Les jeunes et l’émigration
Ces données officielles placent la Roumanie en deuxième
position dans le classement des pays affectés par l’émigration, après la Syrie,
touchée, quant à elle, par une longue guerre civile. La situation présente ne
semble pas amenée à évoluer de manière positive. Une nouvelle étude vient
confirmer ce qu’on entend depuis un certain temps dans les discussions de café en
Roumanie : les jeunes Roumains envisagent, eux aussi, d’émigrer.
Christine Leșcu, 06.02.2019, 19:26
Ces données officielles placent la Roumanie en deuxième
position dans le classement des pays affectés par l’émigration, après la Syrie,
touchée, quant à elle, par une longue guerre civile. La situation présente ne
semble pas amenée à évoluer de manière positive. Une nouvelle étude vient
confirmer ce qu’on entend depuis un certain temps dans les discussions de café en
Roumanie : les jeunes Roumains envisagent, eux aussi, d’émigrer.
L’étude
internationale Youth Mobility rassemble les données d’une enquête réalisée
auprès de 30.000 jeunes de neuf pays de l’Union européenne : l’Allemagne,
la Suède, la Grande Bretagne, l’Irlande, la Slovaquie, la Lettonie, l’Italie,
l’Espagne et la Roumanie. 2.000 jeunes Roumains ont participé à ce sondage, daté
fin 2015 – début 2016. La conclusion reste toujours valable : près d’un
demi-million de jeunes, âgés de 16 à 35 ans, souhaiterait partir de Roumanie.
Le professeur des universités Dumitru Sandu, de la Faculté de Sociologie de
l’Université de Bucarest, a pris part à cette recherche et nous livre ses
conclusions : « Ce n’est pas
seulement qu’ils souhaitent partir, mais ils ont des plans concrets de départ.
Les désirs peuvent varier dans leur degré d’intensité et dans leur apport à la
structuration de l’avenir. Nous ne posons jamais uniquement des questions liées
aux souhaits des gens, nous allons en profondeur des choses. Au moment de
l’étude, 47% des jeunes âgés de 16 à 35 ans avaient des intentions bien
structurées, des plans mêmes, pour quitter la Roumanie dans les cinq prochaines
années. »
Ces résultats n’ont rien de surprenant pour l’opinion
publique roumaine. Mais faire des comparaisons entre les pays participants à
l’étude peut s’avérer particulièrement éclairant. Par exemple, le professeur Dumitru Sandu constate qu’en ce qui
concerne l’émigration, les Roumains ressemblent beaucoup aux Italiens : « Il y a de
nombreuses raisons qui expliquent cette ressemblance avec l’Italie. Elles sont
tout d’abord liées aux salaires, aux contrats de travail et au niveau de vie.
Mais le point commun entre les deux pays est notamment la corruption, le
mauvais fonctionnement de l’administration. Prenons l’exemple des médecins.
Comme les principales motivations pour partir sont économiques, on s’attendrait
à ce que l’augmentation des salaires soit un premier pas pour arrêter les
émigrations. Mais si l’on regarde les données recueillies, certes partielles
car la décision du gouvernement roumain d’augmenter les salaires des médecins
est récente, on observe autre chose : le décalage entre les secteurs privé
et public s’est accentué, les praticiens du secteur privé réclamant des
salaires équivalents à ceux du secteur public. S’ils n’ont pas gain de cause en
Roumanie, il leur est aisé de partir, l’étranger est tout proche. Il faut alors
penser à aider à stabiliser les jeunes qualifiés. Il faudrait aussi réfléchir à
la qualité de leur environnement de travail et de leur vie professionnelle. Les
jeunes ne cherchent pas uniquement de bonnes conditions de travail, mais un
modèle méritocratique pour l’évolution professionnelle, comme ailleurs en
Europe. »
Au cours des discussions menées avec les 2.000 jeunes Roumains
ayant participé à l’enquête Youth Mobility, le professeur Dumitru Sandu s’est
penché aussi sur la question de leur retour en Roumanie : « Pour une
meilleure compréhension de l’exode des jeunes, il ne faut pas examiner le
phénomène que sous un angle économique. Au moment de l’enquête, nous avons
demandé aux 2.000 jeunes, dont certains avaient déjà vécu à l’étranger et étaient,
depuis, rentrés en Roumanie, à quand remonte leur premier départ, combien de
fois et pourquoi ils étaient partis. Car, à dresser une comparaison entre les
jeunes des neuf pays pris en compte, on remarque que pour les Roumains, c’est
le fait d’avoir déjà vécu à l’étranger qui fait incliner la balance en faveur
de l’émigration. Dans le cas du Roumain typique, jeune ou moins jeune, les
intentions migratoires sont influencées par son expérience antérieure. Le
phénomène de la migration devient, donc, circulaire. », explique-t-il.
De plus en plus présente dans les études de spécialité, la
migration circulaire désigne le va-et-vient entre différents pays européens et
le pays d’origine des travailleurs migrants. Ce concept n’est possible qu’en
présence d’un contrat de travail ferme que le travailleur en question a
préalablement signé. Le professeur Dumitru Sandu souligne le fait que cette comparaison précise mieux les facteurs qui conditionnent
un retour au pays : « L’étude met en
évidence une différence majeure entre les Roumains et les Polonais. Ces
derniers privilégient un système d’émigration par contrat, beaucoup plus
favorable à la migration circulaire. En revanche, les Roumains suivent plutôt
les membres de leur famille. La série de comparaisons peut continuer. Si l’on
prend en considération un Roumain et un Suédois ou un Allemand, le nord-européen
rentre chez lui à la fin de son contrat ou de son projet, tandis que le Roumain
rentre par obligation : parce qu’il est malade ou parce qu’il doit soigner
quelqu’un de la famille, parce qu’il divorce ou qu’il a laissé ses enfants
derrière. C’est donc un retour forcé qui a tendance à être espacé dans le temps. »
Dans ce contexte, l’institutionnalisation de la migration
circulaire serait une solution, ne serait-ce que temporaire, afin d’assurer le
retour en Roumanie de tous ces jeunes qui laissent derrière eux la porte
ouverte pour un potentiel retour, précise Dumitru Sandu : « Ces jeunes ne
rejettent pas l’idée d’un possible retour en Roumanie. Ils gardent en permanence
un œil sur ce que s’y passe et ne cessent de comparer avec leur vécu en
Occident. Après, n’oublions pas que les individus se conduisent selon une série
de facteurs, aussi bien objectifs que subjectifs, tels la confiance dans le
Parlement, dans le gouvernement ou dans d’autres institutions publiques et
privées. Il faut dire que les jeunes Roumains – soient-ils en Roumanie ou
ailleurs, manifestent une forte méfiance envers l’administration publique roumaine. »
Par
conséquent, en dehors de la migration circulaire, les choses devraient changer
durablement en Roumanie pour déterminer les jeunes Roumains à rentrer. Encore
faut-il que la situation dans le pays évolue et que les institutions publiques
redeviennent dignes de confiance. (Trad. Elena Diaconu et Ioana Stăncescu)