L’insertion des migrants
Parmi les principales raisons qui poussent les expatriés à s’y établir, il y a le regroupement familial dans le cas des refugiés ou des demandeurs d’asile politique, l’emploi, étant donné la crise de la main d’œuvre à laquelle la Roumanie se confronte dans plusieurs secteurs déjà, ou encore les études, notamment universitaires. Les citoyens étrangers installés légalement en Roumanie se divisent en trois catégories principales : des ressortissants de pays tiers, des citoyens des Etats membres de l’UE ou de l’Espace économique européen et des personnes placées sous protection internationale.
Christine Leșcu, 05.08.2020, 13:05
Sur l’ensemble des principaux pays d’origine des ressortissants de pays tiers, mentionnons la République de Moldova, la Turquie, la Chine, la Syrie ou encore Israël. De 2005 à 2017, le nombre des expatriés habitant la Roumanie s’est multiplié par quatre, en montant à presque 380.000 personnes, soit 2% de l’ensemble de la population. Pour ceux qui souhaitent venir s’installer en Roumanie, des organisations non gouvernementales sont à leur disposition pour les soutenir dans cette démarche.
Mise en place il y a trois ans par un groupe de jeunes enthousiastes, « Activ Random » est une de ces ONG dont le représentant, Iosif Prodan, explique qui sont les migrants de Roumanie. « On pourrait dire que sur l’ensemble des pays européens, la Roumanie figure parmi ceux accueillant le moins d’expatriés ou de réfugiés. Il ne s’agit que de 2% de la population, ce qui nous place en queue du classement. Notre pays n’est pas forcément un pays de destination pour tous ces migrants. D’abord, parce que la situation économique est loin d’être brillante. Ensuite, parce que tout comme les Roumains qui décident de travailler ailleurs, les migrants aussi évitent les destinations qui leur sont inconnues. Ils s’orientent plutôt vers des endroits où ils ont déjà une partie de la famille ou des amis, ce qui fait que dans ces pays, les communautés étrangères se renforcent. Or, cette même démarche est valable aussi pour ceux qui viennent du Moyen Orient, par exemple. S’ils ont déjà de la famille en France ou en Allemagne, c’est normal de vouloir s’y établir, au lieu de venir en Roumanie où ils ne connaissent personne. »
S’adressant aux étrangers souhaitant rester en Roumanie, l’ONG « Activ Random » met à leur disposition des cours gratuits de roumain ou d’anglais ainsi que de l’accompagnement tout au long de leur insertion roumaine qui culmine, souvent, par l’obtention de la citoyenneté. Les enfants des migrants sont eux aussi aidés à s’intégrer, à travers toute sorte d’ateliers, des activités sportives ou des sorties au théâtre ou au cinéma. Denisa Coltea, bénévole au sein de cette ONG, propose des cours aux adultes qui souhaitent postuler pour obtenir la nationalité roumaine. « Sur l’ensemble de mes élèves, il y en a qui vivent en Roumanie depuis plus de 20 ans. Au début, ils sont venus faire des études sauf que voilà, à la fin de la faculté, ils ont décidé d’y rester pour fonder une famille. Et maintenant, ils souhaitent obtenir la nationalité roumaine aussi. Pendant les cours, on leur apprend des notions de Constitution, d’histoire roumaine, de géographie, de civilisation et culture, tout comme l’hymne national et les normes européennes. »
