Les anges gardiens
Roxana Vasile, 06.10.2021, 09:43
Pour certains ils sont un véritable trésor, pour d’autres un vrai fardeau !
Nombreuses sont les personnes âgées abandonnées par leur famille et par la
société. A leur tristesse et leur solitude vient s’ajouter la dégradation
physique qui marque, bien souvent, l’arrivée dans le troisième âge. Certains
ont besoin d’une aide médicale à domicile, mais leurs revenus modestes ne leur
permettent pas de bénéficier de services spécialisés.
C’est justement ce que propose la Fondation de la Croix Jaune et Blanche de
Roumanie (Fundaţia Crucea Alb-Galbenă) : rendre aux personnes âgées devenues
invisibles, leur dignité. Médecins, assistantes sociales, aides-soignants,
kinésithérapeuthes, psychologues et infirmiers de la Fondation viennent ainsi
pousser chaque jour leur porte, qui sans cela resterait fermée.
Măriuca Ivan, Présidente de la Croix Jaune et Blanche revient sur la
création de sa fondation sur le modèle belge : « Nos partenaires belges sont venus, il y a maintenant 25 ans. Nous étions à
l’époque au ministère de la Santé et ils nous ont vanté les mérites du système
de soins à domicile, que nous essayons de reproduire chez nous. Pendant les
premières années qui ont suivi la Révolution, on a surtout évoqué les soins
hospitaliers, puis les soins ambulatoires, ensuite la question des médecins traitants…
Mais on n’a jamais parlé de cet aspect de la Santé – les soins à domicile. J’ai
reçu nos partenaires belges et j’ai essayé de rester le plus possible à leurs
côtés pendant qu’ils instauraient ce système en Roumanie. J’ai quitté le ministère
de la Santé, pour prouver que c’était possible, puisque là-bas je n’avais pas
réussi. Crucea (La Croix en roumain) est un prestataire de service de soins à
domicile accrédité et autorisé par l’Etat roumain, alors, nous aussi, nous
avons réussi à introduire dans la législation nationale le concept de soins à
domicile, financé par la Caisse d’assurance maladie. »
La Fondation de la Croix Jaune et Blanche
propose une multitude de services : administration de médicaments, injections,
application de pansements, mesures des paramètres physiologiques, prélèvements…
bref, tout ce qui ne relève pas de l’hospitalisation et peut être fait dans le
cadre de soins à domicile.
Măriuca Ivan : « Voilà comment est
née notre fondation – pour répondre aux besoins et aux attentes de ceux qui
n’ont pas les moyens sociaux ou financiers de prendre soin d’eux-mêmes. La
plupart étaient des personnes âgées sans famille, sans enfant. La situation s’est
surtout fortement aggravée au cours des dernières années à cause de
l’émigration : certains parents sont restés seuls, sans personne pour s’occuper
d’eux. C’est pour cette raison que nous avons cherché des projets sociaux, nous
nous sommes tournés vers les administrations locales et centrales pour trouver
de l’argent, puis nous avons cherché des financements européens, qui
aujourd’hui ne sont plus disponibles. Les mairies se sont progressivement détournées
du projet et ont fini par nous retirer leurs aides, laissant les personnes
âgées sans aucune ressource. C’est alors que nous avons décidé de continuer à
développer des services payants pour ceux qui pouvaient se le permettre et qui,
bien évidemment n’étaient pas abandonnés par tous, et nous avons joué les Robin
des Bois… Nous avons aidé ce qui n’avaient pas les moyens de nous rémunérer
avec l’argent de ceux qui le pouvaient. »
En d’autres termes, malgré les difficultés, la Croix Jaune et Blanche n’a
laissé personne sur le bord du chemin, poursuivant la mission pour laquelle
elle a été créée. En 25 ans d’existence, elle a pu offrir des soins à domicile
à près de 24 000 personnes. Un travail qui s’est poursuivi même en période de
pandémie, avec quelques efforts supplémentaires, comme nous l’a expliqué la présidente
de la Fondation, Măriuca Ivan – 40 représentants de la Croix apportent une assistance
médicale régulière (presque chaque mois) à près de 700-800 patients.
