le permet, je pars en randonnée.
Le
soleil qui se couche ou se lève derrière les crêtes des Carpates, le brouillard
qui couvre la campagne, les arbres solitaires, les familles qui travaillent les
champs, les vieux qui discutent dans la petite ruelle qui mène à l’église voilà
autant d’histoires que Jeno Major nous raconte à travers ses photographies. Des
photos qui nous montrent le visage secret de la Roumanie profonde. Jeno Major:
A la différence d’autres pays d’Europe et du
monde, la Roumanie préserve de nos jours encore, le monde archaïque du village,
les traditions, les costumes populaires, les messes à l’église, les voyages en
charriot, les vendanges faites à l’ancienne. Vous savez, il m’est déjà arrivé
que les gens observent les meules de foin prises en photo et qu’ils ne savent
pas ce que c’est. Ils s’étonnent qu’il existe toujours des Roumains qui vivent
à l’ancienne, dans des hameaux isolés, en haut des Apuseni. Dans ces endroits,
les photos que j’ai prises ne sont pas datées, on ne saurait dire si le cadre
est de nos jours ou s’il date depuis des centaines d’années. Sur l’ensemble des
cadres que j’ai photographiés en Roumanie, mon préféré reste celui connu sous
le nom de Fundatura Ponorului, dans le Massif Șureanu. A chaque fois que je m’y
rends, le paysage change. Le brouillard, les nuages, les meules de foin, les
troupeaux, les rochers, bref, chaque détail mérite une photo. Je pense que
c’est un des endroits les plus beaux de Roumanie. Les charriots remplis de foin
tirés par des buffles, les paysans joliment habillés en costumes traditionnels,
la gentillesse de tous ces gens qui vivent complètement isolés, dans des petits
patelins qui manquent d’infrastructure routière. Dans ces endroits, les gens
sont beaucoup plus humbles, plus proches des traditions et du bon Dieu, plus
généreux. D’ailleurs, c’est ce qui pousse les étrangers à venir en Roumanie.
Découvrir des villages qui n’existent plus chez eux et que seuls leurs
arrière-grands-parents ont pu connaître, il y a 200 ou 300 ans. Or chez nous,
ce type de vie est toujours d’actualité.
Fundatura
Ponorului revient souvent dans les histoires racontées par Jeno Major. Le
photographe s’enthousiasme facilement quand il parle de cette Roumanie
archaïque et traditionnelle, peuplée de personnages pittoresques qui nous
charment par leur gentillesse. Jeno Major:
Je me souviens d’une petite mamie de 92 ans,
du pays du Maramures. Je pense qu’à présent elle est déjà morte, puisque cette
histoire ça date d’il y a six ou sept ans, de l’époque quand j’ai commencé à
faire de la photographie. Donc, j’ai rendu visite à cette petite vieille qui
habitait dans une maisonnette en torchis. Elle n’avait qu’une seule pièce
éclairée par une ampoule accrochée au plafond, un lit et une table. Et sur la
table, il y avait un croûton… On avait l’impression d’un décor de film,
tellement c’était inhabituel. La lumière entrait par la fenêtre et la petite
mamie m’a invité à écouter l’histoire de sa vie. Elle m’a parlé d’elle-même, de
ses enfants, de ses petits-enfants partis travailler à l’étranger. Elle m’a dit
que dans son village, au bout de cinq ou dix minutes de causette, les gens
deviennent tes amis et sont prêts à se confesser. Au moment où j’ai voulu
partir, elle m’a offert six oeufs. Je pense que c’étaient les seuls aliments
qu’elle avait à la maison et pourtant, elle me les a offerts. A ce moment-là,
j’étais accompagné par d’autres amis photographes et on n’a pas voulu accepter,
mais elle a insisté jusqu’à ce que nous avions emporté les oeufs
Pour les
connaisseurs, les photos de Jeno Major ne sont pas que des simples portraits ou
paysages, mais des témoignages qui parlent d’un monde en voie de disparition.
D’ailleurs, le photographe le confirme:
Malheureusement, vue la façon dont
notre monde change, je pense que dans une génération ou deux, tout cet univers
archaïque disparaîtra. Notamment, parce que les jeunes générations quittent la
campagne et donc, des villages comme ceux du Maramures, de la Bucovine ou de la
Transylvanie sont en cours de dépeuplement. A la campagne, chaque famille a au
moins un membre vivant à l’étranger. Malheureusement, une fois de retour, tous
ces ressortissants préfèrent terrasser les maisonnettes traditionnelles et
faire construire à la place, des maisons moches. Je désole de voir le destin
malhereux de toutes ces maisons traditionnelles. Il faudrait que la Roumanie
fasse quelque chose pour les préserver, mais je ne sais pas quoi.
Par
conséquent, dépéchez-vous, chers amis, de réserver vos prochaines vacances dans
les villages roumains. En attendant, admirer les photos de Jeno Major qui
immortalisent la beauté d’un monde en voie de disparition.