Fatima Zarwari, âgée de18 ans, originaire d’Afghanistan, est arrivée en Roumanie il y a trois ans, accompagnée par sa mère et son frère. Leur but était de rejoindre le père vivant déjà sur place comme réfugié politique. Les raisons qui ont poussé cette famille à se regrouper en Roumanie sont claires : ils ont fui une guerre et le régime des talibans. Fatima Zarwari se confesse : « Je me plais en Roumanie, je vis en paix, au calme, je peux me rendre à l’école et on est heureux. Au début ce fut plutôt difficile. Le premier mois passé en Europe, je l’ai trouvé ok, j’étais excitée de voir toutes ces choses nouvelles. Sauf que petit à petit, le chagrin m’a accablée, et ma famille, mes copains de classe et mes amis ont commencé à me manquer de plus en plus fort. Le dépaysement a été très difficile. J’ai décidé de me concentrer sur l’apprentissage du roumain et on a fini par nous habituer à cette nouvelle vie. »
A l’heure actuelle, Fatima est en Terminale dans un lycée de Bucarest. Elle a appris le roumain et elle se réjouit de l’accueil chaleureux de la part des professeurs et de ses camarades de classe. Mais ce ne fut pas facile dès le départ. Fatima Zarwari remémore : « Mon plus mauvais souvenir c’est avec ma mère qui ne maîtrise pas bien le roumain et du coup, elle a du mal à le parler. Or, ça lui est déjà arrivé de rentrer à la maison en larmes, après qu’elle s’est fait cracher dessus par quelqu’un qu’elle avait croisé dans la rue. Cela m’est déjà arrivé à moi aussi. Par exemple, je me souviens d’un jour où j’étais avec toute ma famille dans le tram et on se dirigeait vers l’Académie des Etudes Economiques où j’étais censée parler aux étudiants. A l’époque, j’attendais toujours la réponse à ma demande d’asile et du coup, je bénéficiais de transport gratuit. J’étais munie seulement de ma carte de demandeur d’asile. Même si des contrôleurs avaient déjà vérifié par le passé ma carte et que tout s’était bien passé, cette fois-ci, ils ont voulu me coller une amende. Ils ont été vraiment méchants. Ils nous ont fait descendre du tram, ils ont fait venir les flics et il y avait du monde autour de nous et on a commencé à nous crier de rentrer chez nous, en Afghanistan ! Cela m’a fait très mal, j’ai beaucoup pleuré ce jour-là. »
Les années d’expérience dans le domaine du bénévolat pousse Denise Coltea à affirmer que de tels épisodes de discrimination sont plutôt rares. N’empêche. Il y a quelques semaines, un nouveau scandale a enflammé les esprits des Roumains après que les habitants de la commune de Ditrau, dans le département de Harghita, ont protesté contre la décision d’un boulanger d’embaucher des travailleurs sri-lankais. A l’heure où l’on parle, on ne sait pas encore dire s’il s’agissait d’un geste xénophobe et raciste ou si, tout simplement, la population s’était mise en colère contre des patrons qui privilégiaient les étrangers au détriment des gens du coin. Quoi qu’il en soit, un tel événement ne peut pas passer inaperçu, affirme Iosif Prodan d’Activ Random :« Les Roumains se disent très accueillants et hospitaliers. Sauf que, voilà, cela est valable surtout dans la relation avec des Occidentaux. On n’a pas pensé que des Orientaux aussi voudraient venir en Roumanie pour y rester et travailler. Ce qui fait que, dans un premier temps, on est surpris et on ne sait pas comment réagir. Du coup, soit on les rejette complètement, soit on les adopte. Moi, je fais partie d’une génération dont les parents ont dû partir travailler à l’étranger, ce qui fait que, dans notre cas, le niveau d’empathie soit élevé. C’est la moindre preuve d’humanité celle de comprendre qu’il y a, dans ce monde, des gens qui ont vécu dans la terreur et qui ont subi des expériences traumatisantes. Ce n’est pas si difficile que ça de comprendre une telle chose et de tolérer, à ses côtés, de telles personnes, qui ont besoin d’un coup de main. »
Pour un plus de soutien à l’insertion des migrants, l’organisation non gouvernementale Activ Random a mis en place, en 2018, le festival OmFest, une manifestation interculturelle qui essaie de montrer la diversité des communautés étrangères vivant en Roumanie. (Ioana Stăncescu)