Réactions des gens et de la société par temps de crise sanitaire
La plus bouleversante est celle concernant la liberté de se déplacer, qui impose la diminution sévère des déplacements des individus et la distanciation sociale. Secoués, dans un premier temps, par la peur d’être contaminés, et ensuite par le confinement, les Roumains, comme d’ailleurs tous les Européens, se confrontent à une situation historiquement unique. Les experts, qui ont déjà observé les réactions psychologiques individuelles ou des groupes d’individus, considèrent qu’il est parfaitement normal d’éprouver un certain degré d’inquiétude. Le sociologue Ciprian Grădinaru a constaté qu’au début de la crise sanitaire actuelle, de nombreux Roumains avaient paniqué. « Ils se sont précipités dans les magasins, ils ont acheté tout et n’importe quoi, faisant pratiquement disparaître certains produits. Les Roumains se sont fait des stocks, mais ils n’étaient pas les seuls à agir ainsi. Partout dans le monde, on fait des blagues sur la disparition du papier hygiénique des gondoles des grandes surfaces. Même chose avec les produits désinfectants. L’alcool médical est quasi introuvable. Les prix de certains produits ont augmenté à cause de la spéculation apparue en temps de panique sociale mais aussi à cause de la demande croissante. Pendant cette période, la société entière s’est concentrée sur la crise provoquée par ce virus. Dans une première phase, avant l’application des mesures de quarantaine, on a vécu, à mon avis, une période de stupeur générale. Une foule invraisemblable de clients s’entassait partout, y compris dans les hypermarchés, pour se faire des provisions. L’environnement idéal pour transmettre le virus. Peu à peu, nous avons mieux compris de quoi il s’agissait et nous nous sommes adaptés : à présent, la file d’attente se forme à l’entrée des magasins. Pourtant, cette stupeur est quelque chose de normal, face à une situation jamais rencontrée auparavant. »
Christine Leșcu, 15.04.2020, 15:10
La panique peut mener dans deux directions : l’une mauvaise, mais l’autre bonne, car elle nous rend plus attentifs aux informations livrées par les médecins et les autorités. Les décisions qui limitent le déplacement des gens, par exemple, n’ont pas suscité trop de protestations, remarque Ciprian Grădinaru. « Il y a eu des institutions qui ont critiqué ces décisions, mais on n’a pas assisté à une forte réaction sociale contraire, justement parce que chaque individu est conscient de la possibilité d’être directement touché par ce virus. Je m’attends à une baisse du niveau de stress, au fur et mesure que les gens s’habituent à cette idée. »
Les sociologues s’attendent aussi à l’apparition d’autres changements opérés dans le mental collectif par l’actuelle crise sanitaire, ajoute Ciprian Grădinaru. « Il n’y a pas de doute, quelque chose va changer. Premièrement, et à long terme, on assistera à des changements économiques et de notre droit de circuler. Nos habitudes de consommation changeront aussi, bien probablement. Et puis, les deux mois de confinement vont changer notre perception de l’importance de la vie sociale et familiale. »
Des changements se produiront aussi au plan individuel, accompagnant les mécanismes de gestion de l’anxiété, précise la psychologue Diana Stănculeanu. « Il est tout à fait normal de ressentir une certaine inquiétude. C’est la réponse de notre cerveau, qui s’adapte et qui nous dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que nous avons besoin de nous y préparer. Or les préparatifs s’appuient justement sur ces émotions d’inquiétude et de peur. C’est un premier pas vers l’acceptation du fait qu’il nous est impossible d’être entièrement détendus à l’heure actuelle. Ensuite, il est important de découvrir les activités susceptibles d’être développées à la maison, afin d’éviter une surcharge d’anxiété, de sentiment d’accablement, de panique ou de désespoir. Pour cela, moi, je recommande la mise au point d’une routine qui nous aide à avoir un certain contrôle et une certaine prédictibilité. Il ne faut pas qu’elle soit compliquée et ce serait mieux si elle contenait toutes nos habitudes de mise en forme physique et corporelle. Nous avons, par exemple, besoin de sortir du pyjama et de mettre nos vêtements de ville tous les jours. Il faut y ajouter aussi une routine de bien-être mental et émotionnel, une série d’activités qui nous aident à continuer notre vie professionnelle. Nous devons ramener des tâches professionnelles dans notre bureau de la maison, tout en étant conscients du fait qu’il est impossible d’atteindre les objectifs d’efficacité habituels. Enfin, ajoutons à tout cela des moments de détente à travers la lecture, les films, car il est important d’avoir des activités qui disciplinent notre corps, qui honorent notre esprit et qui disciplinent notre âme, pour pouvoir camper dans une zone d’inquiétudes gérables. »
Des changements de mentalité dans la durée sont aussi repérables chez les individus, considère la psychologue Diana Stănculeanu. « Pris dans le tourbillon des activités d’avant le confinement, nous avions en permanence comme objectif de rencontrer des amis chers, d’appeler nos parents plus souvent, de prendre davantage de pause-café pour échanger avec les camarades de travail. Autant de choses importantes dont nous étions conscients, mais que nous remettions à plus tard, faute de temps ou d’esprit de suite. A présent, dans les contraintes du confinement, tous ces souhaits gagnent en importance. Nous arrivons à regretter la routine de socialisation d’avant la crise et il est important de garder à l’esprit, pour l’après-crise, la valeur théorique et pratique de la socialisation, qu’il va falloir honorer à travers une interaction directe et constante avec les êtres qui nous sont chers. En attendant le retour à la normale, il vaut mieux avoir des rituels numérisés, d’ailleurs les seuls à notre portée en ce moment, et nous habituer à appeler nos parents, des membres de notre famille qui nous manquent, et les amis. Je me réfère au type d’interaction qui perdait du terrain devant les obligations quotidiennes. »
De l’avis des psychologues et des sociologues, la mise en valeur des contacts humains vraiment importants, devant des activités professionnelles souvent trop prenantes, serait une des conséquences à souhaiter de cette période de distanciation sociale. (Trad. : Ileana Ţăroi)