Les Roumains sont-ils des personnes responsables?
Pour pouvoir juger du niveau de responsabilité financière, on doit la placer dans le contexte plus large de la responsabilité générale. C’est ce qu’a fait la filiale roumaine de la banque Raiffeisen, en commanditant une étude sociologique sur la responsabilité, qui a mis en évidence, une fois de plus, une série de paradoxes et discordances dans la perception que les Roumains ont d’eux-mêmes. Ainsi, 97% des Roumains considèrent être des personnes responsables, alors que 8% seulement estiment que la société roumaine, dans son ensemble, est responsable. En même temps, 89% des citoyens se sentent responsables envers la société.
Christine Leșcu, 12.09.2018, 00:05
Comment interpréter ces résultats? Nous écoutons le sociologue Barbu Mateescu : « C’est une grande discordance, qui a déjà été mise en évidence par d’autres études anthropologiques sur le bon sens des Roumains. Cela peut s’exprimer très simplement : moi, je possède tel attribut ou je manifeste telle valeur, que très peu de gens – voire personne – ne possède ou ne manifeste. Comme pour d’autres sujets aussi, quand il s’agit de la responsabilité, à en juger d’après les sondages, tout le monde est correct et fait ce qu’il doit faire ».
Comment est-on arrivé à cette perception? Barbu Mateescu : « Il y a là deux aspects. Primo, l’héritage communiste : dans tous les pays qui ont connu le régime communiste, les gens sont devenus plus méfiants envers les communautés. C’est que, durant ce régime, les communautés étaient formelles, elles étaient instituées et contrôlées de l’extérieur et non pas par les citoyens qui les constituaient. Secundo, les gens ont un esprit critique très développé et généralisé au niveau de la société, où l’on considère que les choses vont mal, mais cet esprit critique, ils l’associent à une très bonne opinion d’eux-mêmes ».
En voici un exemple, qui concerne la responsabilité vis-à-vis de l’environnement : 95% des Roumains s’en sentent responsables, alors que le pays est pénalisé par les institutions européennes pour la mauvaise gestion des déchets.
Barbu Mateescu : « Les gens estiment que la responsabilité vis-à-vis de l’environnement est plus importante que celle envers leurs amis, leurs collègues de travail, leurs chefs ou leurs subordonnés. Elle occupe la deuxième place, après la responsabilité envers sa famille. La responsabilité vis-à-vis de l’environnement est considérée comme très importante surtout dans les grandes villes du pays: plus une ville est grande, plus cette responsabilité est considérée comme importante. Cela peut-être aussi en raison des effets de la pollution, davantage ressentis dans une grande ville, comme celle de Bucarest, par rapport à une petite ville comme Fălticeni, par exemple. Pourtant, les Roumains perçoivent la responsabilité vis-à-vis de l’environnement à un niveau plutôt rudimentaire, traduit par l’effort d’aller jusqu’à une poubelle pour y jeter un emballage, au lieu de le jeter par terre. Le travail des ONGs actives dans le domaine de l’environnement n’a pas été de nature à déterminer une prise de conscience et aucun débat public sur des thèmes écologiques n’a été organisé en Roumanie. Seuls quelques sujets disparates ont figuré au premier plan de l’agenda public. »
Pourtant, une autre grille d’interprétation de ces données peut également être appliquée. La responsabilité vis-à-vis de l’environnement est considérée par les Roumains comme importante dans les conditions où pour eux, la responsabilité envers les autres se traduit par des chiffres très élevés: 98% des Roumains se sentent responsables envers leur famille, 92% envers leurs amis, 91% envers des personnes qui ne peuvent pas prendre soin d’elles-mêmes, 88% envers leurs collègues, 85% envers leurs chefs. En outre, selon la même étude, 98% des personnes interrogées estiment qu’il est important d’être responsable pour avoir du succès.
Le succès passe donc par la responsabilité envers l’autre – estime Barbu Mateescu : « La principale référence de la société roumaine est la famille, ainsi que la relation avec ses proches: parents, époux/épouse, enfants. Le succès est très certainement lié à la préservation de la cohésion – même formelle – de la famille et à une éducation de l’enfant qui lui assure, à l’âge adulte, une situation sociale et financière satisfaisante. Quant aux aspects financiers et à la définition du succès du point de vue financier, peut-être aussi en raison de la récente crise économique, la plupart des Roumains sont prudents. Ils considèrent qu’un style de vie basé sur la modération – pas de dettes ou dettes vite remboursées – est suffisant et approprié pour assurer son succès dans la vie ».
La préférence des Roumains pour la modération et la responsabilité – telles qu’ils les envisagent – ressort clairement des autres données fournies par l’étude : 9 Roumains sur 10 affirment rembourser leurs dettes à temps, 8 personnes sur 10 déclarent faire uniquement des dépenses qu’ils peuvent se permettre, 6 personnes sur 10 se proposent d’économiser, pourtant, parmi elles, un tiers seulement arrivent à mettre de l’argent de côté.
Dans ces conditions, à quoi ressemblerait le portrait-robot du Roumain responsable? Barbu Mateescu : « A mon avis, la responsabilité dépend beaucoup aussi des circonstances particulières, des trajectoires existentielles. Elle sera définie d’une certaine façon dans une localité de Transylvanie, où le capital local est important et où les gens ne sont pas confrontés au chômage. La responsabilité sera définie différemment dans une localité apparemment similaire de Moldavie, où il est difficile de trouver un emploi. Les cas particuliers sont nombreux, c’est pourquoi il est difficile de définir très brièvement la responsabilité. Pourtant, chez les Roumains, sa coordonnée fondamentale demeure l’attachement à la famille, qui sous-tend tout autre sujet. Le fil conducteur des actions responsables est la famille. » (Trad. Dominique)