Măriuca Ivan : « Alors,
il est vrai que nous travaillons avec certains depuis, cinq, six ou dix ans.
Ils sont en vie grâce aux soins que nous leur prodiguons, et parce que nous
avons osé pousser leur porte. D’ailleurs,
nous sommes souvent presque les seuls à le faire et à découvrir de l’autre côté
des histoires de vie bouleversantes de tristesse. L’autre jour par exemple,
j’ai regardé une interview de certains de nos aides-soignants qui racontaient
l’histoire d’une petite vieille dont nous nous occupions qui venait tout juste
de nous quitter. Nous savions qu’elle était très seule, et le jour de son
décès, trois petits-enfants sont apparus comme par magie ! C’est incroyablement
triste que ce genre d’histoire se répète. En réalité, ils n’ont personne, et tout
à coup, après qu’ils ont rendu leur dernier soupir, toute leur famille se
rappelle qu’elle a le devoir de les accompagner jusqu’au bout du chemin. »
Travaillant au service des personnes âgées vulnérables, la Croix Jaune et
Blanche a mis en place le projet « Bouton rouge »,
qui vient couronner l’ensemble du travail effectué par la fondation jusqu’à
aujourd’hui. Il s’agit d’une ligne d’assistance téléphonique qui vient
compléter celle des urgences, et qui permet aux personnes âgées d’obtenir de
l’aide rapidement. Grâce à un bracelet en forme de montre équipé d’un bouton
rouge et connecté sans fil à un téléphone à grosses touches, les patients n’ont
qu’à appuyer sur le bouton pour signaler une situation d’urgence. Un signal est
alors automatiquement transmis à un standard ouvert 24h/24h, 7j/7j, 365 jours
par an, et en fonction de la gravité de la situation, le standard va indiquer
les démarches à suivre, y compris dans certains cas, le recours à une
ambulance.
Pour l’équipe de la Croix Jaune et Blance, dirigée par Măriuca Ivan,
s’investir à cent pour cent est essentiel : « Travailler sans passion, sans détermination, sans y
mettre du cœur, sans s’investir pleinement, ne permet pas d’offrir un service
de qualité. Or, je suis affligée de constater que ces derniers temps, nous nous
sommes renfermés, et il n’existe plus aucune bienveillance, aucune empathie
pour ceux qui sont en souffrance. En tant qu’ancienne formatrice dans le domaine
médical, je trouve ça terriblement triste. On ne peut plus parler de sacrifice,
de dévouement, ces termes sont presque obsolètes. C’est accablant ! En ce sens notre
équipe est vraiment exceptionnelle. Nous n’avons pas du tout d’argent, mais
cela ne nous empêche pas d’être riches ! Dès que l’on a le sentiment de toucher
le fond, un ange gardien apparaît et nous sauve, nous aide, il nous sort de là
et nous fait passer un message, nous fixe un objectif et nous donne une
mission. Nous n’allons pas au travail, comme il est de coutume de le dire, nous
avons une mission à accomplir et nous le faisons chaque jour… Le bonheur, la
joie et la reconnaissance que nous transmettent ces personnes nous permettent
de continuer à avancer ! D’ailleurs, quelqu’un disait l’autre jour que nous étions
les anges gardiens de ceux qui ont vraiment, vraiment besoin de nous, et qui
n’ont plus personne vers qui se tourner. »
La rubrique d’aujourd’hui touche à sa fin et c’est le moment opportun de se
remémorer ce proverbe roumain qui dit « celui
qui n’a pas de personne âgée à ses côtés, qu’il s’en achète » ou comme le disait le Pape François, il
faut traiter les personnes âgées avec amour, reconnaissance et respect, car
elles sont essentielles à notre société, elles sont à la fois les racines et la
mémoire d’un peuple, un trésor indispensable pour assurer un avenir responsable
et plein d’espoir. (Trad. : Charlotte Fromenteaud)