L’art et l’esprit communautaire
Les initiatives citoyennes et l’esprit communautaire se sont retrouvés, en 2016 aussi, au cœur de certains projets visant à rapprocher les gens de la culture, mais aussi à les ramener plus près les uns des autres. Certains d’entre eux ont été lancés par l’ONG « Home Made Culture », (Culture faite maison). Elle s’est spécialisée, ces dernières années, dans les spectacles de théâtre accueillis par des espaces non conventionnels, tel l’appartement d’un immeuble d’habitation. L’automne dernier, l’appartement a été remplacé par l’entrée d’un immeuble collectif. Tous les soirs, une semaine durant, on y a organisé des événements, choisis d’un commun accord avec les spectateurs, à savoir les habitants du voisinage. Le projet « Spectacle à escalier ouvert » a été conçu comme composante d’un autre, plus ample, intitulé « Generator » (Générateur). Celui-ci a pour objectif d’encourager les citoyens à proposer des activités censées répondre à leurs besoins de socialiser. Au bout de plusieurs tentatives, les initiateurs du projet se sont arrêtés dans le quartier bucarestois de Crângaşi.
Christine Leșcu, 04.01.2017, 13:40
Cristina Epure, membre de l’Association « Home Made Culture », raconte comment les gens ont accueilli leur initiative : « Ils sont été très ouverts, dès le début, ce qui est plutôt rare. Avant de choisir cet immeuble d’habitation, nous avons lancé un appel et fait du porte à porte, mais on a eu droit à beaucoup de réticence, car c’était quelque chose de nouveau. En plus, comme au fil du temps une sorte de crainte ou de distance s’est installée dans les relations entre voisins du même palier, toute nouveauté est perçue comme un danger potentiel. D’habitude, l’entrée d’un bâtiment d’habitation collectif est un espace qui n’appartient à personne, mais quand il est question de l’utiliser, les gens le revendiquent brusquement ».
Petit à petit, cet espace est devenu un véritable bric-à-brac d’objets en tous genres. On y a donné des spectacles de théâtre, d’opéra, organisé des ateliers d’origami, de dessin et collage, tous gratuits ou presque, car chaque voisin nous a récompensés de petits goûters. C’est dire que les gens ont redécouvert le sens du partage et le plaisir de passer de bons moments ensemble. Cristina Epure : « Jean-Lorin Sterian, le fondateur de notre association, est un bon connaisseur des milieux artistiques de Roumanie. C’est lui qui a encouragé les gens à mener des projets à impact social et éducatif. Cela veut dire que nous ne nous sommes pas cantonnés à l’aspect artistique. Nous avons monté, par exemple, la pièce de théâtre à caractère éducatif Mauvais enfants”, avec pour protagoniste Katia Pascariu. Nous avons opté pour une thématique très accessible et intéressante, tant pour les petits que pour les grandes personnes. Malgré le peu de temps que ces événements on pu durer, ils ont eu un certain impact. J’espère que nos hôtes se les rappelleront et qu’ils réfléchiront à une alternative aux heures passées devant la télé ou l’ordinateur ».
Ce n’est pas par le seul biais du théâtre à visée éducative, sociale, que l’on peut stimuler l’esprit communautaire. Les projets architecturaux ont eux aussi cette vocation. En témoigne le projet « StudioBasar », mené par deux jeunes architectes. En 2014, ils ont entamé une collaboration fructueuse avec la Bibliothèque métropolitaine de Bucarest. Les bibliothèques publiques comptent parmi les rares ressources permettant de remettre en marche le mécanisme et de raviver l’esprit d’appartenance à une communauté, lequel s’est en quelque sorte estompé ces derniers temps.
