Une ville plus propre et plus conviviale
Christine Leșcu, 10.06.2020, 14:44
De quelle manière pourrait-on cohabiter avec le nouveau coronavirus dans les mois à venir sans le propager autour de nous et quelle sera notre relation avec l’environnement ? Ce sont là des questions devenues très pressantes, surtout dans le cas des grandes agglomérations urbaines, telle la capitale roumaine, Bucarest. Il suffit de penser à l’avant-pandémie quand les moyens de transport urbain étaient archibondés et donc le risque d’infection était très grand. A cela s’ajoute le niveau très élevé de pollution qui s’est amplifié dernièrement, en déterminant la Cour européenne de justice à condamner la Roumanie pour non-respect des normes visant la qualité de l’air sur Bucarest. Une fois la pandémie déclarée, un autre aspect s’est fait jour dans les grandes villes roumaines : la mauvaise qualité de l’air, parallèlement aux conditions souvent précaires de logement qui rendent les habitants des grandes villes encore plus vulnérables devant les microbes.
Du coup, afin de mieux nous protéger face aux maladies, il faudrait commencer par améliorer notre environnement actuel. La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses organisations non gouvernementales se sont mobilisées pour améliorer la vie citadine et la rendre plus agréable, et surtout moins dangereuse pour la santé. Sur l’ensemble de toutes ces idées, certaines appartiennent à l’initiative civique Baza, regroupant des architectes urbanistes. Intitulé « La ville, un espace commun. Une série de règles post-COVID », le manifeste de BAZA se veut avant tout un prétexte pour un futur dialogue entre l’administration locale et les citoyens, précise Maria Duda.
« La rue en tant qu’espace public devrait pouvoir se transformer, s’adapter et accomplir plus de rôles que ceux qu’elle avait jusqu’à présent. Dans notre manifeste, on a plaidé pour l’ouverture des jardins des institutions publiques et leur transformation en espaces verts communs, pour la suppression des clôtures et l’utilisation des terrains de sports des écoles par toute la communauté du quartier. On a également plaidé pour que certaines rues deviennent piétonnes. Et puis, une deuxième série de recommandations porte sur un allégement du transport en commun à travers la mise en place des services de type UBER et de covoiturage. On encourage également la marche à pied et l’utilisation du vélo en cas de distances plus longues et on plaide pour que les rues soient accessibles aux personnes ayant des problèmes de motricité. Enfin, une troisième série de recommandations porte sur la sécurité dans les espaces de plein air, et là, on parle des micro-capteurs de qualité de l’air et de la possibilité d’améliorer cette qualité à travers la mise en place de fontaines ou de toilettes publiques alimentées par le réseau d’eau et d’électricité. »
Pouvoir se déplacer en toute sécurité à travers une grande agglomération urbaine comme Bucarest reste un sujet particulièrement sensible. Pour y parvenir, il faut encourager le dialogue entre les parties concernées, opine Alexandru Belenyi, architecte, membre de la communauté BAZA.
« On est tous d’accord qu’à Bucarest, le réseau des transports de surface est plutôt problématique, notamment à cause de la fréquence réduite des bus sur certaines lignes. Du coup, les bus, les tramways, les trolleybus et même les rames du métro sont bondés. Comment pourrait-on respecter les mesures de distanciation sociale dans des conditions pareilles ? Comme tout le monde, nous aussi on se dit qu’à force de recourir tout le temps à la voiture comme à la solution parfaite, on finira par donner le coup de grâce à l’espace public et piéton. Ce n’est pas une solution soutenable à long terme. Il convient de préciser qu’il y a quand même une différence entre la voiture personnelle et un service de taxi ou de covoiturage. »
Afin de mieux lutter contre la pollution atmosphérique produite par le trafic routier, tout en rendant la ville à ses habitants, la municipalité de Bucarest a adopté, en première, un projet avancé par une ONG. Il s’agit d’une initiative suite à laquelle plusieurs rues et boulevards du centre-ville seront fermés en week-end à la circulation des voitures et resteront seulement à la disposition des piétons et des cyclistes. Maria Duda explique :
« Par son initiative, ARCEN a ouvert la voie à de telles initiatives, en surprenant l’opinion publique. Cette ONG a donc proposé la piétonisation des ruelles autour du Parc Ioanid, une idée qui a servi de source d’inspiration à la Municipalité. Du coup, celle-ci, en l’absence de toute consultation publique et de toute documentation, a décidé d’élargir le projet à sept autres zones de Bucarest. Même si c’est une décision susceptible de produire des changements majeurs dans la vie des riverains, elle est pourtant nécessaire. On devra par la suite trouver les moyens d’adapter et d’optimiser cette mesure afin qu’elle se retrouve au cœur des discussions de la société civile avec les communautés locales et l’administration publique. »
Quelles que soient les mesures adoptées, elles devraient s’adapter constamment aux échanges de répliques qui se produiront normalement entre société civile et administration locale, affirme Alexandru Belenyi. Paradoxalement, le contexte pandémique a encouragé un tel dialogue. A part le manifeste des membres de la communauté BAZA, mentionnons aussi les propositions avancées par la communauté des parents Grow Up Romania, une organisation civique qui, par ses actions, essaie de mettre en lumière le côté positif de l’actuel contexte pandémique. Dana Ostacie détaille :
« Nous, on a saisi en cette période des opportunités pour corriger certains aspects, même si on l’a fait poussés par le contexte. Notre initiative a débuté par un article réunissant un maximum de propositions avancées par la communauté des parents Grow Up Romania, dont certaines inspirées par des modèles d’ailleurs. C’est à partir de ce projet de transformation de la ville post pandémie que nous avons essayé de lancer notre débat. L’article s’adresse aussi bien aux citoyens, afin de les rendre plus responsables et les obliger à prendre soin de l’espace public, qu’aux autorités qui pourraient en faire leur guide de bonnes pratiques. »
Parmi les propositions avancées par Grow Up Romania, mentionnons : permettre aux enfants l’accès illimité sur les pelouses, le gazon ou l’herbe dans les parcs, les jardins ou les espaces verts des quartiers. Mettre en place des fontaines publiques dotées de savon et veiller à ce que les toilettes publiques soient prévues de savon. Interdire la consommation d’aliments dans les jardins publics afin de limiter les petits gestes entre le visage et les mains et nettoyer régulièrement les allées et le mobilier urbain avec des produits respectueux envers la nature. Reste à voir si les autorités seront prêtes à mettre en place de telles mesures et si les citoyens les respecteront. Dana Ostacie demeure optimiste :
« On espère que la pression civique portera ses fruits à l’avenir. Ils sont nombreux ceux qui ont réalisé que sur l’ensemble de nos propositions, une bonne partie auraient dû être mises en place avant la pandémie, puisqu’elle renvoyait à une normalité constatée dans les capitales européennes. Nos idées ont été bien accueillies, car les gens ressentent le besoin de faire des changements. On a du mal à renouer avec nos vies d’avant et à faire comme si de rien n’était. On a besoin que citoyens et administration fassent un effort collectif », a conclu notre interlocutrice.