Féminisme et présences féminines dans l’art roumain actuel
Aujourd’hui nous parlons du féminisme et des présences féminines dans le domaine de l’art, en prenant comme point de départ le débat « Histoires et récits. Le féminisme en Roumanie » qui a réuni des artistes et des spécialistes en architecture, arts visuels et danse contemporaine. Le débat a été organisé par l’Association 4Culture, en collaboration avec la filiale de Bucarest de l’Ordre des architectes de Roumanie, qui a accueilli la rencontre.
Luana Pleşea, 05.12.2018, 13:29
AndreeaCăpitănescu, chorégraphe de danse contemporaine et manager culturel, directrice artistique de l’association 4Culture, fait le point sur la présence des femmes dans les arts performatifs actuels en Roumanie : « Je pense que, du moins pour ce qui est de la danse contemporaine, les chorégraphes hommes ont toujours été plus présents et plus visibles, bien que le nombre de femmes qui font des études de chorégraphie soit beaucoup plus grand. Une des raisons en serait, à mon avis, le fait que dans ce domaine, les personnes qui occupent des postes décisionnels dans les théâtres, dans les principales institutions culturelles ou lors d’événements importants, sont pour la plupart des hommes. Par ailleurs, il est tout aussi vraiqu’en tant que femme, il est plus difficile de faire entendre sa voix et d’affirmer sa présence dans le domaine artistique. On y est confronté à beaucoup de sensibilités, beaucoup d’orgueil et les représentantes de cet art ne sont pas toujours préparées pour livrer un tel combat. Les présences masculines sont le plus souvent intimidantes et plutôt agressives. Je pense surtout au fait que — du moins dans le domaine de la danse — on travaille beaucoup avec son corps et la relation entre les artistes y est physique. »
Pourtant, des noms importants dans le domaine artistique — toujours de femmes, bien sûr — réussissent à faire bouger les chosesdans le monde desarts. Andreea Căpitănescu : « Il y a des femmes artistes et commissaires d’exposition qui essaient de promouvoir les femmes. Valentina Iancu a été présente au débat que nous avons organisé. Conservatrice du Musée d’art de la Roumanie pendant un certain temps, elle a essayé de faire connaître des femmes artistes que tout le monde ignorait, même dans le milieu artistique ; des femmes artistes qui avaient été laissées de côté, étant injustement associées à certaines démarches politiques du début du 20e siècle. Ce fut une tentative isolée, mais au moins elle a réussi à faire sortir de l’oubli plusieurs noms. Valentina Iancu a réalisé un album, elle a organisé des expositions… Et elle n’est pas la seule. Depuis plusieurs années déjà, je collabore avec Olivia Niţiş, une féministe convaincue, qui s’efforce, à son tour, de promouvoir les femmes artistes. Il y a aussi des femmes qui parlent beaucoup de l’importance d’éduquer les femmes et de leur assurer l’accès à l’éducation, notamment dans les zones marginalisées, des femmes qui luttent pour les droits de la femme et contre la violence. Il y a des artistes comme Marilena Preda-Sânc, par exemple, qui tâchent de former d’autres êtres et d’attirer l’attention de l’opinion publique sur des aspects que l’on ignore le plus souvent. »
Valentina Iancu est spécialiste des arts visuels. Elle est active dans les médias culturels et se déclare féministe. Mais, il y a féminisme et féminisme, chacun s’approchant de ce courant avec ses propres principes et sa propre idéologie : « C’est plutôt le féminisme néolibéral qui prédomine actuellement en Roumanie, un féminisme que les chercheurs américains appellent « féminisme blanc » et qui s’occupe surtout des problèmes auxquels sont confrontées les femmes majoritaires, tout en ignorant les autres genres d’expériences. Dans le monde artistique, ce type de féminisme se reflète aussi dans les créations de la plupart de nos femmes artistes. Récemment, les jeunes artistes ont réussi à se réunir autour d’une initiative plus radicale et sortir une revue qui doit être lancée ces jours-ci. Cette revue tente d’apporter pour la première fois en Roumanie les principes du féminisme intersectionnel, un féminisme qui se rend compte qu’une femme est confrontée à des problèmes différents en fonction de la communauté ethnique ou sexuelle à laquelle elle appartient, qu’elle définit son identité en fonction de critèresqui vont au-delà dugenre. »
Quant à la présence féminine dans les arts visuels, la situation est semblable à celle que l’on rencontre dans le domaine de la mise en scène. Les universités d’art comptent un grand nombre d’étudiantes, mais à la fin de leurs études, les femmes ont beaucoup plus de difficultés à commencer une carrière, car, selon Valentina Iancu, « au-dessus de leur tête plane toujours la suspicion qu’elles choisiront la famille et quitteront l’art» : « On peut avoir l’impression qu’il y a beaucoup de femmes artistes, mais, en fait, on ne les retrouve pas dans les structures où l’argent est géré, où il y a le pouvoir. On les voit à la périphérie, en train de se débattre pour survivre dans leur métier. Ce problème est plus grave pour la catégorie des artistes consacrés, car, âgés de 60 ou 70 ans, ils ont eu le temps de progresser dans leur carrière. Or, les femmes qui ont débuté en même temps que les hommes, qui ont travaillé avec autant d’intensité et de constance, ne reçoivent pas la même reconnaissance. »
Participante, elle aussi, au débat sur le féminisme en Roumanie, RalucaVişinescu a fait des études en Roumanie et en Allemagne. Architecte très appréciée, elle a été primée en 2018 lors de l’exposition Annuelle d’architecture de Bucarest. A quoi ressemble la présence féminine dans cet art, vue par Raluca Vişinescu? « La présence féminine dans le domaine de l’architecture diminue sensiblement à la fin des études et surtout sur les chantiers. Il reste des présences féminines d’une grande valeur notamment dans le milieu académique, théorique ou au sein de différentes organisations. Les initiatrices des cours censés introduire l’architecture dans les établissements scolaires font un excellent travail et leur activité est très importante. En fin de compte, architecture ne signifie pas exclusivement construction. Il y a là de la théorie, il y a de la gestion, il y a des choses à raconter au monde. »
Selon RalucaVişinescu, il n’y a pas beaucoup de démarches féministes dans le domaine de l’architecture, car, au moment où l’on arrive à pratiquer cette profession, on ne ressent plus les différences de genre. Nous ne pouvons donc pas arriver, en find’émission à une conclusion générale. Pourtant, pour citer AndreeaCăpitănescu,« notre société n’est pas trop ouverte à de tels débats. En général, les hommes qui travaillent dans le domaine culturel, accueillent avec un léger sourire les événements consacrés à des sujets comme le féminisme, qui leur apparaissent comme un petit peu frivoles. » (Trad. : Dominique)