C’est ce que pense l’architecte Alex Axinte, l’un des deux meneurs du projet « StudioBasar » : « Je crois que c’est un effet post-transition, c’est un des éléments que nous avons perdus et à l’heure actuelle nous nous posons la question pourquoi la nourriture n’a plus de goût. Nous ne savons pas qu’elle manque le sel. Nous, depuis notre position d’architecte à StudioBasar, nous avons pensé qu’il existe une urgence dans ce secteur. Les architectes doivent agir eux aussi avec leurs moyens pour identifier les restes de l’esprit communautaire, là où elles existent. »
Cet été, les architectes de StudioBasar, aux côtés des étudiants en architecture et sociologie, ont aménagé la façade de la filiale locale de la bibliothèque métropolitaine sise sur un des boulevards les plus passants de Bucarest. Et ce pour qu’elle puisse être remarquée plus facilement. Ils ont également contribué à la réouverture d’une autre filiale dans le quartier de Militari, formé de blocs érigés à l’époque communiste. Pour ce dernier projet, les initiateurs ont également écouté l’opinion des habitants de la région, heureux d’apprendre que la bibliothèque au rez-de-chaussée de leur immeuble était en train de rouvrir, même s’ils avaient entre temps oublié qu’elle existait. Alex Axinte : « Nous avons parlé aussi aux utilisateurs de la filiale pour les enfants qui est juste à côté et avec les bibliothécaires et les autres spécialistes. Nous avons tous décidé que la bibliothèque avait besoin de plus d’espace pour d’autres activités, sans pour autant réduire l’espace consacré aux livres. La socialisation associée à la consommation culturelle est un besoin immense dans un quartier de 300 mille habitants. Dans le cadre de la recherche que les étudiants ont réalisée avant le début du projet, à la question « Où croisez-vous les personnes que vous connaissez ? », la vaste majorité des réponses ont été « Au supermarché, à l’entrée ». Par conséquent, nous nous confrontons à une urgence majeure, puisque les espaces d’interaction sociale se trouvent dans les magasins et vu que le public est heureux d’apprendre qu’une bibliothèque publique rouvrira ses portes dans un espace de seulement 40 mètres carrés. »
Les bibliothèques publiques peuvent encourager l’esprit communautaire si elles ne sont plus associées exclusivement à l’étude, affirme aussi Anca Râpeanu, directrice de la Bibliothèque métropolitaine. Les 33 filiales de cette institution bucarestoise accueillent non seulement des clubs de lecture, mais aussi des ateliers de tricot, des cours d’informatique et de langues étrangères, tous organisés à titre gracieux. Ce qui plus est, l’été dernier, une caravane des contes a été mise sur pied, en collaboration avec le même Alex Axinte qui a fourni une remorque bricolée et facilement transformable en un espace multifonctionnel.
Comment se déroule une journée habituelle dans le cadre de ce projet ? Réponse avec Anca Râpeanu : « Il est 5h et demie — 6 heures du matin. On fait sortir des dépôts toutes les boîtes à jouets, crayons, feutres, ballons, jeux et marionnettes pour le théâtre de marionnettes. On met tous ces objets dans la remorque dans un ordre prédéfini pour qu’ils puissent être sortis un après l’autre dans le parc. La caravane part et une fois arrivés dans le parc on ouvre toutes les boîtes, on dispose les éléments et les ateliers commencent à 10 heures. Il s’agit d’ateliers de bricolage, de dessin, des sessions en plein air, etc. A partir de 11h, on donne le coup d’envoi aux activités physiques sous la forme de différents jeux d’enfants. Entre temps, mes collègues parlent aux parents et ils leurs expliquent ce que nous faisons à la bibliothèque et dans le cadre de notre caravane. A sept heures du soir, nous organisons une pièce de théâtre de marionnettes, puis un atelier de Zumba. Et puis, plus tard dans la soirée, mes collègues se rendent compte que s’ils ne mettent à profit les petites pauses que les enfants prennent, il leur sera impossible de ranger les objets dans la remorque et de rentrer chez eux. »
Le but de tous ces efforts est de démontrer que la bibliothèque est d’abord un espace public et ensuite un espace culturel, rôle que nous espérons renforcer davantage en 2017. (trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)