La Roumanie abandonnée
Luiza Moldovan, 14.12.2022, 12:31
Le terme diaspora
s’est formé à partir de deux termes du grec ancien : dia, qui veut dire autour de,
et speiro, qui veut dire semer sur, disperser quelque chose. Le
terme est utilisé pour designer les communautés qui vivent en dehors des
frontières de leur pays d’origine.
En ce qui concerne les Roumains, 2021 était l’an de l’exode
le plus fort des 30 dernières années. Officiellement, 5,8 millions de Roumains ont
quitté le pays. Quand même, d’autres estimations indiquent un nombre de 9
millions d’émigrants. On ne peut pas établir précisément combien de Roumains
vivent actuellement à l’étranger, parce que beaucoup d’entre eux ne possèdent
aucun document en ce sens ou ne déclarent pas leur nouvelle résidence.
Dans la hiérarchie des pays choisis par les Roumains comme
seconde patrie, c’est l’Italie qui occupe la première position. Elle est suivie
par l’Espagne et par l’Allemagne. Beaucoup de Roumains vivent aussi aux Etats-Unis,
en Grande Bretagne, au Portugal, en France, aux Pays-Bas, au Canada, en
Australie et en Nouvelle Zélande. La plupart d’entre eux ont entre 25 et 45
ans.
Mais quelle est la cause de cet exode ? Qu’est-ce qui se passe avec ceux qui
partent ? Quelles sont les conséquences de ce phénomène pour la
Roumanie ? Autant de questions que nous nous posons aujourd’hui.
On a discuté des communautés roumaines de la diaspora
avec Claudiu Târziu, ex-journaliste, à présent sénateur de l’Alliance pour
l’Union des Roumains, en opposition. Il est aussi président de la Commission
pour les Roumains du Monde : « Evidemment,
tous ceux qui partent de Roumanie pour travailler à l’étranger prennent cette
décision en raison des salaires plus motivants et des meilleures conditions de
vie. Les Roumains sont mécontents des possibilités qu’ils ont en Roumanie pour
leur développement professionnel, personnel et familial. Clairement, la
Roumanie n’est pas capable, d’un côté, d’assurer des emplois rémunérés au
niveau des spécialisations dont elle a besoin, et d’autre côté, de garantir le
travail pour les personnes non-qualifiées. Il y a des domaines où les choses semblent
s’arranger (tels les constructions et l’agriculture, malgré leur récent
ralentissement). En ce qui concerne l’agriculture, nous avons encore beaucoup
de problèmes, parce que nous dépendons des conditions climatiques, des
intempéries, de ce que Dieu nous offre. Nous n’avons pas de systèmes d’irrigation
et nous ne disposons pas d’instruments pour pouvoir travailler la terre en respectant
les plus hauts critères professionnels. Quant aux constructions, nous souffrons
parce que les prix de tous les matériaux ont énormément augmenté (c’est une
situation déterminée aussi par la guerre en Ukraine). S’y ajoute la flambée des
prix de l’énergie à cause de la libéralisation du marché. Toutes ces conditions
nous ont forcés de reculer même dans ces domaines, qui semblaient être plus
stables et, où les compagnies pouvaient faire du profit et les employés avaient
de bons salaires. Je pense que les Roumains quittent le pays premièrement parce
qu’ils ne peuvent pas être rémunérés au niveau de leurs attentes, qui sont tout
à fait légitimes, à mon avis. Mais une autre raison est le niveau des
conditions de vie en général en Roumanie. Je pense notamment à la sécurité
personnelle dans les rues, à la bureaucratie, au système d’éducation ou encore au
système sanitaire. »
Autant de choses qui déterminent les Roumains à opter
pour un autre pays. Mais une fois à l’étranger, qu’est-ce qui leur manque les
plus ? Et quelles sont les démarches que l’Etat roumain fait pour les convaincre
de revenir au pays ? C’est le même Claudiu Târziu, président de la Commission
pour les Roumains du Monde, qui tente de répondre : « Premièrement, ils ressentent l’absence de leurs familles qui
sont restées en Roumanie. Deuxièmement, ils ont besoin de la protection de
l’Etat roumain, c’est leur droit en tant que citoyens roumains.
Malheureusement, l’Etat roumain n’a aucune stratégie, ni pour les Roumains qui
vivent dans les communautés historiques, ni pour ceux faisant partie du
soi-disant « exile économique », ni pour ceux qui souhaitent rentrer au pays, ni pour les Roumains
qui aimeraient continuer leur vies à l’étranger tout en gardant l’identité
nationale et qui doivent défendre leurs droits et libertés. L’Etat roumain
semble avoir abandonné tous ces Roumains. Il y en a environ 6 millions
officiellement enregistrés comme ayant quitté la Roumanie : dont 1 million
ont le domicile ou la résidence à l’étranger, mais les 5 millions qui restent vivent
à l’étranger sans documents officiels. En fait, selon le Secrétaire d’Etat du
Département des Roumains du
Monde, ils sont beaucoup plus
nombreux, environ 8 millions parait-il. Eh bien, l’Etat roumain ne s’intéresse
plus à ces Roumains vivant en dehors de ses frontières, il ne leur offre que
des palliatifs : quelques programmes culturels sans valeur réelle,
quelques visites officielles faites par quelques dignitaires et c’est tout. Il
y a un intérêt pour ces Roumains seulement à l’occasion des campagnes
électorales, lorsque les partis politiques ont besoin de leur support
électoral. C’est inadmissible et ça doit absolument changer et tout de suite. ».
L’exode des Roumains implique aussi l’exode de plusieurs
catégories professionnelles hautement qualifiées. Du coup, l’Etat se voit
obligé d’importer de la main d’œuvre d’autres Etats. Claudiu Târziu nous
explique : « Afin d’aider les Roumains
qui souhaitent revenir au pays Il ne suffit pas de prendre seulement quelques
mesures isolées, il faut avoir des paquets entiers de mesures. Nous avons
besoin d’une stratégie nationale réelle, qui touche vraiment tous les aspects
de la vie sociale. Nous pouvons faire revenir nos compatriotes de l’étranger (s’ils
le souhaitent bien) seulement en leur offrant en Roumanie un climat propice pour
une vie digne. C’est-à-dire un climat adéquat pour avoir un bon développement
personnel, pour fonder des nouvelles familles, pour éduquer leurs enfants dans des conditions optimales.
En conclusion, nous devons changer beaucoup de choses en Roumanie. De plus,
nous devons développer des programmes dédiés aux Roumains de l’étranger, pour
qu’ils reviennent en Roumanie. Ce n’est pas seulement eux qui ont besoin de
nous, nous aussi nous avons besoin d’eux ».
Une chose est sûre, la vie à l’étranger reste toujours un
mirage pour de nombreux Roumains. A chaque fois que la vie s’avère difficile,
leur première pensée est de chercher une meilleure vie ailleurs. Espérons bien
que les nouvelles générations seront plus désireuses de se faire une meilleure
vie dans leur propre pays, sans oublier de voyager et de s’ouvrir vers le
monde. (trad. Andra Juganaru)